Kamar Idir n’est pas né ici, mais il y est devenu visible. Marseille ne l’a pas attendu, elle l’a reconnu. Il y est arrivé sans fanfare, fuyant la mort lente de l’Algérie des années noires, un sac d’espoir sur le dos, les mains encore pleines d’argile, de dessins d’école, de gestes manuels appris à la hâte.
Kamar Idir ne s’est jamais contenté de survivre : il a tendu l’oreille, braqué l’objectif, capté les battements faibles de celles et ceux qu’on ne regarde jamais. Depuis, il fait jaillir la lumière là où l’on ne veut voir que l’ombre.
Photographe, audiographe, arpenteur de silences, il est ce qu’on appelle, faute de mieux, un passeur d’histoires. Mais les siennes n’ont rien de folklorique ni d’académique. Ce sont des histoires avec de la poussière plein la bouche, de l’exil plein les poches, des blessures qu’on transmet faute de les panser. Kamar ne raconte pas, il écoute. Il laisse remonter la parole comme on exhume des vestiges dans la terre chaude d’un quartier oublié.

Dans les studios de Radio Galère, depuis plus de quinze ans, il fabrique de la mémoire orale, artisanale, résistante. Il accueille les vivants et les abîmés. Il laisse les voix parler longtemps, sans couper, sans trahir. Il sait que certaines vérités prennent du temps à se formuler. Lui-même a mis des années à trouver la sienne.
Il y a dans ses images une pudeur radicale. Rien de spectaculaire, mais tout un monde. Il photographie sans voler, il capte sans dominer. On y devine la tendresse des visages abîmés, la fierté muette des exilés du quotidien. Avec Présence invisible, publié en 2008, il avait déjà signé une œuvre coup-de-poing : photos, entretiens, fragments de vie, tressés comme un chant mêlé de rage et de grâce.
Kamar Idir ne fait pas carrière. Il fait mémoire. Il ne cherche pas l’actualité, mais ce qui dure — ce qui saigne, ce qui tremble, ce qui refuse de disparaître. Il est ce funambule des marges, cet équilibriste entre deux rives, cet homme qui a compris qu’on ne peut rien bâtir sur l’oubli.

Militant sans banderole, poète sans strophe, il agit à hauteur d’homme. Dans les rues, les places, les radios libres, les murs écaillés de Marseille, il répare ce qu’il peut : des liens, des regards, des histoires brisées. Et ce faisant, il fait de l’art un geste de justice. Une caméra à la main, un micro dans l’autre, il continue de marcher.
Toujours du côté des invisibles.
Djamal Guettala