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Human Rights Watch dresse un bilan sévère des violations des droits humains en Algérie

Etudiants algériens

Depuis la fin des manifestations du Hirak, le régime réprime toute voix dissidente.

Dans la 35e édition de son Rapport mondial, Human Rights Watch analyse les pratiques relatives aux droits humains dans près de 100 pays. Dans une grande partie du monde, écrit la directrice exécutive Tirana Hassan dans son essai introductif, les gouvernements ont réprimé, arrêté et emprisonné à tort des opposants politiques, des activistes et des journalistes. L’Algérie est en haut de l’affiche.

L’Algerie a été sévèrement mise en cause

C’est un truisme que de dire qu’il n’y a plus aucune liberté en Algérie. Le rapport de Human Right Watch le rappelle aussi. Les autorités algériennes ont continué d’écraser la dissidence et de verrouiller l’espace civique en réprimant les voix critiques et en restreignant les libertés d’expression, de la presse, d’association, de réunion et de mouvement.

Le président Abdelmadjid Tebboune a été « réélu » à la faveur d’un scrutin frauduleux pour un second mandat en septembre dans un climat de répression et de musellement des médias, et en l’absence d’un véritable débat politique.

Les autorités continuent de réprimer les voix critiques, notamment dans les médias, en poursuivant en justice des activistes, des journalistes et des avocats pour l’expression pacifique d’opinions.

Les autorités ont durci la législation pénale et continuent de se servir de lois répressives – notamment de leurs dispositions antiterrorisme – contre toute dissidence. La preuve : Il y a près de 240 prisonniers d’opinion en Algérie.

Élection présidentielle

Abdelmadjid Tebboune a été « réélu » -selon la propagande officielle – pour un second mandat avec 84,3 % des voix lors du scrutin du 7 septembre. Pendant la campagne électorale, des dizaines de personnes ont été arrêtées pour leurs déclarations ou activisme pacifique, selon Zakaria Hannache, un défenseur des droits humains qui suit de près la situation. Tebboune avait accédé pour la première fois à la présidence en décembre 2019, après une élection présidentielle à faible taux de participation qui avait été contestée par les manifestations pacifiques du mouvement Hirak et suivie par les arrestations de dizaines d’activistes. Ici et ailleurs, il est de notorité publique que c’est l’ancien chef d’Etat-major, Ahmed Gaïd Salah qui l’avait intronisé à la présidence. La présidentielle était de la poudre aux yeux destinée à tromper quelquers chancelleries acquises et les derniers crédules.

Liberté d’expression

Les autorités continuent de réprimer la liberté d’expression. Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées en lien avec l’exercice de leurs droits fondamentaux, dont des activistes, des avocats, des journalistes et des utilisateurs des réseaux sociaux, selon Hannache.

Dans ses nombreux rapports trimestriels de 2024, l’ONG Riposte internationale a aussi rapporté les nombreux cas de violations des libertés.

L’activiste Mohamed Tadjadit a été encore une fois arrêté il y a quelques jours. Sa famille est sans nouvelles de lui. Ce poète et activiste du Hirak a été harcelé par les forces de sécurité et emprisonné plusieurs fois depuis 2019. Il a été arrêté en janvier 2024 et placé en détention pour « apologie du terrorisme » et « utilisation de technologies de la communication pour soutenir des actions et des activités d’organisations terroristes ». Il a été remis en liberté par décret présidentiel le 31 octobre dernier, à l’occasion du 70ème anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance de l’Algérie.

Le 23 juillet, un tribunal d’Alger l’a condamné, dans une affaire distincte, à six mois de prison pour « publications susceptibles de nuire à l’intérêt national » et « incitation à un attroupement non armé ».

Le 4 juillet, l’artiste franco-algérienne Djamila Bentouis a été condamnée à deux ans de prison assortis d’une amende par un tribunal d’Alger, en lien avec une chanson qu’elle avait composée et dans laquelle elle dénonçait la répression des manifestations du Hirak. Bentouis a subi un interrogatoire à l’aéroport en rentrant en Algérie en février et a été placée en détention le 3 mars.

Elle a été inculpée en vertu de la législation anti-terroriste, puis déclarée coupable d’avoir « porté atteinte à l’intérêt national » dans des vidéos et d’« incitation à un attroupement non armé ». Des experts de l’ONU ont exhorté la Cour d’appel d’Algérie à annuler la peine de prison de Bentouis et à la blanchir de tous les chefs d’accusation. Le 2 octobre, sa peine a été réduite en appel à 18 mois de prison.

Le 6 août, un activiste politique membre du parti suspendu MDS (Mouvement démocratique et social), Yacine Mekireche, a été arrêté et placé en détention pour des publications sur Facebook. Il a été inculpé de « propagation de discours de haine » et « incitation à un attroupement non armé ». Il a été condamné en novembre à six mois de prison.

Liberté de la presse

Les autorités ont continué de réprimer la presse et d’arrêter et emprisonner des journalistes uniquement pour avoir exercé leur métier. Reporters sans frontières a classé l’Algérie 139ème sur 180 pays dans son baromètre de la liberté de la presse pour 2024, trois rangs plus bas qu’en 2023.

En janvier, un tribunal de Constantine a condamné une journaliste indépendante, Fouzia Amrani, à un an de prison – peine ultérieurement réduite à huit mois – pour « outrage à fonctionnaire ».

Le 27 juin, le directeur du site d’information Algeria Scoop, Omar Ferhat, et son rédacteur en chef, Sofiane Ghirous, ont été arrêtés pour la diffusion d’une vidéo critique des autorités et poursuivis pour « propagation d’un discours de haine », selon le Comité national pour la libération des détenus.

Le 13 juin, la Cour d’appel d’Alger a confirmé la dissolution d’Interface Médias, l’agence média créée par le journaliste Ihsane El Kadi, qui a été emprisonné pendant près de deux ans, pour avoir « exploitation d’un service de communication audiovisuelle sans autorisation ». El Kadi Ihsane, Ferhat et Ghirous ont été libérés par décret présidentiel le 31 octobre.

Libertés d’association et de réunion

Les autorités algériennes ont réprimé des rassemblements organisés. Elles ont empêché l’association SOS Disparus, qui représente les familles de milliers de personnes disparues entre 1992 et 2002, d’organiser à Alger deux événements relatifs aux droits humains en février et en mars.

Le 29 juin, les forces de sécurité ont fait irruption dans une librairie de Béjaïa, lors de la présentation d’un livre édité par Koukou éditions, l’empêchant d’avoir lieu. Le livre n’avait pas été interdit mais les autorités ont quand même ordonné la fermeture de la librairie, affirmant que l’événement était interdit. Elles ont arrêté tous les participants, dont l’autrice, son éditeur et le libraire, avant de les remettre en liberté quelques heures plus tard, selon l’éditeur.

Le 10 juillet, un avocat et défenseur des droits humains, Sofiane Ouali, a été arrêté après avoir organisé un sit-in devant le tribunal de Béjaïa pour protester contre la détention arbitraire de sa cliente, l’activiste politique Mira Moknache. Me Ouali a été mis en liberté provisoire le 18 juillet mais il fait l’objet de poursuites au pénal basées sur des chefs d’accusation relatifs au terrorisme. Quant à l’universitaire Mira Mokhnache, elle a été placée en détention provisoire.

Le 20 août, les forces de sécurité ont empêché de nombreuses personnes qui s’étaient rendues au village d’Ifri Ouzellaguen pour la commémoration d’un épisode historique de la guerre d’indépendance algérienne d’accéder au site. Elles ont arrêté plusieurs personnes, dont des activistes du parti politique Rassemblement pour la culture et la démocratie, selon une avocate.

En mai, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a présenté son rapport à la suite d’une visite en Algérie en 2023, dans lequel il documentait « la répression et l’intimidation de personnes et d’associations qui sont des critiques du gouvernement ». Il a appelé les autorités à respecter les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ; à lever les interdictions de voyager imposées à certains acteurs de la société civile ; à abandonner les poursuites engagées contre des personnes ayant exercé leur droit aux libertés de réunion pacifique, d’association ou d’expression ; et à supprimer du code pénal l’article 87 bis sur la lutte contre le terrorisme, qui est utilisé « de manière inappropriée » contre des défenseurs des droits humains, des activistes et des journalistes.

Liberté de mouvement et interdictions de voyager

Depuis 2022, les autorités algériennes ont intensifié leur recours à des interdictions de voyager arbitraires pour étouffer la dissidence. Quoique ces interdictions soient souvent ordonnées par un procureur de la République, leurs durées de validité ne sont presque jamais appliquées, ce qui les rend presque permanentes.

En avril, le journaliste Mustapha Bendjama, emprisonné pour des motifs politiques de février 2023 à avril 2024, a été arbitrairement empêché de se rendre en Tunisie.

Dans un autre cas de restriction de la liberté de mouvement, le journaliste algérien Farid Alilat a été arbitrairement empêché d’entrer en Algérie en avril. Il a affirmé avoir été retenu plusieurs heures et soumis à un interrogatoire par les services de sécurité à l’aéroport d’Alger avant d’être renvoyé en France, où il réside. Le ministre de la Communication, Mohamed Laagab, a déclaré qu’Alilat avait été interdit d’entrée parce que le média pour lequel il travaille avait pris « des positions inamicales » envers l’Algérie.

Lois abusives

De nouveaux amendements au code pénal promulgués le 6 mai ont renforcé le caractère répressif de la législation existante. Ces nouvelles dispositions criminalisent des actes à la définition vague, comme « divulguer des informations jugées sensibles pour la sécurité nationale, la défense ou l’économie », « porter atteinte à l’image des services de sécurité » ou « tout acte de nature à décourager l’investissement ».

Les autorités, qui ont élargi une définition déjà très large du terrorisme en juin 2021 et établi une liste d’entités et d’individus « terroristes », ont accru depuis lors leurs recours à des chefs d’inculpation relatifs au terrorisme pour étouffer la dissidence pacifique. Le 16 novembre, les forces de sécurité ont arrêté l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à l’aéroport d’Alger. Par la suite, les autorités l’ont poursuivi sur la base d’accusations liées au terrorisme.

Une nouvelle loi sur l’industrie cinématographique est entrée en vigueur le 29 avril, renforçant encore le contrôle des autorités sur la production de films et instaurant une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans pour quiconque financerait ou travaillerait à la production de films qui ne se conformeraient pas à des critères vagues comme « les valeurs et constantes nationales », « la souveraineté nationale », « l’unité nationale » ou « les intérêts suprêmes de la nation ».

Droits des migrants

Les autorités algériennes ont continué d’expulser arbitrairement et collectivement des migrants de diverses nationalités africaines, dont des femmes et des enfants, en les abandonnant dans des conditions dangereuses dans le désert à la frontière avec le Niger, souvent sans examen des cas individuels et en l’absence de procédures régulières, et en leur infligeant en outre de mauvais traitements. Entre janvier et août, l’Algérie a expulsé près de 20 000 personnes vers le Niger. Au moins huit personnes auraient péri à la suite de ces expulsions.

Samia Naït Iqbal

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