Dans un récent article publié par « Le Point », Kamel Daoud nous interpelle par un sacré cri du cœur : « Suis-je un traître ? Peut-être. Et alors ? ». Il faut une sacrée dose de courage pour oser asséner telle formule.
Si l’on se tient à la définition du mot traître : « personne qui se rend coupable de trahison (action de trahir son pays, sa patrie, une cause) », force est d’admettre que dans telle extension nous pourrions insérer des millions d’Algériens vivants. Nul besoin de convoquer les morts, vu l’étendue aux contours imprécis du positionnement et des référentiels auxquels chacun peut faire appel pour délimiter la cause des uns et la patrie des autres, bien souvent virtuelle pour beaucoup si elle n’est pas tout simplement chimérique.
Pour étayer ce méli-mélo d’héroïsme et de trahisons, pléthore d’exemples nous rappellent qu’il est impossible d’affranchir de toute subjectivité l’enveloppe de la plupart des épisodes de notre Histoire récente :
– Au commencement des articles de la Constitution fût décrété « Islam religion d’Etat », cette loi qui porta le croyant au firmament de l’héroïsme et relégué l’insoumis à celui de traître impie ayant osé renier l’une des principales, voire l’unique, constante nationale qui charrie inexorablement la république algérienne à contre-courant de toute modernité. N’est-ce pas au nom de tel reniement à la cause d’Allah que les islamistes de tous bords, ceux du pouvoir en premier, qualifient les non-croyants de minorité de déracinés et de traîtres à une nation que l’on s’acharne à transformer en une composante absolue d’une certaine « oumma » ? « Kheiratine » de surcroît.
– Quand les combats faisaient rage contre les hordes intégristes, lesquelles s’étaient attelées à transformer la république en califat, Liamine Zeroual n’avait-il haussé le ton et usé de sentences impérieuses mais justes pour qualifier les compagnons de Ali Belhadj, Madani Mezrag et Hassan Hattab de traîtres et de fléau qu’il fallait éradiquer au plus tôt ?
Dès son arrivée au pouvoir, Bouteflika ne tint-il pas un discours diamétralement opposé en réhabilitant les combattants de Dieu par des « Monsieur Hattab », par-ci, et des « si j’étais à leur place à leur âge, j’aurais fait la même chose », par-là, allant jusqu’à dérouler le tapis de tous les honneurs aux responsables d’innommables horreurs ? Qui de Bouteflika ou de Zeroual avait raison, qui avait tort ? Que sont Hattab, Mezrag et Belhadj, des géants ou des félons ? Les mosquées de Kouba et d’El-Mouradia ont leur réponse, nous avons la nôtre !
– Saïd Sadi, Ferhat Mehenni, Nourdine Aït Hamouda et 21 autres Kabyles n’avaient-ils pas été emprisonnés à Berrouaghia sous l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État, délit de haute trahison passible de la peine de mort, à la suite du printemps berbère ? Qui de ces 24 défenseurs de la cause amazigh ou de leurs geôliers sont les héros, qui sont, à la patrie, déloyaux ? Les dignes héritiers de Boumediene, doivent avoir leur réponse, nous avons la nôtre !
– Qui peut ignorer le fait que la plupart des arabophones, surtout les islamistes bornés, considèrent les berbérophones, surtout les Kabyles d’ailleurs, récalcitrants à une arabisation forcée comme des traîtres aux causes de l’arabité et de l’islamité prescrites à tout l’espace amazigh d’Afrique du Nord ?
– Côté face du problème arabo-berbère, les berbérophones ne voient-ils pas les partisans d’une arabo-islamisation aveugle comme des traîtres ayant renié leurs racines pour défendre une cause venue d’ailleurs et qui est loin d’être la leur ?
– Quand des élections sont organisées, surtout les présidentielles, celui qui ne se rend pas aux urnes n’est-il pas considéré comme traître à la cause de la petite famille révolutionnaire, alors que celui qui s’y rend pour donner un quitus de gouvernance à ceux qui pillent le pays est glorifié et encensé en héros par ce pouvoir de petits mafiosos ?
– Construire une grande mosquée à des milliards de dollars pour aller se faire soigner au Val de Grâce, laissant le petit peuple se dépatouiller dans des structures hospitalières indignes, fait-il de ce même Bouteflika un homme vaillant ou un grand charlatan ?
– Se rendre en Suisse pour y guérir une petite addiction à la cigarette fait-il du Général Nezzar un brave ou un poltron ? Son fils, celui qui s’est permis de tabasser SAS pour une simple chronique journalistique, a sa réponse, nous avons la nôtre !
– Infliger deux années de prison à Mohamed Benchicou pour avoir dénoncé, avant tout le monde, l’imposture Bouteflika fait-il des juges qui l’ont condamné des traîtres ou des héros ? Ceux qui ont confisqué le pays doivent avoir leur réponse, nous avons la nôtre !
Des pages et des pages de listings ne suffiraient pas à dresser un inventaire complet de la traîtrise des uns et de l’héroïsme des autres sans pour autant dégager quelconque objectivité à ces qualificatifs qui s’invitent dans le débat socialo-politique. De toute évidence, de quelque côté où l’on se positionne, on est toujours traître à la cause de quelqu’un d’autre si l’on n’y souscrit pas. Et ces notions ne portent pas la moindre empreinte d’un objectivisme infaillible, qui puisse les faire endosser aux uns tout en les retirant aux autres.
Même en temps de guerre, abattre des hommes, furent-ils ses pires ennemis, cela suffit-il à délimiter quelque contour d’héroïsme ? Par là même, refuser de se battre pour occire son prochain représente-il un signe objectif de lâcheté synonyme de forfaiture ? Autant de questions philosophiques qui tortureront encore l’homme jusqu’à son extinction finale !
De mon point de vue, si traîtres on doit désigner avec courage, ceux sont tous ces parasites qui gravitent autour du pouvoir avec une servilité défiant toute philosophie, ceux-là même qui maintiennent l’attention du peuple perpétuellement rivée sur le rétroviseur de la religion et de l’Histoire pour l’empêcher d’entrevoir les voies de demain !
Nous sommes en 2025, avec plus de 60 années d’indépendance nos mères et nos grands-mères regardent les images de la télévision de leur pays sans comprendre un traître mot de ce qui se trame sur leur dos. Pourquoi un tel acharnement à vouloir imposer à des peuples, des appartenances qui ne sont pas les leurs, ni linguistiques, ni politiques, ni sociales ?
À cet égard une véritable réconciliation n’aura de réelle valeur que si les discours politiques se font dans les langues du terroir, du mozabite au chaoui, du kabyle au chleuh, du targui au tamasheq, etc., car s’adresser au peuple dans un arabe nucléaire que personne ne comprend ou dans la langue du colon, c’est continuer à se moquer de ce peuple dont tout le monde veut confisquer les valeurs et l’histoire millénaire au nom de supercheries et de tous les mensonges de Dieu. L’histoire de l’Algérie ne remonte ni à 1954, ni à 1932, ni à 1832, encore mois à l’an 622 !
Si le pouvoir a pour objectif de se donner une assise populaire, il devrait sérieusement cogiter l’idée de créer un parti des peuples algériens tout en abandonnant ces histoires de légitimité historique. Pourquoi refaire les erreurs des autres pays qui ont fait disparaître la sève authentique de leurs territoires aux noms d’hégémonies coloniales (les USA vis à vis des Indiens, la France, l’Espagne etc., vis à vis de leurs peuples autochtones).
Nous avons les moyens d’innover. Le mouvement citoyen l’a démonté pendant deux ans, pour faire de l’Algérie un exemple de tolérance et d’harmonie entre nos peuplades, si tant est que l’esprit colonialiste du panarabisme et de l’islamisme qui en découle prenne fin.
En attendant des jours meilleurs qu’en haut lieu on se refuse à nous offrir, nous, citoyens d’en bas, sommes fatigués de ces guéguerres de légitimité historique qui confèrent aux uns le statut de héros et aux autres celui de traître.
Nous sommes fatigués que l’on nous force constamment à regarder en arrière pour nous empêcher de prendre le chemin du monde qui avance !
Nous sommes fatigués que l’on écrive l’histoire de nos peuples à travers ses dictateurs et ses colons !
Nous sommes fatigués que l’on nous invente des traîtres et des héros !
Nous sommes fatigués que nous, le peuple, soyons toujours écartés, brimés et objet de toutes sorte de vetos !
Nous sommes fatigués qu’un homme, un seul décide de notre destinée depuis 1962 !
Nous sommes fatigués de la dictature de cette famille de papys FLiN-tox qui s’autoproclame révolutionnaire pour nous piller, nous brimer, et nous confisquer jusqu’à notre liberté de pensée !
Nous sommes fatigués qu’en l’an de grâce 2025, des centaines de prisonniers d’opinion croupissent encore dans une république qui se dit démocratique et populaire !
Kacem Madani
Le Général major Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, vient d’être nommé à la tête de la DGSI. Il a été en prison de 2015 à 2020 pour haute trahison, torturé à de nombreuses reprises. Est ce un traitre ou un héros ? On n’y comprend plus rien. A t’il été réhabilité sans qu’on n’en sache rien ? Y a t’il eu une révision de son procès ? Peut on devenir Patron de la DGSI avec un casier judiciaire ?Va t’il être installé officiellement par Chengriha ou bien va t’il subir le même sort que son prédécesseur : jamais officiellement installé. Que va t’il advenir des juges et des enquêteurs qui l’ont condamné ? Ils étaient des héros. J’imagine que depuis quelques jours, ils sont dans le camps des traitres.
Je le dis et je le redis : les seuls traitres à la nation ce sont Teboune et Chengriha