Pourrions-nous dépenser 1500 dinars pour un siège au balcon 12 de l’Opéra Boualem-Bessaïh de Ouled-Fayet ? Oui. Pourquoi pas tant qu’il est question d’une rencontre avec G. Verdi, G. Puccini et Umberto Giurdano. Il s’agissait d’un spectacle de quelque 45 minutes qui ressemblait plus à une répétition pour un opéra classique qu’à une répétition.
Le 28 novembre dernier, face à un public presque savamment trié sur le volet, deux sopranos, un ténor et un baryton de la prestigieuse troupe italienne de la fondation Arena di Verona se sont succédé autour du piano fort pour un programme ne dépassant pas la mi-temps d’une partie de foot. Le public, lui, n’était pour la plupart pas des habitués de la musique classique mondiale, mais les fans et les membres du Conservatoire d’Alger et ceux de l’École supérieure de musique avaient estimé qu’il y avait un manque de respect à l’égard des amoureux de l’opéra classique.
Le ministère de la Culture, une entreprise de prospection pétrolière et un centre culturel étaient derrière le déplacement de ces éléments de la troupe de Verona. La fondation Arena di Verona est dirigée par Mme Cecilia Gasdia, pianiste sur la scène de l’Opéra de Ouled-Fayet et fervente sympathisante de Meloni à Rome !
Vue de près, le programme paraît bien alléchant. A défaut d’avoir le même spectacle au coût de 500 euros pour ne voir que la seule Aïda de Verdi au milieu du gigantesque amphithéâtre romain de Verona, le «petit» public de Ouled-Fayet a eu droit, en ouverture, à une projection de marketing urbain sur la ville de Juliette et Roméo. Pour finir en cuisine… La belle trouvaille des programmateurs de la Fondation de l’Opéra de Verona est la distribution sous la forme d’un menu italien.
Un menu fretin…
On Antipasti (entrée), le ténor Francesco Meli pour « De mici bollenti spiriti » (De mes esprits fougueux ) du 2e acte, scène 1 de la Traviata de Giuseppe Verdi suivi de la soprano Marta Torbidoni pour « Ritorna vincitor », du 1er acte de Aïda, du même Verdi.
Le Primi (Premiers plats), le baryton Gëzim Myshketa pour « Nemico della patria » (Ennemi de la patrie) de l’opéra Andrea Chénier de Umberto Giordano (1867-1948) dont le texte est de Luigi Illica (1857-1919). Le réel trio de poissons habillés d’algues marines relevés est certainement la mise en scène autour d’un piano fort bien au milieu, que les deux sopranos, le baryton et le ténor exécutant la réplique de Rodolfo dans Dunque è proprio » de La Bohème de G. Puccini.
Arrive le Secondi piatti ( plat de résistance) au 2e tableau de la valse lente, au chant plein de coquetterie de Musetta à l’encontre de son ex-amant Marcello, délicieusement exécuté par la soprano Eleonora Bellocci. Mais,malheureusement « Quando men vo » de La Bohème ne dura que le temps d’une dégustation et tout le monde est resté sur sa faim. Relevé à la romance extraite du 3e acte de la Tosca de Puccini, « E luccevan le stelle » du ténor F. Meli, interprétant le rôle du peintre Cavoradossi, cet amoureux de la chanteuse Tosca qui attendait son exécution en une soirée où seules les étoiles y brillaient. Une bien décevante purée de lentilles à la truffe blanche de la Toscane aux vues de l’attente de certains fans algériens qui ont assisté à cette belle, représentation sur les scènes de Modena, Bologna et Milan.
Flanqué en Bis, le Dolci ( en Dessert) ne fut du tout cette savoureuse bûche au citron, mais un assemblage vocal bien expéditif du magistral « O sole mio » (Ô mon soleil) d’Eduardo di Capua qui a bien laissé sur leur appétit plus d’un spectateur qui tentèrent de donner quelques reprises au refrain ici et là du parterre de l’Opéra de Ouled-Fayet.
Regrettable présentation en présence de quelques représentations diplomatiques où les tenants de la scène n’ont pu enorgueillir la mémoire des maîtres de l’Opéra mondial. Il manquait certainement, dans les archives de la Fondation italienne qu’en mars 1887, déjà le Théâtre municipal d’Alger avait reçu trois représentations de Aïda de Verdi et qu’au mois d’avril 1905, ce fut le tour de la Troupe italienne de M. Castellano de représenter avec un souci de l’exactitude et une conscience scrupuleuse de faire bien, certes à l’époque face au seul public de colons européens, en plus de Aïda, Mefistotele, Otello, La Tosca, Manon Lescaut de Puccini et Le Trouvère de Verdi. Ils font désormais, partie de la mémoire du patrimoine scénique de l’actuel TNA, dont le nom de Mahieddine Bachetarzi est d’abord une des plus puissantes voix de ténor du pourtour méditerranéen.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

