Lorsque vous détruisez un édifice ancien, chaque pierre contient un bout de lecture de son passé. Lorsque vous déchirez un livre, chaque page contribuera à reconstituer l’histoire.
C’est ce qui arrive en ce moment avec Donald Trump. Sa démolition de tout ce qui avait été patiemment construit depuis plus de deux siècles pour fonder la démocratie américaine nous replonge dans les débats qui ont participé à sa construction.
La décision de la Cour suprême de valider le renvoi des juges fédéraux par Donald Trump est l’une des pierres tombée au sol qui me donne l’impression de revisiter mes cours d’histoire et de droit. Cette pierre est indirectement liée à la décision de la Cour suprême mais a fait resurgir un autre débat juridique connexe et ancien, les juges doivent-ils être nommés ou élus ?
En considérant qu’il existe toujours un léger mix, l’exemple le plus emblématique de l’élection des juges est celui des Etats-Unis. Quant à celui de la nomination, il ne nous est pas possible d’échapper à l’exemple historique français qui donna naissance immédiatement après à la seconde constitution qui pose les bases du principe de la souveraineté populaire et de la séparation des pouvoirs.
La cohérence avec le postulat de la démocratie plaide donc à priori en faveur du système américain puisqu’il permet à cette souveraineté de s’exprimer. Mais se trouve posé la question de l’indépendance des juges. Est-elle réellement assurée avec leur élection ? Impossible répondent les partisans de la nomination. Les juges seraient inévitablement tentés de prendre des décisions qui leur donneraient toutes les chances de réélection.
Imaginons un juge qui prendrait une décision clémente envers un immigré en situation illégale dans un territoire entièrement acquis aux idées ultraconservatrices. Imaginons ce qu’il en adviendrait pour la liberté confessionnelle, de mœurs ou politique. Imaginez le meurtre, l’agression ou un autre délit ou crime commis par un noir américain dans une ville à majorité blanche, conservatrice et majoritairement adepte d’une religion fondamentaliste. C’est même une marque historique de ce qu’on appelle l’Amérique profonde des territoires intérieurs.
Je ne pourrais pas penser que tous les juges soient partiaux, ce serait de ma part dire une très grossière bêtise, mais il faut avouer que la suspicion est tout de même très légitime. Il faut effectivement reconnaître que jusque-là le système s’est correctement comporté. Mais nous voyons que la suspicion à son égard s’est transformée en risque imminent avec l’élection de Donald Trump. L’édifice ne pourra pas tenir longtemps à ce rythme d’idéologisation et d’extrême populisme.
Passons maintenant aux arguments des partisans de la nomination des juges. À l’évidence les avantages et les inconvénients s’inversent. Le système écorche l’idée de la démocratie en privant la souveraineté populaire de s’exprimer mais évite en même temps le biais de la tentation de prendre des décisions en fonction de l’intérêt de la réélection.
La France révolutionnaire de 1789, dans son élan de redonner aux citoyens le pouvoir suprême avait choisi le mode électif des juges. Très rapidement le pays a reformulé son choix pour un système de nomination.
Cet exemple est assez parlant car la rage révolutionnaire par la terreur ne convient à la démocratie ni par la soif de vengeance des leaders ni par celle des citoyens « chauffés à blanc ». On pourrait presque rapprocher cette hystérie vengeresse révolutionnaire à celle de la secte de Donald Trump bien que les positions politiques soient radicalement opposées. Bien entendu en évitant l’anachronisme entre deux terreurs qui ne sont tout de même pas de même niveau d’où la précaution du « presque ».
Et si nous retournions au système électif se poserait une autre question très importante en droit. Comment trouverait-on la stabilité de la nécessaire régulation et homogénéité des jurisprudences qui unifient le droit dans tous les territoires pour des cas similaires ? Les décisions seraient éloignées les unes des autres en fonction des doctrines politiques de chaque électorat.
À cette question les partisans de l’élection nous répondent que la régulation provient des appels successifs au niveau fédéral puis de celui de l’ultime recours auprès de la Cour suprême. Or nous disent-ils, ceux-là ne sont pas élus mais désignés, donc stables et sans contrainte d’inféodation aux positions politiques de leur électorat (ce qui me faisait dire en début de chronique qu’une petite proportion en mix existait).
Mais comme dans un match de ping pong la balle revient maintenant à la partie adverse. Le justiciable serait confronté au même risque d’une partialité politique de la majorité des juges directement liées à la position politique du président qui les a nommés, ce qui est le cas avec Donald Trump. Encore pire, les juges sont élus à vie, ce qui entraîne une impossibilité de changement avec le les présidents suivants. La souveraineté populaire est vidée de son sens puisque le changement de politique n’aurait aucun effet sur les convictions des juges.
Cette critique de l’inféodation de la Cour en fonction de la majorité issue de la nomination d’un président n’est pas nouvelle. Mais avec la majorité acquise à Donald Trump c’est une explosion des décisions ultraconservatrices qui remettent en cause toutes les avancées antérieures dans l’histoire, soit du point de vue démocratique que sociétal.
Si nous quittons le cas particulier de la nomination des juges de la Cour suprême, les partisans de l’élection reprennent force pour la critique du système à nomination des juges. En France, puisque j’ai repris l’exemple historiquement fondateur du système nominatif, les magistrats passent par le concours de l’école de la magistrature, ce qui crée un terreau de l’entre-soi, en allant même jusqu’à la constitution d’une caste que beaucoup dénoncent.
Cet entre-soi ne supprime pas pour autant le risque de l’orientation politique des juges qui est souvent mise en accusation en raison notamment de leur adhésion à des syndicats à obédience politique à peine voilée. Il y a pour ceux qui critiquent ce système un danger double, celui des inconvénients des deux systèmes réunis.
Il y a tant d’autres arguments de part et d’autres mais ma chronique s’est focalisée sur les plus importants, ceux qui ont une résonance avec la définition politique de la démocratie. Quelle est alors ma position ?
Je croyais l’avoir clairement dit, je suis résolument contre l’élection des juges pour les raisons énoncées précédemment. Il n’y a jamais de distance de celui qui résume avec ses propres mots les arguments opposés dans un débat. Un arbitre neutre n’existe pas en politique.
Boumediene Sid Lakhdar