Les images ont fait le tour des réseaux sociaux ce jeudi. Huit adolescents algériens, tous mineurs, ont réussi à rejoindre l’île d’Ibiza après avoir dérobé une embarcation (celle-ci appartiendrait au père de l’un des adolescents) à Tamentfoust, ex-La Pérouse), sur la côte est algéroise.
L’arrivée de ces adolescents algériens sur les plages espagnoles, filmée et diffusée en ligne, a été mise en scène comme un exploit : des jeunes rieurs, soulagés, célébrant leur traversée sans encombre.
Mais ce récit d’aventure ne peut occulter la réalité plus sombre d’une hémorragie humaine marquée par les tragédies. Dimanche dernier, une autre embarcation, partie de Cherchell avec huit passagers, a connu un sort dramatique. Après trois jours à la dérive près d’Ibiza, six survivants ont pu être secourus mercredi. Deux jeunes, submergés par le désespoir, se sont jetés à la mer avant l’arrivée des secours. Leurs corps n’ont pas été retrouvés.
Ces histoires contrastées – l’euphorie de l’arrivée pour certains, le silence tragique de la disparition pour d’autres – illustrent la persistance d’un phénomène qui ronge la société algérienne : la harga.
Derrière l’apparente témérité des candidats à l’exil se cache surtout un constat implacable : l’incapacité des autorités à créer les conditions socio-économiques susceptibles de retenir cette jeunesse. Chômage massif, inflation, logement inaccessible, sentiment d’étouffement politique et absence de perspectives se conjuguent pour alimenter un désenchantement profond. La Méditerranée devient alors, malgré les risques connus, une route de survie.
https://twitter.com/faridmca1921/status/1964685988283961474
Les politiques publiques, souvent réduites à des mesures conjoncturelles ou à des campagnes sécuritaires contre les passeurs, n’ont pas réussi à endiguer le phénomène. Pire encore, elles paraissent déconnectées des aspirations d’une génération qui rêve d’ailleurs, non pas par goût de l’aventure, mais par nécessité.
En Espagne, les arrivées se succèdent, révélant au grand jour la vulnérabilité de centaines de jeunes Algériens qui préfèrent braver la mer plutôt que l’incertitude d’un avenir chez eux. En Algérie, chaque départ met à nu le malaise d’un pays riche en ressources mais incapable, pour l’heure, de transformer ce potentiel en espoir tangible.
Ainsi, derrière chaque embarcation, qu’elle arrive à destination ou sombre dans l’oubli et le silence des profondeurs de la Méditerranée, se joue le récit d’un double échec : celui d’une jeunesse contrainte à l’exil, et celui d’un pouvoir qui peine à créer les conditions nécessaires pour la retenir.
Samia Naït Iqbal