Anéanti, il fait part de ses problèmes d’insomnies à ses codétenus.
– Ici, on est tous shootés au Laroxyl, lui dit-on. On peut te refiler quelques gouttes, en attendant.
Ibrahim accepte, mais il ne dort pas pour autant. La nuit, il est agité. Saisit par la fièvre et les frissonnements, il claque des dents. Il délire. On sollicite le surveillant de nuit pour appeler le médecin.
– Il faut attendre demain ! tonne avec fermeté le gardien de permanence, de l’extérieur de la cellule. Dormez et vous oublierez vos maux. Demain matin, le médecin sera là. On ne va tout de même pas le déranger à cette heure-ci, pour si peu. Une simple fièvre, ça se soigne avec un cachet d’aspirine. Donnez-lui-en !
Le gardien feint d’ignorer que les médicaments sont distribués de façon stricte par le médecin en question.
Lieux façonnés en geôles aux barres d’acier
Portes sur nous bien verrouillées
À nos plaintes égosillées, ils tonnent à haute voix
Fermez-là tant que nous sommes là.
(Amacahu, Lounis Aït Menguellet).
Croyant, à tort, faire baisser les frissons et la température, ses compagnons d’infortune l’entassent sous des tonnes de couvertures. Il transpire en flots continus, mais ni les tremblements ni les délires ne s’estompent.
Au petit matin, il ne bouge plus. On le secoue. On lui parle. Rien à faire. Il est inerte. Il est froid. Il avait rendez-vous avec la mort. C’était son destin, c’était son sort. Ce mektoub responsable de tous les torts.
Encore une fois, la presse aux ordres se courbe et se tait. La nouvelle parvient à la rédaction du Le Matin d’Algérie. Sofiane Ayache ne retient pas son indignation. Il fulmine et assène :
« Ibrahim Lamine n’est plus : les assassins de l’ordre l’ont tué.
Parlons peu, mais parlons vrai !
De ces crimes gratuits, y’en a plus qu’assez !
Osons relever et dire stop à l’insensé !
Professeur Lamine est mort parce que le clan des colons d’Oujda adhère à la suprématie de la Oumma.
Professeur Lamine est mort parce que pour entraver tout autre choix, on décrète « islam religion d’État.
Professeur Lamine est mort parce que juges et substituts raisonnent en versets et appliquent la Charia.
Professeur Lamine est mort parce qu’on a fait d’un frivole bac islamique la clef du meilleur emploi.
Professeur Lamine est mort parce que nos magistrats ingurgitent plus de versets que de lois.
Professeur Lamine est mort parce que l’accès au Barreau est soumis à des règles de mauvais aloi. (Souvenons-nous de cette étudiante recalée au concours d’avocat, il y a quelques années de cela, parce qu’incapable de réciter la sourate el-fatiha).
Professeur Lamine est mort parce qu’on a laissé l’extrémisme religieux gangrener la dynamique du Droit.
Professeur Lamine est mort parce qu’on refuse à chaque Mozabite, à chaque Kabyle, à chaque Chaoui, à chaque Targui de se sentir Algérien s’il n’assume pas, en priorité, sa fierté de citoyen arabisé par l’islam ou, ce qui revient au même, islamisé par la 3issaba (La bande. C’est ainsi qu’on surnomme les caciques du pouvoir).
Professeur Lamine est mort parce que les ethnies d’Algérie subissent l’hégémonie stérile d’une idéologie fondée sur la vindicte de ceux qui ne répondent pas aux critères des adeptes de la fitna (violence, sédition…)
Professeur Lamine est mort, occis par ceux qui s’obstinent à priver le citoyen du simple droit au choix.
Professeur Lamine est mort, tué par ceux qui ont créé Allah à leur image d’inassouvis malfrats.
Professeur Lamine est mort parce qu’on a fait d’un mensonge grotesque une raison d’État.
Professeur Lamine est mort, assassiné par l’inconscience au service d’un système hors-la-loi.
Professeur Lamine est mort parce qu’en Kabyle libre, il récusait la peur et l’effroi érigés en mode hogra.
Professeur Lamine est mort au nom d’une justice qui assassine.
En martyr de cette Justice indûment divine,
Reposez en paix, Professeur Lamine ! » FIN
Kacem Madani