Journal d’un pacificateur est un témoignage rare et bouleversant. À travers les archives de son père, Jean-Marie Robert, sous-préfet d’Akbou entre 1959 et 1962, Hugues Robert dévoile l’histoire d’un homme pris dans les rouages d’un État colonial en pleine crise, qui choisit pourtant de ne pas se taire face aux violences et aux silences d’une époque.
Dans la vallée de la Soummam, cœur stratégique de la Kabylie insurgée, la guerre d’Algérie déchaîne ses violences les plus brutales. Villages incendiés, tortures infligées aux prisonniers, populations déplacées de force : Jean-Marie Robert est le témoin direct de ces exactions. Mais là où beaucoup acceptent ou taisent ces réalités, lui les consigne avec une rigueur quasi clinique. Son journal, ses rapports et ses lettres témoignent d’une lutte intérieure permanente, tiraillé entre le devoir administratif, les pressions militaires et sa conscience morale.
Le sous-préfet ne se contente pas d’observer : il s’engage. Il tente d’intervenir, d’alerter, de faire stopper certaines pratiques. Ses démarches sont souvent vaines, mais son obstination fait de lui une exception au sein de l’appareil colonial. Il devient la voix d’une vérité que l’État préfère ignorer, parfois même réprimer.
Après 1962, alors que l’Algérie devient indépendante, Jean-Marie Robert poursuit son combat dans l’ombre. Il alerte sur le sort tragique des harkis, ces Algériens qui ont combattu aux côtés de la France et qui, abandonnés, seront massacrés dans leur pays ou parqués dans des camps insalubres en France. Ce double abandon reste une blessure ouverte, et son travail de mémoire vise à briser ce silence complice.
Deux figures viennent incarner cette violence d’État, qu’elle soit coloniale ou post-coloniale : Mohand Medjoub, militant mort sous la torture française en 1960, et Hocine Maloum, maire d’Akbou assassiné en 1962 par l’Armée nationale populaire algérienne. Leur présence en dédicace donne au livre sa dimension universelle et humaniste : la souffrance et la mort n’ont pas de camp, elles sont le prix terrible payé par les peuples pris dans les conflits.
Ce récit évite avec soin tout manichéisme. Il montre la complexité d’un homme et d’une époque, les contradictions d’un système qui broie, mais aussi d’individus qui tentent de préserver une parcelle d’humanité. Jean-Marie Robert ne se pose pas en héros, mais en témoin obstiné, conscient des limites de sa position mais résolu à ne pas céder au silence.
Guerre d’Algérie – Journal d’un pacificateur éclaire aussi les coulisses de l’État français, révélant les tensions, les silences et les complicités qui ont permis que perdurent des crimes de guerre. Le livre dévoile un pan méconnu de l’histoire : celui des fonctionnaires qui, à leur manière, ont essayé de freiner la machine répressive.
L’ouvrage invite ainsi à une réflexion profonde sur la mémoire, la responsabilité et la réconciliation. Il rappelle que celle-ci ne peut naître que d’une reconnaissance entière, sans parti pris ni déni, condition sine qua non pour apaiser des blessures encore vives.
À travers la plume sobre et efficace d’Hugues Robert, ce journal d’un pacificateur donne voix à un passé complexe, douloureux, mais indispensable à entendre. Il est un pont entre deux mémoires blessées, un appel à la vérité et à la paix entre les peuples français et algériens.
Mourad Benyahia
Lecture de Guerre d’Algérie – Journal d’un pacificateur, Hugues Robert, Max Milo, 2022
Repères historiques
Jean-Marie Robert
Sous-préfet d’Akbou de 1959 à 1962, diplômé de l’ENA, il s’oppose aux méthodes répressives de l’armée française en Kabylie et lutte pour la reconnaissance et la dignité des harkis après l’indépendance.
La vallée de la Soummam
Zone stratégique de la résistance algérienne, la Soummam subit une répression intense de la part des forces coloniales, notamment via des opérations de ratissage, des déplacements forcés et des violences généralisées contre les civils.
Akbou
Ville au carrefour des enjeux militaires et politiques, Akbou est un lieu emblématique des fractures provoquées par la guerre, où se mêlent violence, résistance et contestations multiples.