Le but de cette chronique n’est pas de nous jeter dans l’arène du combat qui fait rage entre les partisans de Kamel Daoud et ses détracteurs, mais de donner un avis sur « Houris », le livre qui lui a valu le prix Goncourt.
Ce que d’aucuns semblent ignorer, c’est qu’en osant traiter d’un sujet lié à la décennie 1990, Kamel tombe sous le coup d’une loi qui le condamnerait à cinq ans de prison ferme si jamais l’idée folle de rentrer au pays le prenait. Par cette œuvre, Kamel sait qu’il se condamne à l’exil. Il devient ainsi le porte-voix lucide de nos coups de gueule contre le pouvoir et les islamistes.
Comme on s’en doutait, « Houris » est un rétroviseur ajusté sur « la guerre contre les civils » et non pas la guerre civile comme il est coutumier de la désigner. Le nombre de 200 000 morts ne donne pas la distribution entre les victimes. Combien de militaires sont tombés et combien de tangos ont été éliminés ? On ne le saura jamais ! car ces deux belligérants se sont adonnés à un jeu de massacre des civils, chacun essayant de les faire endosser à l’autre. Il est quasiment impossible que le nombre de militaires tués dépasse quelques milliers, comme il est tout aussi improbable que le décompte des victimes islamistes dépasse la dizaine de milliers. L’écrasante majorité des victimes sont des civils. Et là se pose l’éternel question « qui a tué qui ». Se réfugier dans la sempiternelle formule « ceux sont des Algériens qui ont tué d’autres Algériens » ne suffit pas, ne suffit plus !
Même si, on a un peu de mal (je parle pour moi, évidemment) à s’accrocher à l’histoire dès les premières pages, on est vite rattrapé par le style poétique de notre intellectuel. À tel point que le livre se dévore d’une traite.
À travers l’histoire d’Aube, le personnage principal, c’est le destin peu enviable de la femme musulmane, en général, et de l’Algérienne, en particulier, qui est superbement décrit.
Non seulement Kamel réussit à nous replonger dans toutes les horreurs de la décennie noire, mais il le fait en ciselant les mots avec une précision d’horloger. Même les scènes les plus cruelles sont mises en relief avec une phraséologie poétique. Seul le verbe égorger (par ce qu’il n’a pas de synonyme) domine tout au long du texte. Mais ne faut-il pas appeler un chat, un chat après tout ? Nous le savons tous, et qui peut décemment l’oublier, des rivières de sang ont coulé, des jeunes filles violées, des femmes éventrées, des vieux, des jeunes, des femmes, des enfants, des bébés ont été trucidé san états d’âme. Toutes les composantes de la société ont payé le prix fort dans cette guéguerre stupide.
Alors comment diable ose-t-on nous interdire de nous souvenir en faisant en sorte de faire semblant que la décennie 1990 n’a jamais existé dans l’histoire du pays ? À l’allure où vont les choses, on va bientôt la supprimer du calendrier en la faisant enjamber par les années 1980 ! Ils en sont capables !
Pour dire un mot sur les polémiques, certains de nos intellectuels les plus respectés se sont lancés dans des diatribes inimaginables contre l’auteur sans même, de leurs propres aveux, avoir lu ou feuilleté le livre, allant jusqu’à traiter l’auteur « d’indigéniste » ! ?
Ce n’est pas sérieux ! Et, à mon avis, le sens donné par notre intellectuel à ce qualificatif est diamétralement opposé à son sens absolu !
« Houris » est une symphonie mélancolique angoissante par sa justesse de ton sur fond de perfection syntaxique !
Bravo et Félicitations Kamel ! Merci de la fierté que tu distille en nous chaque fois que tu dénonces la bêtise des hommes !
D’aucuns te reprochent certains dérapages, mais après tout, qui peut prétendre à une dialectique linéaire en permanence ? Surtout dans ce monde virtuel où la moindre information est noyée dans un océan d’intox.
Kacem Madani