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Johnny Hallyday : l’héritage secret des « chasseurs de tristesse »

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Johnny Hallyday n’est pas seulement né d’un prénom de scène et d’une histoire personnelle cabossée. Il est l’aboutissement d’une lignée à la fois improbable et flamboyante, où se croisent des cheminots belges, des danseuses étoile, un comédien dadaïste, un romancier-éthiopien, un musicien de dixieland, et une noblesse africaine oubliée par les récits officiels.

À travers Survivances – Mémoires d’un anonyme, Carol-Makéda Ketcham – fille de Desta et de Lee Halliday, celui qui donna son nom d’artiste à Johnny – recompose une saga familiale méconnue, presque romanesque, où l’enfance du petit Jean-Philippe Smet s’enracine dans un monde plus vaste que celui qu’on lui prêtait.

Beaucoup ont écrit sur Johnny ; très peu sur les siens. Autour de sa naissance, de son enfance et même de ses origines, les rumeurs ont longtemps prospéré. Par fidélité à son cousin, par besoin de vérité et par devoir envers ses ancêtres, Carol-Makéda Ketcham fouille les archives, exhume lettres, photos, certificats et documents inédits. Elle remonte les pistes familiales dispersées entre la Belgique, l’Allemagne, l’Éthiopie et le sud des États-Unis, révélant une constellation d’êtres passionnés, souvent blessés, toujours debout.

Dans ce livre, l’histoire commence bien avant Johnny. Elle reprend la trace de Clément Smet, cheminot belge mort en 1908 après un accident de locomotive, modèle silencieux de courage et de sacrifice. De ses fils, deux mourront durant la Première Guerre mondiale ; le troisième, Léon, marqué par ces drames, deviendra comédien dadaïste puis anarchiste. L’étrange ironie des destins fait qu’à travers Léon, l’esprit du spectacle, du contre-pied et de la rébellion artistique entrera dans la famille, comme une graine déposée pour un futur enfant à venir.

Le récit se déploie ensuite comme un faisceau de trajectoires. On y rencontre une actrice du cinéma muet, des danseuses étoiles formées dans l’univers exigeant des Ballets russes, un danseur de claquettes américain né d’un père journaliste et musicien de dixieland, mais aussi un écrivain et homme d’affaires, consul d’Éthiopie, issu d’une union improbable entre un missionnaire allemand et une noble africaine. Cette géographie humaine, étendue et mouvante, tisse les fondations de ce que sera plus tard l’identité de Johnny : un mélange de rigueur, de spectacle, de nomadisme et de mélancolie.

L’enfance de Johnny s’inscrit pleinement dans cette constellation. Élevé par sa grand-mère Hélène et ses cousines Desta et Menen, il découvre très tôt la discipline, l’art, et cette manière singulière d’avancer coûte que coûte. Leur appartement parisien n’est pas seulement un foyer : c’est un atelier de survie affective où les photos découpées, les trieurs d’archives et les lettres patiemment conservées racontent une lutte silencieuse pour maintenir vivante la mémoire familiale. On y transmet des valeurs : l’effort, la fidélité, l’amour de la scène, mais aussi cette pudeur face au malheur. Les femmes de cette maison ont cette expression : « chasseurs de tristesse ». Elles ne fuient pas la douleur ; elles la transforment en acte, en danse, en lumière.

Lee Halliday, danseur américain et père de Carol-Makéda, deviendra une figure déterminante pour le jeune Jean-Philippe. Sa rigueur physique, son sens du rythme, son approche quasi militaire de la scène influenceront profondément Johnny. Avant d’être l’idole d’un pays, il est un gamin de douze ans qui observe Lee répéter, travailler, se tenir droit. Lorsque lui-même monte pour la première fois sur scène, c’est vers ce modèle qu’il se tourne : il choisit de s’appeler Johnny Halliday, empruntant ce nom comme un talisman, un passeport vers sa propre métamorphose.

Le livre montre alors combien Johnny est le fruit d’un héritage plus vaste qu’on ne l’imaginait. Ses gestes, ses colères, sa tendresse maladroite, sa dévotion au public trouvent racine dans cette dynastie d’artistes, de voyageurs, de croyants obstinés en la vie malgré ses fractures. Rien de linéaire : des joies brèves, des morts injustes, des parcours interrompus, mais toujours, au milieu de ces éclats, une présence : la famille.

En donnant chair à ces vies oubliées, Carol-Makéda Ketcham éclaire l’homme derrière la légende. Elle montre que Johnny n’est pas seulement un chanteur devenu mythe ; il est l’enfant d’une longue chaîne de survivances. Ses ancêtres, dispersés sur plusieurs continents, ont légué un sens profond de la scène, un rapport charnel au courage, et cette manière de se relever chaque fois que l’existence se fait rude.

À la fin du parcours, l’image qui demeure est celle d’un arbre aux racines multiples, d’une famille qui traverse les guerres, les frontières, les époques, pour ne jamais perdre la lumière. Johnny Hallyday apparaît alors comme la dernière incarnation d’un peuple intime : celui des « chasseurs de tristesse », qui transforment la douleur en art, et l’art en vie.

Djamal Guettala 

Référence bibliographique :

Il vient de là – La Saga des Hallidays

Autrice : Makeda Ketcham

Éditions Gaussen, 15 octobre 2024

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