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« Histoire de ma vie » : exil et quête identitaire de Fadhma Ath Mansour

Une lecture approfondie de Histoire de ma vie de Fadhma Ath Mansour convoque une intertextualité philosophique et religieuse pour révéler la profondeur spirituelle qui anime cette œuvre.

À travers un prisme théologique, notamment celui de Saint Augustin, l’autobiographie de Fadhma prend des dimensions insoupçonnées, où l’exil, la quête identitaire, et l’angoisse de la séparation dialoguent avec des thèmes augustiniens universels : l’âme en quête de rédemption, la recherche d’un ordre supérieur, et la tension entre la chair et l’esprit.

1. Le récit comme quête intérieure : des confessions à l’exil

Fadhma Ath Mansour, à travers son autobiographie, semble s’inscrire dans une lignée augustinienne. À l’instar de saint Augustin dans ses Confessions, l’auteure kabyle nous offre le récit d’un retour sur soi, d’une exploration intime de son être, où le souvenir et la mémoire deviennent des outils de compréhension de la vie spirituelle.

Saint Augustin, en théorisant la mémoire comme une faculté centrale de l’âme humaine, un lieu où résident non seulement les images du passé mais aussi les idées qui orientent l’esprit vers Dieu, nous permet de lire Histoire de ma vie comme une méditation sur l’exil non seulement géographique, mais aussi spirituel. Ce lien entre le temps passé et l’âme en exil est fondamental dans la narration de Fadhma.

L’émigration, au cœur de son récit, prend ici des résonances augustiniennes : ce n’est plus seulement une fuite ou une contrainte matérielle, mais un cheminement intérieur. En quittant son pays, Fadhma se lance dans une quête identitaire qui reflète le déracinement originel de l’homme, tel que le conçoit saint Augustin : une âme en exil sur cette terre, à la recherche de la patrie céleste. Il est pertinent de souligner ici l’écho avec l’exil augustinien qui, dans ses Confessions, s’exprime par ce désir ardent de retrouver l’intimité divine, de s’arracher au péché qui éloigne l’âme de sa véritable destination.

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2. Le rôle de la souffrance et du silence de Dieu

Fadhma, comme saint Augustin, fait face à des périodes de profond doute et de souffrance. Dans son récit, la douleur de la séparation avec sa famille, son peuple et ses origines résonne comme une forme d’épreuve divine. Ici, nous pouvons établir un parallèle avec la nuit obscure de saint Jean de la Croix et le silence de Dieu auquel saint Augustin fait allusion dans les moments de détresse spirituelle.

L’exil de Fadhma n’est pas simplement une souffrance liée à la perte d’un foyer physique, mais une métaphore de l’absence de réponse divine face à ses tourments intérieurs.

Pourtant, comme dans les Confessions, ce silence n’est pas signe d’abandon, mais plutôt une invitation à l’éveil spirituel. Dans ce contexte, la foi de Fadhma, bien qu’évoquée avec retenue, peut être mise en relation avec le saut dans l’inconnu dont parle Kierkegaard. Tout comme l’angoisse du penseur danois face au silence de Dieu trouve sa résolution dans l’abandon total à la foi, Fadhma semble, elle aussi, accepter son destin en élevant la souffrance à un niveau transcendant.

Son récit n’est pas celui d’une révolte, mais d’une résignation qui s’apparente à la soumission augustinienne à la volonté divine, une attitude qui rejoint également les pensées de Pascal sur le pari de Dieu.

3. Mémoire, langage et rédemption : la dialectique de l’identité

Il est également crucial de souligner la centralité du langage et de la mémoire dans la rédemption, tant chez Fadhma que chez saint Augustin. Pour ce dernier, la mémoire est le lieu où l’homme retrouve les traces de Dieu.

Chez Fadhma, la langue kabyle, matrice de son identité, joue un rôle similaire. Écrire en français tout en parlant de sa langue maternelle est pour elle un acte de réconciliation avec une mémoire blessée. Elle fait de sa langue natale un refuge, une patrie imaginaire, tout comme saint Augustin retrouve la trace divine dans sa propre intériorité.

De ce point de vue, la relation que Fadhma entretient avec la langue rejoint la conception augustinienne du Verbe : ce langage qui permet à l’homme de réintégrer l’ordre divin. La structure narrative elle-même de Histoire de ma vie est révélatrice d’une tension entre passé et présent, entre la vie vécue et la vie remémorée.

Cette dialectique du temps, qui est au cœur des Confessions de Saint Augustin, trouve ici un écho littéraire puissant. Le récit de Fadhma, écrit en français, mais profondément marqué par la culture kabyle, devient un pont entre deux mondes, une tentative de retrouver un ordre perdu, de rétablir une continuité entre le passé et le présent, entre l’exil et le retour.

4. L’élévation de l’âme à travers l’exil

Enfin, dans une perspective plus mystique, l’exil de Fadhma pourrait être vu comme une analogie de l’ascension de l’âme vers Dieu, telle que la décrit saint Augustin dans ses écrits théologiques. L’exil physique est l’expression d’un exil plus profond, celui de l’âme qui cherche à transcender les limitations de ce monde matériel.

Chez Fadhma, la séparation douloureuse de sa terre natale prend alors une dimension métaphysique, marquée par une aspiration à une union plus élevée, une quête de plénitude qui, au-delà de la souffrance, évoque le désir augustinien de retrouver Dieu.

5. L’œuvre de Fadhma Ath Mansour, bien qu’apparemment enracinée dans un contexte particulier de colonisation et d’exil, se révèle donc universelle par la profondeur des questionnements qu’elle soulève. En se plaçant dans une lignée intertextuelle qui va de Saint Augustin à Kierkegaard, en passant par Pascal, elle transcende les limites de l’autobiographie pour rejoindre les grandes œuvres de la littérature spirituelle et philosophique.

Son récit, par la multiplicité de ses résonances, nous rappelle que l’exil n’est pas seulement une expérience historique, mais aussi une condition existentielle, partagée par tous ceux qui, comme Saint Augustin, cherchent à retrouver leur véritable demeure dans la lumière divine.

Ainsi, Histoire de ma vie peut être lu comme une œuvre d’exil et de réconciliation, à la fois personnelle et universelle, un miroir de la condition humaine en quête de sens et de salut.

Bouzid Amirouche

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