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Geneviève Guevara : « Je propose, tu disposes, rien ne s’impose »

Geneviève Guevara

Geneviève Guevara.

Geneviève Guevara fait partie de ces écrivaines, poétesses, artistes peintres qui fascinent tant la passion les anime. Elle porte dans son regard cette lumière bienfaitrice et créatrice qui irradie autour d’elle.

Après une licence en philologie romane et une agrégation, un certificat en langue arabe et islamologie, elle étudie l’art dramatique, au Conservatoire de Namur, puis enseigna le français à l’Institut Saint-Louis de Namur. Mais la poésie a toujours été là, elle a toujours fait partie d’elle.

Geneviève Guevara a une relation étroite, de cœur et d’esprit, avec l’Afrique du Nord. Est-ce ce soleil d’Afrique qu’elle porte dans ses yeux ? Probablement, car Geneviève Guevara est une artiste chaleureuse qui porte la générosité dans son regard.

Elle est poète et peintre et ce n’est pas le fait du hasard, les arts sont liés comme par magie, ce que le peintre transmet par le jeu des couleurs, le poète le transmet par les mots. Le poète joue avec les mots qu’il manie, qu’il tord et magnifie avec cette aisance et facilité déconcertante mais qui retient l’œil averti et le passant pour un moment de pur bonheur qui semble arrêter l’heure, l’oreille n’entend plus le tictac de la pendule pour n’entendre que cette mélodie, cette harmonie qui se dégage du poème ou du tableau.

L’art s’abreuve et s’écoule dans l’éternité, il retient et ralentit le temps qui devient l’ami, l’œuvre d’art n’a point de dualité puisqu’elle converge vers l’union où la beauté prend tout son sens.

Les créations artistiques de Geneviève Guevara se sont gorgées du soleil d’Afrique contrastant avec le froid de la Belgique, d’où cette richesse du mélange des cultures et des couleurs qui promet un avenir meilleur.

La poésie et les tableaux de Geneviève Guevara dégagent un cri d’espoir, même quand le soir tombe avec son chagrin, la plume et le pinceau pensent au soleil du matin, au nouveau jour naissant qui émerveille l’enfant et le regard innocent dans l’éblouissement de la perception remodelée par l’expression artistique d’où jaillissent mille ombres et lumières qui célèbrent la vie.

Le Matin d’Algérie : Vous avez enseigné des années le français, le savoir littéraire, vous avez étudié l’art dramatique, vous écrivez depuis l’enfance, mais vous avez mis le temps pour vous révéler, pour publier, vous êtes multiple, qui est Geneviève Guevara ?

Geneviève Guevara : En effet, j’ai mis beaucoup de temps pour publier parce que j’étais fort occupée pendant toutes ces années. J’ai beaucoup observé, je suis une très très grande observatrice, j’observe les gens, le monde dans lequel on vit.

J’ai beaucoup lu, énormément lu, j’ai découvert des êtres différents. J’aime bien avoir des points de vue différents que je peux confronter. Je dis souvent, que ce soit à mes élèves, à mes enfants… que c’est très important de lire des choses diamétralement opposées : ne pas se cantonner à un seul domaine que ce soit d’un point de vue littéraire ou autre, et ne jamais estimer qu’on a la vérité. Une personne qui estime qu’elle détient la vérité, c’est une personne qui se ment à elle-même et qui ment aux autres consciemment ou non.

Oui, je suis observatrice, je suis curieuse aussi, je suis très respectueuse des autres mais (et ça, c’est vraiment devenu fondamental chez moi) je ne veux plus me taire pour ne pas blesser les autres. J’estime hyper important d’être authentique lorsque l’on pense quelque chose, il importe de le dire avec bienveillance. Et si l’autre est blessé, c’est qu’il a quelque chose à travailler… C’est comme ça maintenant que j’envisage les choses. Avant j’étais trop dans l’observation et je croyais que c’était mieux de me taire pour ne pas blesser mais j’étais dans un amour pour autrui qui n’était pas juste en fait.

J’aime l’authenticité, la congruence, la cohérence. J’aime partager ce que je sais mais sans l’imposer à autrui. Si l’autre estime que je lui impose c’est parce que lui a peut-être cette tendance à vouloir imposer à autrui ses idées… Une de mes phrases porteuses est celle-ci : « Je propose, tu disposes, rien ne s’impose » Par ailleurs, j’ai énormément contemplé des œuvres d’art depuis l’adolescence j’ai été très intéressée par tout ce qui est artistique : peinture, sculpture, danse, musique, tissage, céramique…et surtout l’écriture. J’ai toujours énormément lu depuis mes cinq ans. J’ai beaucoup écrit pendant mon adolescence des poèmes et un roman.

Et puis, pendant trente ans, je n’ai presque rien écrit mais j’ai énormément lu encore et encore. J’ai beaucoup travaillé adolescente la laine (filage, tissage, tricot, broderie…). J’ai un goût de l’ornementation depuis toujours. Quant à la peinture, elle s’est invitée tardivement dans ma vie, depuis 2018 en fait et il m’a fallu plusieurs mois pour me sentir légitime dans cet art. J’ai passé le cap de la légitimité maintenant.

Vous disiez qu’il m’a fallu du temps pour me révéler, ce n’est pas tellement ça, c’est plutôt à manifester qui je suis, à me révéler à moi-même ce qui comme toute personne, c’est le travail d’une vie. Mais j’aurais pu déjà manifester avant. En tous les cas de manière beaucoup plus publique. Je pense que je me suis montrée à mes élèves, à mes enfants, à mes proches… mais pas autant que je le fais maintenant.

Le Matin d’Algérie : La littérature, la poésie, la peinture, vous animent, racontez-nous ?

Geneviève Guevara : La littérature, c’est depuis toujours. Au plus loin que je remonte dans mes souvenirs, la lecture a toujours été quelque chose de sacré. J’ai énormément lu depuis l’âge de cinq ans et demi, à partir du moment où j’ai appris à lire, j’ai dévoré les livres. Je pouvais être dans une salle comble et avec plein de monde et de bruit autour de moi, j’arrivais à me concentrer suffisamment sur la lecture et celle-ci n’a jamais été une lecture superficielle.

La poésie est entrée dans ma vie vers l’âge de treize ans. J’ai écrit beaucoup de poèmes mais je n’ai rien publié sauf un poème dans le livre de l’école. Jusqu’à l’âge de vingt ans, j’ai beaucoup écrit : de la poésie et un roman. Puis, après une année d’université, j’ai arrêté pour me consacrer uniquement à ma vie estudiantine, ma vie amoureuse, puis ma vie professionnelle et ma vie familiale… Et je n’ai presque rien écrit pendant plus de trente ans.

Je lisais toujours autant, peut-être même plus. J’avais des cours à préparer et cela prend beaucoup de temps. Et je me suis investie dans beaucoup de projets interculturels notamment. Et puis, la vie a fait qu’il y a eu énormément de ruptures dans ma vie à partir de 2015 : la vie a été extrêmement difficile pour moi. Et comme il y a eu beaucoup de ruptures, il y a eu du temps pour moi.

Étrangement je n’ai plus beaucoup lu de 2015 à 2022, par contre j’ai énormément écrit surtout de la poésie (certains jours, j’écris jusqu’à six poèmes. Et puis, il y a l’écriture de mon roman commencé il y a déjà maintenant presque six ans… mais c’est une somme ! Il comprendra plusieurs volumes d’ailleurs. Ce roman est assez inclassable. On pourrait le qualifier d’historique puisqu’il traite de plusieurs époques : antiquité, moyen âge, renaissance, fin 19ème- début 20ème, notre époque aussi.

C’est un roman d’amour, un roman philosophique, surtout un roman initiatique. J’espère l’avoir terminé cette année Quant à la peinture, j’étais uniquement observatrice très intéressée mais jamais je n’aurais pensé passer à l’acte de peindre (croyance limitante : » je suis incapable de peindre »…). Mais dans ce moment de rupture, de chaos, de manière assez étrange, sont arrivés dans ma vie plusieurs artistes nord-africains qui m’ont fortement incitée à peindre.

Le Matin d’Algérie : Vous avez une histoire d’amour avec l’Afrique du Nord, nous retrouvons ses rayons de soleils dans vos créations, vous portez cette lumière dans vos yeux, à quoi est due cette magie ?

Geneviève Guevara : Cette histoire d’amour a débuté dès l’adolescence, vers l’âge de dix-sept ans, par l’écoute d’une chanson du groupe Djurdjura. Un véritable coup de foudre. J’ai écouté énormément ce groupe, j’ai même interprété au conservatoire au cours de déclamation un des textes de ce groupe traduit en français. Par ailleurs, la littérature maghrébine m’a fort intéressée. Et l’amour s’est personnalisé aussi. L’Afrique du nord Oui. Le Maroc et depuis 2017, c’est l’Algérie qui est entrée très fortement dans ma vie. Un immense éblouissement qui n’a fait que s’intensifier.

L’Algérie a fortement chamboulé ma vie, on peut le dire. Et je suis d’ailleurs très contente d’avoir eu ce chamboulement même si ça a été quelquefois très inconfortable. Mais bon, je pense que c’était nécessaire notamment pour me relancer dans l’écriture, me lancer dans la peinture (ce sont beaucoup d’artistes algériens qui m’ont incitée à peindre). Enfin, je suis autant attirée que j’attire les nord africains, et plus particulièrement les Algériens, c’est même incroyable parce que c’est constant !

Le Matin d’Algérie : Vous semblez passer de la poésie, à la peinture, au roman, avec une facilité déroutante, d’où cet élan intellectuel exceptionnel qui semble lier le tout en gardant les spécificités de chacune des expressions, comment faites-vous ?

Geneviève Guevara : Parce que je ne me donne aucun frein. J’ai décidé d’être dans la spontanéité, dans l’intuitif, de me laisser porter. Je refuse qu’il y ait des canalisations, des voies balisées…
À une galeriste qui voyant mes tableaux et disait : « mais vous allez dans tous les sens… vous vous cherchez ! », j’ai répondu :
 » pas du tout, je ne me cherche pas, je m’amuse ! »
Elle n’a pas compris…
Je trouve que c’est extrêmement important de s’amuser. Je trouve ça extrêmement triste quand on veut absolument canaliser les artistes ou les écrivains en voulant qu’ils peignent ou écrivent toujours d’une certaine façon. Chacun a à être libre entièrement. C’est quelque chose de primordial : on ne brime pas tout ce qui est artistique en soi (et on est tous des artistes). Donc, qui a accepté son côté artistique n’a pas à être canalisé par les autres. C’est lui qui décide de ce qu’il a envie de faire.
Moi, je n’ai pas envie du tout qu’on me dise : « tu dois faire ça comme ça. » Je peins ou j’écris comme je le sens à ce moment-là et avec plaisir.
C’est très très important le plaisir pour moi.

Je ne sais pas si je garde la spécificité de chacune des expressions parce que je fais des ponts entre la peinture et la poésie : j’intègre régulièrement dans mes tableaux des poèmes, des extraits de mes poèmes.

Le Matin d’Algérie : L’Afrique du Nord jouit de cette lumière exceptionnelle recherchée par les peintres, les poètes et les génies littéraires mais malheureusement dans une liberté entravée, toute cette région peine à se démocratiser et se referme de plus en plus sur elle-même, les arts et l’expression artistique en général peuvent-ils aider à l’émancipation de l’Afrique du Nord pour une prise de conscience salutaire d’ouverture culturelle ?

Geneviève Guevara : Concernant cette lumière exceptionnelle en Afrique du nord, c’est évident : on a bien vu les peintres des 19e et 20e siècle… Et c’est vrai que la liberté est entravée… Je parlerai en premier de mon pays et plus particulièrement de mon école. Quand j’ai commencé à enseigner en 1989, je donnais des cours d’art dramatique, d’histoire de l’art et d’esthétique. Ces cours n’existent plus depuis 1995 ! Référons-nous maintenant à cette fameuse pandémie et les confinements : les inessentiels… La littérature, les arts… Je constate tout de même que depuis 2020, il y a énormément de gens qui ont commencé à écrire, leurs écrits sont publiés (ce n’est pas toujours de bonne qualité selon moi, ce qui ne signifie pas que ça ne puisse pas présentement faire du bien à d’autres que moi). Je ne suis pas dans cette énergie d’empêcher ceux qui ont commencé à écrire et qui vont commencer à peindre.

Je pense que c’est nécessaire pour retrouver la créativité en chacun mais c’est important de voir par après quelle est la forme artistique la meilleure pour soi. La promotion de la culture, des arts de manière générale est en recul dans le chef de bien des dirigeants dans le monde. C’est important là maintenant de s’exprimer. Il y a beaucoup de gens qui ont peur d’essayer, qui ont des croyances limitantes du style :  » je ne suis pas capable de, je ne suis pas doué. » Croyance récurrente. J’avais moi-même cette croyance. Si je peins c’est grâce à des nord-africains surtout algériens qui m’ont beaucoup encouragée à me lancer dans la peinture. Mais j’avais cette croyance limitante et je me disais  » je ne suis pas capable » … Le mois dernier, je terminais ma 4e exposition ! Ce qu’il faut c’est oser ! Oser sortir de ses croyances limitantes. Ne pas avoir peur de ce que les autres peuvent penser.

Pour revenir à l’Algérie ou à l’Afrique du nord de manière générale, Je pense, au risque de choquer, que ce n’est pas que ceux qui gouvernent qui entravent les autres. Les gouvernants ne reflètent que ce que la majorité du peuple choisit. Ce que je veux dire, c’est que chacun a sa part de responsabilité.

Je vais donner plusieurs exemples. Quand je lis les Kabyles qui râlent parce qu’on construit trop de mosquées en Kabylie et accusent ceux qui les construisent, je réponds tout simplement que si les Kabyles n’ont pas envie que des mosquées soient construites, il ne faut pas y aller, idem pour les écoles coraniques : on n’a pas envie que ses enfants aillent à l’école coranique ? On ne laisse pas ses enfants y aller. Je donne un autre exemple, concernant cette fois mon pays, la Belgique : l’âge de la retraite est fixé à 67 ans. Nous n’avons rien fait pour refuser cette limite. C’est nous qui acceptons certaines choses qu’on nous impose.

Si maintenant il n’y a qu’une personne qui se révolte, c’est sûr que c’est difficile de changer les choses mais si maintenant de manière beaucoup plus générale il y a plus de personnes qui ne sont pas d’accord, on s’extirpe de cette énergie de brimade.

Je pense que c’est à chacun de travailler sur soi-même. Pour revenir à la question, Oui les arts et expressions artistiques aident à l’émancipation des peuples, des individus et pas rien qu’en Afrique du Nord. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que dans les dictatures pures et dures, les artistes sont persécutés voire supprimés. Il y a une autre censure qui n’est pas politique et que j’ai tristement constatée depuis déjà un certain temps en Algérie. C’est cette tendance à discréditer celui ou celle qui réussit et/ou diffère de la ligne de pensée de ses détracteurs.

Je n’évoquerai que trois cas : une jeune chanteuse lauréate d’un concours de télé-crochet lynchée, un jeune poète qui malgré sa mauvaise maîtrise de la langue française osait publier sur son mur : lynché et enfin une amie artiste très fréquemment critiquée sur sa façon de peindre. Je pourrais encore parler de Yasmina Khadra…. L’ouverture culturelle est l’affaire de tous. Elle a à s’effectuer respectueusement. L’intelligentsia a un rôle d’ouverture à promouvoir avec sagesse et bienveillance; le monde artistique a à poursuivre en association son expansion. Je crois en l’impact de festivals comme celui de Raconte Arts.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?

Geneviève Guevara : Après avoir eu cette année deux expositions de peinture ainsi qu’un symposium artistique en Tunisie, la publication d’un nouveau recueil de poèmes et plusieurs événements littéraires à Bruxelles, dont une conférence que j’ai intitulée  » la poésie, des ressentis à la joie « , ce mois de mai sera consacré principalement à la poésie : trois moments poétiques à Bruxelles ( 1 à Uccle, 2 à Anderlecht dont une journée dans la maison de Maurice Carême qui aboutira à la publication d’un recueil collectif). Et puis, en collaboration avec mon amie Ana Lina, j’ai lancé Paris Poésie, le premier après-midi poétique) d’une longue série j’espère) le 19 mai.

En juin, toujours la poésie à l’honneur : la Tour Poétique à Paris en plus de mes rendez-vous poétique mensuels à Bruxelles. À l’occasion de la troisième édition de la Tour Poétique, un recueil collectif sera disponible auquel j’ai contribué : trois de mes poèmes et une réflexion à propos de la poésie. Au niveau plus personnel, je vais continuer d’animer des ateliers d’écriture, de connaissance de soi… Je vais me consacrer à la finalisation de quelques recueils de poèmes parce que j’ai énormément écrit et qu’il est grand temps de présenter maintenant au public cette production. Et enfin, je souhaite ardemment terminer l’écriture de mon roman  » MoTsaïques. »

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Geneviève Guevara : Oser. Oser être soi-même, oser dire qui on est, oser découvrir différentes choses, ne pas rester toujours dans le même domaine. Et pourquoi pas lire mes poèmes par exemple… Ne pas avoir peur de la poésie parce que la poésie n’est pas un domaine réservé à une élite. La poésie rend libre. Je pense à Alexandros Panagoulis, cet opposant grec qui, lors de la dictature des colonels, a composé énormément de poèmes lors de son incarcération, poèmes qu’il étudiait par cœur. Ses poèmes lui ont permis de tenir le coup lors des séances de torture… La poésie n’est pas qu’écrite (je pense à Si Mohand qui n’écrivit pas sa poésie).

La poésie est multiple, elle peut se trouver dans toutes les formes artistiques : peinture, photographie… elle peut se retrouver dans une manière d’être, dans la manière d’arranger son logis, sa façon d’être avec les autres… Le mot « poésie » vient de ποιεω, poîéô (en grec) qui veut dire « faire, fabriquer, créer ». La poésie, c’est la création. Elle est à oser.

Entretien réalisé par Brahim Saci

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