Mardi 22 juin 2021
Haftar est à nos portes Monsieur le président !
Dans l’entretien accordé à la chaîne qatarie Al Jazeera il y a deux semaines, le président Tebboune s’était laissé aller à une confidence selon laquelle l’Algérie était prête à intervenir en Libye si Tripoli était prise par Haftar ou les terroristes.
Il n’avait pas donné plus de détails, se contentant d’indiquer que c’était pour l’Algérie « une ligne rouge » avant de refermer la parenthèse sur ces mots de fierté : « Le message a été reçu cinq sur cinq par ceux à qui il était adressé ».
Ces paroles ont dû être accueillies avec un froncement de sourcils d’étonnement à l’ONU et dans toutes les chancelleries du monde car si elles peuvent être proférées dans le secret des bureaux des dirigeants d’un pays, on ne les balance pas sur un plateau de télévision.
Mais chez nous, pas mal de poitrines ont dû se soulever d’orgueil ce soir-là car on n’entend habituellement de tels propos que venant des Etats-Unis ou d’Israël qui n’ont rien à cirer du droit international. Mais eux c’est dans les faits, pas en paroles seulement.
S’ils se sont endormis avec du baume au cœur, moi j’avais la boule au ventre devant ce qui m’était apparu comme une désinvolture proche de la « folie » au sens figuré du terme, et non médical.
Voyons les choses de plus près :
1) De quel droit l’Algérie dont la politique étrangère depuis sa naissance repose sur le principe cardinal de non-ingérence dans les affaires des autres pays interviendrait-elle militairement en Libye ? Pour y faire quoi ? Comment ? En combien de temps ?
2) N’y verrait-on pas de partout une violation du droit international rappelant l’invasion du Koweit par Saddam ? N’est-ce pas ainsi qu’a commencé la deuxième guerre mondiale lorsqu’un pays donné a considéré que tel endroit de tel Etat souverain voisin était une « ligne rouge » pour lui, pour son « espace vital » et sa sécurité nationale ?
3) Au moment où le président Tebboune se délectait de ces mots dont il n’a pas mesuré la portée, il oubliait que l’article 31 de la Constitution de 2020 stipule que « L’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples. Elle s’efforce de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques… ».
4) Même si les instances officielles de la Libye l’avaient invité à intervenir chez eux, il n’aurait pu car pour envoyer l’ANP combattre à l’étranger il lui faut obtenir l’aval préalable des deux-tiers des membres du Parlement, lequel n’est pas installé à ce jour.
Si le maréchal Haftar avait « compris » le message du président Tebboune comme il nous l’a assuré, que font ses troupes à nos frontières depuis trois jours ? Elles ne sont pas à Tripoli, Mr le président, mais près de Djanet.
Le 27 décembre 2019 je publiai un article intitulé « L’Algérie bientôt en guerre ? » où j’écrivais : « Jamais il n’y a eu dans notre région une concentration aussi importante de forces étrangères qui ne repartiront pas avant d’avoir morcelé la Libye et mis la main sur ses richesses… L’appétit venant en mangeant, les puissances rivales qui se disputent zones d’influence et richesses naturelles à travers le monde voudront aller plus loin et faire connaitre aux pays maghrébins un sort semblable.
Une fois positionnées et durablement installées en Libye et dans les pays du Sahel, ces puissances en viendront forcément au gros morceau de l’Afrique, au pays-continent que constitue l’Algérie. Les anciennes puissances qui l’ont occupée entre le XVIe et le XXe siècle (Empire ottoman devenu Turquie et France) sont sur place.
Ça ne se fera pas du jour au lendemain sous forme d’invasion militaire, mais progressivement, par touches successives, en nous divisant et nous déstabilisant par l’encouragement du séparatisme, la manipulation du djihadisme, l’affaiblissement économique… »
Tebboune a rapproché cette perspective. Haftar, en lui-même, ne constitue aucun danger pour l’Algérie qui le balaierait dans la journée. Il est en camping sur ses terres, au plus près des nôtres, juste pour narguer Tebboune.
Mais si un incident éclatait aux frontières où les deux armées se font face désormais, déclenchant une guerre qui pourrait très rapidement devenir internationale, les observateurs les plus cléments envers l’Algérie en rendraient responsable son président. Lequel président avait pris le soin auparavant de fragiliser comme jamais son pays en lui imposant une Constitution rejetée et un parlement qui ne servira qu’à attiser chaque jour un peu plus la colère populaire.