C’est la fin de la prière, le tram est bondé. Le qamis et la barbe hirsute dominent dans chaque wagon. Fiers d’avoir accompli leur devoir du vendredi, des jeunes en gandoura sont assis. Une femme en voile blanc algérois est debout en déséquilibre sous l’indifférence de nos jeunes pratiquants.
Trop préoccupés à faire le décompte des hassanat(rétributions divines) récoltées lors de cette prière collective. Assis aussi, Hamid se lève et lui cède sa place :
– Rayhi ya yemma ! (Assieds-toi, mère !)
– Baraka Allah ou fik Ya oulidi ! (Qu’Allah te bénisse mon enfant !) Tu as vu ça ? aucun jeune ne s’est levé pour laisser sa place à une dame qui aurait pu être leur grand-mère. Ya3tik assaha ! (Merci beaucoup !) Mazal r’djel fi l’bled ! (Il reste encore des hommes dans ce bled !)
– Ya yemma h’na rabawna, el-koufar ! (Mère, nous, ce sont les mécréants qui nous ont éduqués !) dit, en blaguant, Hamid, s’attendant à être grondé.
Le plus sérieusement du monde, la dame en rajoute une couche et rebondit à voix haute pour que tout le monde l’entende :
– Eh ! eh ! goulha ou 3awad ha ! (Oui ! oui ! tu peux le dire et le répéter !) Depuis qu’ils sont partis, il n’y a plus de respect !
La station de métro est proche de la Grande mosquée d’Alger. Elle est pleine à craquer. C’est l’heure de la sortie, le tarawih est fini.
Comme il n’est que 16 h 30, ils attendent patiemment sur les quais. Les rames succèdent aux rames, mais les quais ne désemplissent pas.
– C’est une marée humaine, commente Ibrahim.
– Tu te rends compte, s’ils utilisaient l’énergie des cinq prières pour nettoyer chacun devant sa porte, Alger serait la capitale la plus propre au monde.
Vers 17 h, ils prennent place. Direction rue d’Isly. Kamel les attend au seuil de son immeuble. Ils lui expliquent rapidement la signification de cette ISTN dont il n’avait jamais entendu parler et prennent la besace qu’il avait préparé : deux bouteilles de vin et la bouteille de whisky, à moitié vide, bien dissimulées dans un carton à l’intérieur du sac pour ne pas éveiller de quelconques soupçons. Ça fera l’affaire.
Vers 21 h, Ibrahim ose enfin appeler chez lui pour ne pas trop inquiéter sa femme et ses enfants qui s’impatientaient. Elle a dû guetter son arrivée toute l’après-midi. Pour ne pas l’effrayer, il n’ose pas lui dire la vérité :
– Allo, Yes, i’ts me ! (Oui, c’est moi !) Je suis encore à Alger. Il y a grève des contrôleurs aériens, invente-t-il, sans réfléchir. J’appellerai dès que je suis fixé.
Ibrahim raccroche. En état d’ébriété avancé, il éclate en sanglots…(à suivre).
Kacem Madani