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Kacem Madani : « Dans ma jeunesse j’avais cru en l’Algérie »

Kacem Madani
Kacem Madani

Avant de prendre sa retraite, Kacem Madani, de son vrai nom Belkacem Meziane, était professeur des universités en physique. Il a enseigné à l’Université des sciences et technologies d’Alger et en France, à l’École nationale supérieure des sciences appliquées et de technologies (ENSSAT), Lannion, dans les Côtes d’Armor, ainsi qu’à l’Université d’Artois, Lens, dans le Nord-Pas-de-Calais.

Depuis une quinzaine d’années, il écrit des chroniques dans le journal en ligne Le Matin d’Algérie. Des analyses ciselées, de haute volée. Toujours sous le pseudonyme Kacem Madani, il a publié quelques ouvrages dans lesquels il fait part de sa grande indignation face aux tribulations politiques de nos décideurs. Il a généreusement accepté de répondre à nos questions.

Le Matin d’Algérie : vous avez un parcours atypique ! Qui est Kacem Madani ?

Kacem Madani : C’est toujours difficile de parler de soi, surtout quand votre vie s’étale sur des décennies et que vous bénéficiez d’une retraite quasi-dorée alors que de nombreux concitoyens pâtissent d’une justice aux ordres au pays et que d’autres croupissent encore dans les geôles pour un oui ou pour un non qui déplaisent aux maîtres du moment.

Mon parcours n’est pas si atypique que cela. Il ressemble à celui de nombreux Kabyles qui ont eu la chance d’avoir fait des études supérieures et d’avoir vécu à Alger, du temps où notre capitale brillait de mille et une splendeurs, de mille et un espoirs. Ces temps n’ont malheureusement engendré que désillusions ! Dans ma jeunesse j’avais cru en l’Algérie. À tel point qu’au contraire de nombreux camarades, après des études aux USA, je suis rentré au pays, décidé à tous les sacrifices pour un avenir meilleur. Malheureusement, les combines en haut lieu ont réussi à nous décourager.

Au lendemain de la légalisation du FIS par nos décideurs, l’idée de prendre la poudre d’escampette commençait à germer dans ma tête. Se sacrifier pour le meilleur, oui ! mais participer à la construction du pire, non ! J’ai donc quitté le pays au début des années 1990 pour construire une nouvelle carrière en France. Une carrière qui, après des années de travail acharné, m’a mené jusqu’à une titularisation en tant que professeur des universités en optique et physique des lasers.

Le Matin d’Algérie : vous vous appelez Belkacem Meziane, pourquoi avoir choisi d’écrire sous le pseudonyme de Kacem Madani ?

Kacem Madani : C’est simple, ce pseudo, qui a fini par me coller à la peau, je l’ai choisi et adopté pour séparer mes interventions en tant que chroniqueur sur Le Matin d’Algérie de ma profession de physicien. D’ailleurs, je suis venu au monde de la chronique grâce à Mohamed Benchicou. Quand Aâmmi Moh avait lancé la version en ligne de son journal, j’intervenais en tant que commentateur lambda. Parfois, quand mes exposés se faisaient consistants, Mohamed les insérait dans ses colonnes. C’est donc par le plus heureux des hasards que je suis venu à l’écriture. Je ne serai jamais assez reconnaissant à Aâmmi Moh et Hamid Arab pour m’avoir laissé une certaine liberté de ton dans mes nombreux coups de gueule.

Le Matin d’Algérie : quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?

Kacem Madani : J’aurais bien voulu être optimiste, mais comment l’être quand on voit toute cette médiocrité chronique qui sévit de la base au sommet de la pyramide du pouvoir ?  Pour ne rien vous cacher, je regrette l’ère Bouteflika. Malgré quelques dérives, le petit vieux avait beau s’accrocher au koursi, il avait laissé un tant soit peu de lest à la liberté d’expression.

Ce qui m’horripile le plus, c’est le massacre de l’éducation. L’arabisation bornée et irréfléchie a coulé notre système éducatif. Non satisfaits de ce carnage pédagogique, voilà que nos autocrates veulent introduire l’anglais dès l’école primaire ! ? En tant qu’anglophone, je devrais applaudir telle initiative, mais soyons sérieux, où est le personnel enseignant capable de remplacer le français par l’anglais ? On reprend les mêmes stratagèmes de poudre aux yeux et on refait délibérément les mêmes erreurs, au vu et au su de tous ceux qui sont tourmentés par l’avenir de ce pays et qu’on a laissés sur la touche pour les raisons que l’on connaît.

Tout le reste est à l’image de cet exemple. De la poudre aux yeux dans tous les domaines et à tous les niveaux. En fait, le pouvoir a, de tous temps, voulu nous faire croire qu’il possédait toutes sortes de baguettes magiques pour redresser la barre d’un navire à la dérive depuis des décennies. Tant que le pétrole coule à flots, ils ne lâcheront pas le morceau. Et rien ne dit qu’ils le lâcheront une fois les sources taries. Pour subsister, ils sont capables d’imposer une taxe sur l’oxygène que le peuple respire (clin d’œil à notre ami Youssef Zirem).

Le Matin d’Algérie : dans un monde déchiré où les valeurs s’effondrent, que peut apporter l’écrivain ?

Kacem Madani : L’écrivain est un lanceur d’alerte. Malheureusement, sa portée est limitée. Ne serait-ce que du fait que les nouvelles générations ne lisent plus, et que le langage sms tend à supplanter toutes les langues vivantes de la planète. Cet effondrement des valeurs est d’ailleurs intimement lié à ces joujoux de technologies qui envahissent le quotidien de tous les humains sur Terre. Quand je pense qu’on commence à peine à interdire les téléphones portables dans les classes, il y a de quoi se poser des questions par rapport à la vitesse de réaction des responsables concernés et des pédagogues affirmés. Je crois pouvoir dire que je suis l’un des premiers à avoir alerté sur les dangers de ces nouvelles technologies bien avant le smartphone ! Mais que peut bien changer une alerte noyée dans un océan de suivisme des plus ahurissants ?

 Interview réalisée par Brahim Saci

Références :

  1. Belkacem Meziane, « From nonlinear dynamics to trigonometry’s magic », Cambridge scholars, 2022.
  2. Kacem Madani, « Autopsie d’une Algérie jamais en paix », eds Constellations, 2023.
  3. Kacem Madani, « Mémoire(s) en dents de scie », eds Maïa, 2022.
  4. Kacem Madani, « Aït Menguellet, chants d’honneur », eds Hedna, 2021.
  5. Kacem Madani, « Indignation(s) chronique(s) », eds Vérone, 2017.
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