Notre histoire est marquée par des tragédies aux répercussions profondes, auxquelles peu d’entre nous ont échappé.
Parmi les récits poignants qui témoignent de cette période sombre, celui de Saâda, une survivante à l’âge de sept ans du massacre qui a décimé sa famille ainsi que les habitants des hameaux voisins sur des kilomètres, se démarque particulièrement.
Le parcours de cette jeune femme nous offre un regard singulier sur la résilience humaine, ainsi que sur les cicatrices collectives laissées par la décennie noire. Son témoignage, j’en suis intimement convaincu, n’est pas simplement une nouvelle narration sensationnaliste à la Dahdouh. Il s’agit d’un témoignage authentique, qui incarne des réalités brutales et des expériences vécues qui ont marqué à jamais son existence.
Il est crucial de ne pas sous-estimer l’ampleur de ce que Saâda représente. Elle est bien plus qu’une simple victime ; malgré elle, Saâda est un symbole pour toute une génération qui a dû survivre à l’indicible, affrontant des événements qui défient l’entendement humain.
Elle est l’une de ces voix qui ne doivent jamais être étouffées par les silences imposés ou les mensonges d’État. Saâda porte en elle la nécessité de témoigner, pour que la vérité soit connue et que les souffrances ne soient jamais oubliées.
Cependant, la parole de Kamel Daoud me semble être davantage celle d’une victime que celle d’un témoin. Les journalistes de l’époque étaient souvent confrontés à des situations pour lesquelles ils n’étaient pas préparés, notamment un rôle de correspondant en pleine guerre civile, bien plus complexe que celui d’un correspondant de guerre classique, et pour lequel ils n’étaient ni formés ni préparés. Ils ont dû apprendre sur le tas, tout en affrontant la terreur et l’incertitude au quotidien.
De plus, ils étaient idéologiquement fragilisés par les divisions internes et physiquement ciblés par les forces islamistes, ainsi que par la répression étatique. Cela rend leur travail d’autant plus héroïque : malgré le manque de ressources, la menace constante, et une pression politique immense, ils ont continué à rapporter la vérité, même si cette vérité était souvent déformée ou censurée par des intérêts supérieurs.
Dans l’approche de l’affaire Houris, il me semble qu’il faut s’intéresser à la parole des victimes, Saâda et Kamel, et évacuer les pseudo-démarches civiles de censure mémorielle au nom « des victimes du terrorisme » (voilà un point d’évacué !).
Saâda : survivre à l’indicible
Enfant des monts de Relizane, aux confins de la 1ère et de la 2ème Région militaire, Saâda fut victime d’une nuit d’horreur où elle fut égorgée aux côtés de sa sœur. « Les Émirs, les Princes, excellaient à brûler les enfants durant cette guerre dont personne ne peut jurer des faits aujourd’hui. Les brigades ont brûlé des nouveau-nés dans des fours de cuisine, éventré des femmes, décapité des têtes pour les poser au seuil des maisons, et égorgé des fillettes pour le plaisir de Dieu. À la fin de l’année 1999, deux d’entre elles s’étaient enroulées dans une grosse couverture surmontée d’un dessin de tigre alors que l’année et le siècle expiraient dans un bruit de papiers et de vent sur le toit. L’une a fermé les yeux et les a réouverts à Oran, l’autre ne les ouvrira plus jamais. » (Houris, Kamel Daoud, éditions Gallimard 2024)
Retrouvée agonisante, Saâda fut transportée au CHU d’Oran et prise en charge par le professeur Zahia Mentouri-Chentouf, pédiatre renommée et ancienne ministre de la Santé sous Boudiaf. Ce lien médical devint rapidement filial : « Toute sa famille, des bergers, avait été massacrée par une milice du FIS. Elle, âgée de sept ans, avait été laissée pour morte, la gorge tranchée. Elle a passé huit mois dans l’unité de soins intensifs pour enfants. Mon mari et moi l’avons adoptée. » (Interview Z. Mentouri https://www.groene.nl/artikel/het-verdriet-van-algerije). Zahia offrit à Saâda non seulement des soins médicaux, mais également un foyer et une chance de se reconstruire. Leur relation, teintée d’amour protecteur mais aussi marquée par les traumatismes respectifs de ces deux femmes, témoigne des blessures profondes laissées par l’histoire.
Sans aucun doute, Saâda a transformé sa douleur en force, devenant championne nationale d’équitation et bâtissant une vie marquée par une résilience remarquable. Pourtant, le décès de Zahia Mentouri en 2022 raviva ses fragilités, révélant la précarité d’un équilibre durement acquis.
Les massacres de Had Chekala et Ramka : une tragédie occultée
Les massacres de Had Chekala et de Ramka, survenus à la fin de 1997 et au début de 1998, incarnent l’une des pages les plus sombres de notre histoire. Plus de 1 000 victimes périrent dans une brutalité inouïe. Ces atrocités, longtemps minimisées ou censurées, révèlent l’abandon des populations rurales, alors que la priorité était à la sécurisation de l’Algérie officielle et de l’Algérie utile. Ces populations se retrouvaient prises en étau entre les groupes islamistes et les forces de sécurité.
Kamel Daoud, adepte de formules, a surnommé Had Chekala « Had Denia », traduisant « Denia » par Vie, et non Terre ou Lieu. De retour de ce bout du monde, Kamel Daoud informe sa rédaction de l’ampleur du massacre, évoquant les 1 000 morts. Ses collègues sceptiques doutent, car les chiffres officiels sont bien moindres ; le journal titre alors des dizaines de morts. Il faudra attendre mars 2006 pour qu’Ahmed Ouyahia reconnaisse la véritable ampleur du carnage. Lorsque des années plus tard, il croise le destin de Saâda, il est à parier que c’est dans son propre traumatisme qu’il replonge, d’où, probablement, l’irrésistible besoin d’écrire l’histoire de Saâda comme exutoire de sa propre histoire.
Houris a pu être construit à partir de tant d’autres cas. celui de Saada n’est pas unique. La page, Adjouad Algérie, animée par Nazim Mekbel donne à connaître tant de cas de victimes et de situations ! Mais c’est le cas de cette enfant qui habite Kamel Daoud, parce que, comme il le disait en 2006, « Vous pouvez habiter longtemps un endroit, mais un endroit peut vous habiter encore plus longtemps. » et Had Chekala habite Kamel Daoud à lui faire perdre bien des repères et à nous amener à une grande indulgence, y compris au sujet de son soutien passé à la loi scélérate de Bouteflika.
L’impératif d’un travail de mémoire et le respect de la parole des victimes
Il est impératif de mener un travail de mémoire profond pour honorer les victimes et comprendre pleinement la vérité de cette période sombre. Le respect de la parole des victimes, comme celle de Saâda et tant d’autres, est essentiel pour manifester la vérité et espérer une réconciliation véritable de l’Algérie avec elle même et sa trajectoire émancipatrice. C’est uniquement en reconnaissant la souffrance individuelle, y compris celle de Kamel Daoud, et en préservant la mémoire collective que l’Algérie pourra espérer avancer vers un avenir de justice et de paix durable.
Mohand Bakir
Il ne faudrait chercher du rationnel là où il n’existe pas ! Il n’y a ni méthode ni réflexion chez les tenants de ce régime anachronique.
Quand on donne un micro à un ou une damnée de la terre, c’est qu’il y a derrière cet esprit dahdouh. L’idée n’est pas de venir en aide à cette victime, mais d’échafauder un scénario contre cette improbable main étrangère qui aurait utilisé le Goncourt pour nuire à cette honte du 21eme siècle localisée selon l’APS en Afrique du nord alors qu’elle se situe au moyen-âge.
En quoi les faits contenus dans un récit littéraire nuiraient à une supposée victime du terrorisme islamiste et/ou d’état ? Depuis quand la littérature représentait quelque chose aux yeux des tenants de ce régime malvoyant ?
Les dés ont été pipés en 62 quand des touristes planqués au Maroc et en Tunisie, pendant que d’autres se sacrifiaient à l’intérieur, ont pris le pouvoir par la force pour que dans ce territoire, quelques années plus tard émergent des têtes comme celles de abassi madani et ses acolytes et tous ces généraux sans scrupules…c’est ici la plus longue de toute les tragédies