Depuis les années 2020, le phénomène Harraga avait pris une telle ampleur que le virus du départ vers d’autres contrées avait fini par gagner toute la jeunesse algérienne.
Pendant que, pour perpétuer la rapine, les militaires venaient de désigner Abdelmadjid Tebboune Président de la République pour succéder à Bouteflika. Ce dernier ayant été emporté par le mouvement citoyen Hirak qui avait ébranlé le pays d’Est en Ouest, du Nord au Sud, pendant plus d’un an. Un mouvement flamboyant qui avait failli emporter le système rentier du FLN, ce parti unique qui a confisqué l’Algérie et transformé le pays en prison à ciel ouvert.
Harraga 2033 : Alger-Amsterdam, aller simple pour l’enfer (2)
En ce début des années 2030, Tebboune est à son troisième mandat quand l’Europe décide de stopper l’immigration légale et illégale en raffermissant les conditions d’expulsion de tout étranger sans papiers. Même pour les nouveau-nés, le droit du sol est désormais supprimé. L’Europe vieillissante se cloître de plus en plus et laisse l’Afrique – et la jeunesse africaine – à l’agonie, après l’avoir pillée, envahi et conquise, au nom d’une pacification perverse, pendant des décennies.
L’année qui avait précédé ses trente printemps, Boussad passe son temps à se renseigner sur les pistes clandestines qu’avaient empruntés ses aînés. Il en avait compris les dangers. Il connaissait la fourchette des sommes demandées par les passeurs. Il fallait brûler ses papiers au cas où il serait pris, une fois arrivé à bon port. Et surtout, il savait que pour prendre la mer, il fallait savoir nager, au cas où l’embarcation de fortune venait à chavirer. Voilà le topo du circuit qu’il fallait suivre pour réussir son coup. Pour autant, rien ne garantissait la réussite.
L’argent ne posait pas trop de problèmes. Malgré la main basse faite par son oncle sur la fortune de son père, il avait réussi à récolter quelques miettes qui l’avaient mis à l’abri du besoin pendant son adolescence. Mais maintenant, il s’agissait de construire sa vie en quittant ce pays où toutes les alternatives sont bouchées. Et si ses chances de réussite se limitent à un sur un million, eh bien, il la tenterait. « Qui ne risque rien, n’a rien », dit le dicton français. Les Français ont réponse à tout.
Le seul handicap de notre harraga en devenir, c’est la natation. Il ne savait pas nager. Où aurait-il bien pu apprendre à flotter sur l’eau, lui, le montagnard génétique ? Mais, se dit-il, combien sont partis sans avoir jamais vu la mer et se sont, malgré tout, retrouvés de l’autre côté de la Méditerranée. Et puis, après tout, il fallait faire confiance à la baraka des ancêtres. Elle ne l’a jamais abandonné jusqu’ici. Pourquoi le ferait-elle maintenant qu’il allait enfin prendre son destin en mains… (à suivre).
Kacem Madani