Est-on responsable des agissements d’un parent ou de qui que ce soit d’autre, aussi indéfendables soient-ils ? La très écrasante majorité répondrait certainement par l’adage, « On ne choisit pas sa famille » ou « on n’est pas responsable d’autrui ». Mais face à cette majorité, il y a ses contradicteurs. Et comme avec un punching-ball les arguments des uns peuvent être contredits par d’autres puis inversement.
Je viens de lire une information à propos d’une enquête du journal britannique Daily Mail. La future patronne du renseignement extérieur britannique, le MI6, serait la petite-fille d’un espion ukrainien qui s’était rallié aux nazis. Un grand-père qui servait dans l’armée soviétique
Blaise Metreweli, 47 ans, venait ainsi d’être nommée mi-juin pour devenir la première femme à diriger le Secret Intelligence Service. L’article nous apprend que peu de choses avaient été divulguées de sa vie personnelle, ce qu’on peut comprendre par la nécessité de l’anonymat d’une personne qui a effectué une bonne partie de sa carrière dans les services secrets de renseignement.
Que son grand-père ait été un espion ukrainien, engagé dans l’armée adverse, n’a en soi qu’une importance marginale. Les histoires d’espions qui ont rejoint l’ennemi sont nombreuses et pour des raisons diverses.
La mission de la petite fille pose effectivement un questionnement que je peux comprendre, celui que j’ai annoncé au début de cette chronique. Mais seulement le questionnement car pour ce qui est de la réponse et de la suite à donner par l’interdiction d’assumer une telle mission, j’y suis opposé.
Le premier argument de mes contradicteurs serait de me dire qu’être nommée pour un service d’espionnage pour défendre son pays n’est pas enseigner ou être un cadre d’entreprise. Selon eux, cette mission de défense du pays serait incompatible avec l’existence d’un grand-père qui avait trahi le sien.
Notre conclusion légitime sur leur propos est de comprendre que les actions des êtres humains seraient guidées par un comportement existant dans les gènes ?
Ainsi, nous pensons instinctivement aux abominables mouvements racialistes, particulièrement à celui des nazis envers tous les juifs et, ne l’oublions pas, tout ce qui représentait une différence avec la norme aryenne. Les visages et tout le corps, surtout à partir des ossements, étaient mesurés et catalogués pour une pseudo-étude scientifique voulant prouver la dégénérescence de ce qu’ils appelaient une race inférieure.
Là, mes contradicteurs seraient KO ? Pas du tout, ils ont à leur arc une autre explication, celle de l’hérédité par l’éducation familiale ou les conditions sociales. Emile Zola et les autres écrivains du mouvement naturaliste l’avaient bien pensé, notamment avec les deux branches familiales provenant du même ancêtre, l’une ayant réussi, l’autre restant prisonnière de la fatalité par la transmission héréditaire.
Mes contradicteurs rejettent cet argument et affirment qu’il n’a aucun lien avec leur position. Il n’y a rien de génétique pour eux mais il serait peu probable que Blaise Metreweli ait échappée à l’éducation de ses parents, eux-mêmes à celle des grands-parents.
Me voilà dans une impasse, les humanistes ont tellement dit que c’était l’environnement et l’éducation et pas la descendance qui construit une personnalité. Son grand-père, ayant fait partie de son environnement familial, transmise aux parents, aurait forcément influé sur les positions politiques de la petite fille ? Il y aurait ainsi un danger à la nommer dans un poste de responsabilité pour la sécurité nationale.
Ils poussent leur avantage (ou ce qu’ils croient en être un) en me répondant par le fait qu’on n’a que très rarement vu un enfant de dictateur devenir le combattant de la démocratie. Tellement rare qu’ils me défieraient d’en citer un seul. Puis de me mettre en face de l’exemple de Marine Le Pen, fille du plus horrible fasciste et tante d’une jeune femme aux idées encore plus horribles.
Bon sang, ils sont coriaces, mes contradicteurs ! Il faut que je trouve un exemple contemporain contradictoire. Le voilà immédiatement trouvé, celui de Giorgia Meloni. La présidente du conseil des ministres italien était une fervente partisane des idées de Mussolini, le créateur du mouvement fasciste italien. Elle rejoindra tout ce qu’il y a de plus conservateur dans les organisations d’extrême droite. D’abord l’Alliance nationale puis du Peuple de la liberté, partis d’extrême droite ou, plus tard, très conservateurs comme celui de de Sergio Berlusconi.
Mais mieux encore, elle présidera le parti d’extrême-droite et national-conservateur Fratelli d’Italia. Si par la suite elle édulcore un peu son parcours, elle devient néanmoins présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens. Nous connaissons la suite.
Et pourtant elle est la fille d’un militant communiste et d’une mère romancière avec aucune trace d’avoir épousé les idées fascistes. Giorgia Meloni a fait la double preuve que si l’environnement et non la génétique est une forte base des idées futures, elle est le produit d’elle-même et non celui d’une hérédité de son passé antérieur. Car l’hérédité peut se concevoir par les gènes, l’éducation familiale ou le produit d’une opinion personnelle antérieure.
Et maintenant, ils ont KO, mes contradicteurs ? Si les deux premières causes sont à écarter il y a finalement la troisième qui expliquerait tout ? Georgia Meloni, me rétorquent-ils, n’a jamais oublié ses propres racines d’extrême droite héritées de ses propres positions dans sa jeunesse. Mais nous avons encore une arme, l’humain peut changer d’opinion tout à fait légitimement.
Ils ne veulent pas abandonner le combat et nous retournent le punching-ball. Nous serions aveugles, nous disent-ils, de ne pas voir son rapprochement actuel des plus visibles et assumés avec de nombreux leaders populistes d’extrême-droite dans le monde.
Mes chers lecteurs, puisque je ne peux pas sonder les âmes en répondant au troisième argument de mes contradicteurs, il ne me reste qu’à me tourner vers la réponse du droit. Il est toujours l’arbitre en dernier recours.
Et ce droit nous dit que les personnalités juridiques, indépendantes des unes par rapport aux autres, ne peuvent pas entrainer une responsabilité des uns par le fait des autres. Il y a seulement trois cas en exception, la responsabilité du fait des objets, des enfants mineurs et des animaux dont on a la charge.
Hélas, une position juridique qui ne pourrait contester avec certitude le refus d’accorder le poste à Blaise Metreweli. Les profils de recrutement sont le libre arbitre du recruteur, public ou privé. Et même si les responsables du recrutement prennent une décision pour une raison dissimulée et illégale comme celle d’être une femme ou d’être responsable des actes d’un grand-père, qui pourrait le prouver ?
Qui aurait pu prouver que le refus d’accéder au métier d’enseignant aurait été justifié d’avoir eu dans ma jeunesse des pulsions inavouées de commettre l’assassinat de mon professeur de mathématiques en cinquième à Oran ?
Le pauvre monsieur Martinez, qu’il me pardonne !
Boumediene Sid Lakhdar