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Kamel Daoud et la « défaite » de la cause palestinienne ?

Kamel Daoud

La personne qui, en France, a inventé l’épithète d’ « Arabes de services » ne s’est point trompée. Ce profil d’individus en quête de reconnaissance, de gratifications et de renommée auprès des Français, et de leurs dirigeants, n’est pas rare tant au sein de l’Hexagone que  dans le Maghreb.

J’avais écrit à maintes reprises que, pour obtenir les bonnes grâces de la France officielle et des réseaux sionistes présents en force dans tous les compartiments étatiques de ce pays, il faut dénigrer sans nuances l’Islam en réduisant les fidèles de cette religion au même dénominateur commun : fanatisme et violence, qui lui seraient consubstantiels. Dénigrer l’islam, pour certains intellectuels maghrébins en panne de visibilité médiatique, c’est s’assurer une célébrité à bon marché, parallèlement à l’ardent désir éprouvé par d’aucuns d’entre eux de plaire à tous ceux qui, en Occident, nourrissent une haine séculaire envers l’Islam et les Arabes.

Après Mohamed Sifaoui, Boualem Sansal et quantité d’autres, qui ont fait de l’extrémisme islamique leur fonds de commerce, voici un nouveau débarqué sur la scène littéraire et médiatique de l’Hexagone : c’est Kamel Daoud. Ce nouveau venu prend, en effet,  désormais le relais de ces derniers en amplifiant leurs discours auxquels il ajoute une note supplémentaire d’amalgame : le Hamas palestinien, qui signifie Mouvement de résistance islamique, est réduit par cet auteur à un mouvement « terroriste  islamique », dont le but serait de détruire Israël. Et comme pour ternir l’image des résistants de Hamas, il leur impute des sentiments anti-juif, ce qui est totalement faux.

Mais il lui importe peu le mensonge et la falsification dont il se fait le propagateur. Pour lui, l’essentiel est ce qu’il avance comme argument lui recueille des suffrages auprès des sionistes et de leurs supporters de par le monde : « L’offensive sanglante du Hamas, écrit-il, est la confirmation d’un messianisme antijuif. Désormais talibanisée, la « cause » alimente une judéophobie strictement haineuse. »

Vérité ou amalgame ?  

Il s’agit là d’un exemple parfait d’amalgame qui sert à notre écrivain d’alibi, puisqu’il suggère que le combat de Hamas contre Israël ressort purement et simplement de la haine du juif, et non motivé essentiellement par la volonté légitime de s’affranchir du colonialisme sioniste. Comme on le voit, le « raisonnement » de Kamel Daoud recoupe et réconforte la thèse sioniste, reprise aux Etats-Unis et en Europe, selon laquelle le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements « terroristes » créés de toutes pièces et soutenus par l’Iran aux fins de les utiliser en vue de détruire le pauvre « Etat d’Israël». En répandant cette thèse – plus que fausse-,  Kamel Daoud et ses semblables algériens, rendent de grands services aux lobbys sionistes américano-français pour qui l’Etat israélien est victime du « terrorisme » de Hamas  et non l’inverse qui se produit.

Lisons encore la manière avec laquelle Kamel Daoud se porte garant des thèses sionistes : « Hier comme aujourd’hui : le Palestinien sert aux Iraniens, au Hezbollah, aux Égyptiens, aux Algériens, aujourd’hui au Hamas islamiste, et rarement à lui-même dans tous les cas. D’ailleurs, dans le monde dit arabe, peu s’interrogent sur le timing et sur l’identité du mécène bénéficiaire des attaques du Hamas contre Israël. Ce qui importe, c’est de croire et de faire croire à une victoire. La cause palestinienne ? C’est une histoire collective d’héroïsme arabe où, à la fin, seuls les Palestiniens et les Juifs sont tués.

La défaite de la Palestine ou la défaite de l’intellectuel stipendié ? 

Que reste-t-il d’ailleurs aujourd’hui de la « cause palestinienne » qui berça les jeunesses du monde dit arabe depuis presque un siècle ? Les islamistes du Hamas, les armées imaginaires de libérateurs médiatiques de la Palestine souvent bien installés dans un pays arabe, de préférence une monarchie du Golfe, la judéophobie enseignée dès l’enfance et l’inhumanité proclamée comme réponse sacrée, et enfin, les régiments d’intellectuels « arabes » pour qui « libérer la Palestine » c’est faire le procès de l’Occident et d’attendre de lui ce qu’ils n’exigent pas d’eux-mêmes. Voilà le bilan d’une longue guerre qui aujourd’hui perd son humanité,  c’est-à-dire se radicalise, se confessionnalise.

Pour toutes ces raisons, les images des raids des brigades du Hamas en Israël n’offrent pas une victoire, comme hurlé partout dans le monde « arabe », mais une retentissante défaite. Ces vidéos qui montrent des civils ligotés, des femmes kidnappées, des enfants emprisonnées, des vieilles personnes baladées comme des trophées de guerre, sont désormais salués, dans la « rue arabe », non comme un épisode de décolonisation, mais pour la confirmation d’un messianisme antijuif né il y a plus de mille ans[1] »

Ce discours à l’emporte-pièce reflète plutôt la faiblesse de son auteur que la défaite de la Palestine. Outre qu’il comporte des amalgames et des mensonges évidents, ce discours a pour fonction et visée finale de satisfaire aux attentes de l’employeur de Kamel Daoud, en l’occurrence le président Emmanuel  Macron, qui devrait se réjouir fort bien d’avoir à ses côtés une « caution arabe », un conseiller, qui lui susurrait à l’oreille la haine de soi et des siens…Un dénigrement de la cause palestinienne fait par un « arabe » qui se déteste et déteste les siens a plus de poids et fait plus mouche qu’un dénigrement produit par un « Blanc », un chrétien ou juif….

Le soutien aveugle de l’Amérique à l’Etat sioniste  

Réduire la résistance de Hamas contre la barbarie israélienne à une question religieuse, et dire que ce qui motive cette résistance relève de la haine millénaire des Palestiniens envers les Juifs, c’est répandre la confusion et l’amalgame dans les esprits mal ou peu informés des causes réelles opposant ces deux peuples depuis 75 ans.

La partialité avec laquelle cet auteur prend parti pour Israël n’a rien à envier en fait à celle du président américain, Joe Biden qui avait exprimé à mainte reprises sa solidarité totale avec Israël. Dans le discours qu’il avait prononcé mardi 7 octobre à la télévision nationale et dans lequel il avait qualifié Hamas de « mal absolu », le président Biden avait repris à son compte la propagande d’Israël en disant qu’il avait été ému de voir « des parents (…) massacrés, utilisant leur corps pour tenter de protéger leurs enfants ; des bébés ont été tués, des familles entières ont été massacrées ; des jeunes gens ont été massacrés alors qu’ils assistaient à un festival de musique (…) des femmes ont été violées, agressées, exhibées comme des trophées ».

Comme on vient de le lire, Kamel Daoud a repris quasiment les mêmes termes que le président Biden pour condamner le Hamas. Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby  avait cru lui aussi en la propagande israélienne lorsqu’il déclare : « Je pense qu’il est assez évident, dit-il, qu’étant donné les communications que nous avons eues avec les responsables israéliens, étant donné les articles de presse, étant donné les images barbares qui nous parviennent de là-bas, nous sommes très confiants dans la validité de ces informations de viols et de tortures ». Ces déclarations n’ont  pourtant pas empêché le même président des USA de déclarer quelques jours  après que ces informations sur les massacres imputés à Hamas n’ont pas été « corroborées ». Pourtant, Daoud les a pris pour argent comptant  avant d’en faire une chronique dans la revue Le Point.

Quant à John Kirby, il ne cache pas que le soutien qu’apportent les Etats-Unis à Israël est déterminé par les intérêts  vitaux de l’Amérique dans cette région du monde, et que les intérêts  des deux pays sont complètement indissociables. Pour ce qui concerne les autres « partenaires » des USA dans la région ( Arabie Saoudite, les Emirats arabes, l’Egypte, Jordanie…), ils sont regardés comme de simples auxiliaires de la politique américaine dans cette aire géographique et sur lesquels on ne saurait compter sur le long terme, tant qu’ils comportent structurellement des éléments d’instabilité permanents et imprévisibles. En un mot, ces Etats  sont si peu fiables qu’il est impossible de tabler sur eux.

La solidarité inconditionnelle, indéfectible, que les  Etats-Unis  expriment à l’endroit  d’Israël s’explique en dernier ressort par cette solidarité « organique » qui lie les deux Etats et les rassemblent envers et contre tous. John Kirby traduit bien cette fusion  intime, quasi mystique, des deux nations qui semblent partager les mêmes émotions :

« Nous soutenons fermement le peuple israélien, déclare John Kirby.  Nous pleurons avec eux. Nous partageons la peur et la colère profondes et durables qu’ils ressentent en ce moment, et il est important qu’ils sachent que les États-Unis ont été, sont et resteront leur ami et allié le plus proche[2]. »  En tournée au Proche-Orient, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, n’a pas cessé de répéter à ses interlocuteurs arabes l’attachement viscéral des Etats-Unis envers Israël, et de réitérer  le soutien inconditionnel de ceux-ci à Israël.

Dans toutes ces déclarations faites par les officiels américains, aucun mot, aucune phrase émue, aucune compassion n’a été exprimée pour les milliers d’enfants, de femmes et de vieillards  palestiniens ensevelis sous les bombes israéliennes. Cela dénote d’une insensibilité totale envers les malheurs qu’endure le peuple palestinien. Le terrorisme imputé à Hamas n’est qu’un prétexte pour dénier à ce peuple le droit d’exister, le droit de recouvrer ses droits fondamentaux  que sont l’indépendance  et le retour à ses terres où il fut chassé manu militari en 1948.

Le Hamas, terroriste ?

La Hamas n’est pas un mouvement « terroriste ». Comme son acronyme l’indique : « Mouvement de la résistance islamique » (Harakat al-Muqawâmâ al- islâmiya), il est avant tout un mouvement de Libération nationale à l’image du FNL vietnamien ou le FLN algérien. Même s’il revendique l’étiquette islamique, Hamas demeure un mouvement de résistance à l’occupation sioniste, et n’a d’autres ambitions que de se libérer de ce joug colonial. Il ne mène pas d’actes « terroristes » en dehors de la Palestine ; l’Europe, et l’Amérique qui soutiennent Israël n’ont jamais subi d’attaques de la part de Hamas. Où est donc le terrorisme ?

Mais pour les Américains, ce qui n’est pas avec eux est contre eux. Cette attitude n’est pas sans rappeler les griefs faits jadis aux Athéniens par les Corinthiens : «Reconnaissez, leur disaient-ils, que c’est maintenant ou jamais que celui qui nous sert paraîtra notre ami et celui qui se dresse contre nous notre ennemi[3] » Par ailleurs, les Américains qui prétendent détenir le monopole de la démocratie, croient en fait plus en la force qu’au droit qu’ils piétinent allègrement là où ils atterrissent : le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie…le parti pris d’indulgence envers Israël qui viole systématiquement les droits de l’homme et le droit international témoigne de la conception américaine pour qui la force doit primer le droit.

La critique de l’islamisme, de l’extrémisme et de Hamas comme rampe de lancement  

Le dénigrement, l’amalgame et le réductionnisme  de l’Islam et de ses dérivées (islamisme, intégrisme, extrémisme, Hamas, Hezbollah…) servent de rampe de lancement à tous ceux qui cherchent à rompre l’anonymat, à acquérir une certaine visibilité intellectuelle… La critique au sens scientifique des phénomènes politiques et religieux, ne permet pas d’abrège les étapes de la célébrité et de la carrière « littéraire ». Seuls l’amalgame, les raccourcis, les poncifs et les préjugés peuvent atteindre en temps record de tels objectifs.

En apportant leur renfort aux sionistes et à leurs protecteurs, les Occidentaux, et en exploitant sous toutes les coutures les vices de l’islamisme politique et, par ricochet, de l’islam archaïque en cours dans les monarchies obscurantistes du Golfe, certains intellectuels « arabes », à l’instar de Kamel Daoud, ont réussi non sans certaine habileté machiavélique à assurer leur carrière, journalistique et littéraire.

La fameuse épigraphe de l’ouvrage d’Edward Saïd, empruntée à Disraéli : « L’Orient  est une carrière[4] » s’applique à merveille à cette espèce d’ « intellectuels » épris de célébrité et de reconnaissance. De tels intellectuels intéressés sont capables de se dépouiller de leur honneur et  de leur dernier lambeau de conscience, attendu qu’ils soient gratifiés et flattés. Leur esprit courtisanesque les pousse à accepter toutes les servitudes inhérentes aux âmes faibles….

Les « intellectuels du Facebook » algérien ne sont pas rares à soutenir non seulement le point de vue de Kamel Daoud, mais aussi celui de Ferhat Mehenni dont le soutien enthousiaste  à Israël relève du secret de Polichinelle. Les partisans de ces deux  personnages qualifiés d’ « intellectuels » comprennent un certain nombre de « démocrates » et de « laïques » dont l’extrémisme idéologique et l’intolérance les rendent complètement impers au débat contradictoire. Pétris d’une idéologie rigide, et imbus d’eux-mêmes, de leur supériorité  culturelle ou intellectuelle, ils ne supportent ni contradictions ni contradicteurs. Tout ce qui ne partage pas leur opinion est étiqueté d’emblée  de « pro-pouvoir » ou de valet du pouvoir, et tout se passe, en somme, comme si le pouvoir algérien était un ennemi déclaré de la nation algérienne !

A la lecture de leurs pages du FB, certains d’entre eux traduisent l’agressivité verbale, l’aigreur, les ressentiments et la haine du pouvoir assimilé à l’Etat-Nation. Seuls dignes de crédit et de confiance à leurs yeux, les partis et les coteries politiques dont ils se recommandent. Les pro-sionistes ne sont pas rares, mais cachés. Au sein de la presse dite « indépendante », il en existe aussi. Un journal comme El-Watan abrite quelque responsable de rédaction gagnés à la cause sioniste, et je fus accusé par l’un d’eux d’être « anti-juif » pour avoir mentionné débonnairement l’origine juive de Benjamin  Stora…

Ahmed Rouadjia,

Professeur d’Histoire et de sociologie politique

Université de M’sila

Notes

[1] In Le Point, 13 octobre 2023.

[2]  Interview accordée au Times of Israel

[3] Thucydide, Histoire de la guerre de Péloponnèse

Paris,, Garnier-Flammarion, 1966, p.55

[4] Edward Saïd, L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1980.

 

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