Karima Sumam est une chanteuse de talent, c’est une voix douce, dont les émotions s‘écoulent comme cette eau pure jaillissant du fond des âges des sources de l’Akfadou ou du Djurdjura, qui donne un nouveau souffle à la chanson kabyle.
Elle est originaire de Bicher ce beau village de la vallée de la Soummam, de la commune de Tamokra de la Daïra d’Akbou.
Karima Sumam quitte l’Algérie en 2002 pour la France, pour continuer ses études à Paris.
Karima Sumam réussit son parcours universitaire avec brio, elle décroche une double Licence et un Master en sciences du langage à Paris, elle exerça divers métiers dans le domaine de la pédagogie.
Mais c’est sa passion des arts qui l’accapare, une passion qui ne date pas d’aujourd’hui, elle vient de l’enfance, dès l’âge de 6 ans aux côtés de son père, grand adepte d’instruments à cordes.
Sa ferveur pour la musique s’est développée au collège Mouloud Feraoun à Akbou où elle a fait partie d’un petit groupe de chorale où s’affirment ses capacités vocales.
De 2017 à 2023 elle participa à de nombreux spectacles associatifs à travers la France, à Blois, Châteauroux, Tours, Aubervilliers etc…
L’année 2020 voit l’enregistrement de son premier Album, avec un choix de thèmes judicieux, d’où jaillissent des espoirs, de l’ombre à la lumière, ses chants bouleversent et interpellent le cœur et l’esprit.
La chanson « Amedya » « L’Exemple », où l’émotion atteint son paroxysme, est un hommage à son défunt père. Un album très personnel donc, s’inspirant de son vécu, de sa vision de femme au regard lucide, porteur d’espérance, interrogeant le temps et l’époque.
L’année 2023 donnera naissance à plusieurs singles, dont « L’Aïd n tmettuth », honneur à la femme, « octobre rose », « Taqbaylit », avec un franc succès auprès du public. On la voit s’afficher cette même année aux côtés de Rabah Asma et de Kamel Rayah au Casino de Paris et au Zénith de Paris.
« Isufar» son nouvel album viendra en 2025 enrichir son répertoire musical en s’ouvrant sur le monde, sur d’autres horizons, sur l’universalité, on verra émerger d’autres styles, sans perdre la couleur berbère kabyle.
Karima Soumam arrive comme un rayon de soleil dans le paysage de la chanson kabyle. L’avenir paraît donc serein et plein d’espoir.
Le Matin d’Algérie : Du village à Paris, des études en sciences du langage à la chanson kabyle, qui est Karima Sumam ?
Karima Sumam : Je dirais que Karima Sumam est une artiste, chanteuse algérienne d’expression Kabyle qui prône la liberté d’expression de la femme, et qui veille à la promotion de la culture berbère même au-delà des frontières.
Après plusieurs expériences intéressantes dans divers domaines artistiques tels que la chorale, la peinture, l’écriture et le théâtre, la chanson l’interpelle de nouveau en 2017. Afin de répandre ses idées et de les exprimer avec éloquence, elle réemprunta le chemin de la musique et l’expression par la chanson
D’un genre moderne d’inspiration traditionnelle, sa musique et son travail artistique de façon générale se nourrit soit de son vécu personnel ou de celui des femmes de sa génération.
Son engagement pour soutenir la femme ne s’arrête pas à l’expression musicale. Elle rejoint le collectif, Des Roses berbères, pour lutter contre le cancer du sein à sa première édition depuis octobre 2022.
Elle proposa publiquement l’idée de produire un titre pour sensibiliser les femmes à parler de leur maladie et de leur combat intérieur qu’elles mènent au quotidien. Le Titre « Octobre Rose » sera diffusé l’année suivant en octobre 2023 et il sera le premier titre féminin à aborder cette thématique taboue.
L’objectif principal de son projet artistique est de soutenir cette cause mais aussi de réunir les artistes autours de cette date symbolique dans un seul but commun, transmettre un grand message d’espoir à toutes les femmes touchées de près ou de loin par cette maladie.
Afin d’étendre encore plus cette action, elle lança un appel à solidarité sur les ondes de Radio Soummam , une demande adressée au collectivités locales, aux entreprises et aux hôpitaux pour mener plusieurs actions de solidarité afin de sensibiliser les femmes de la région et des villages environnants et les encourager à se rendre aux compagnes de dépistage du cancer, les accompagner et veiller à les accueillir dans de bonnes conditions humaines et matérielles.
Son souhait pour les années à venir est que cette action de solidarité et de sensibilisation du collectif Des Roses Berbères en France, soit également menée partout en Algérie sous un même slogan, « unissons-nous pour un octobre rose ! ».
Le Matin d’Algérie : On voit ces dernières années beaucoup de chanteuses kabyles avec un parcours universitaire, c’est une nouvelle ère qui nous plonge dans l’universel, pourtant elles ne perdent pas pour autant leurs couleurs kabyles, à quoi est-ce dû à votre avis ?
Karima Sumam : Une grande majorité des jeunes chanteuses Kabyles qu’on voit émerger en France aujourd’hui ont vécu soit leur enfance ou une partie de leur vie en Kabylie puis sont arrivées en France pour terminer leurs études. Pour d’autres, je suppose qu’elles ont grandi dans une famille qui affectionne particulièrement la langue maternelle en l’occurrence la langue kabyle.
Il est important de souligner également la valeur identitaire que la langue des ancêtres représente pour chacun d’entre nous.
Le Matin d’Algérie : Comment est née cette passion pour le chant et la musique ?
Karima Sumam : Cette passion pour la musique remonte à mon enfance. Un précieux héritage de mon défunt père amoureux de la musique et de la chanson kabyle. Je me souviens de ces moments où j’étais assise à ses côtés, j’avais à peine 6 ans, lui, les doigts sur les cordes de sa guitare et moi savourant chaque note. Nos deux voix retentissaient souvent aux quatre coins de la maison familiale sur des titres de notre grand artiste Lounis Aït Menguellet.
Le Matin d’Algérie : Quelles sont les chanteuses et les chanteurs qui vous influencent ?
Karima Sumam : Parmi les premiers artistes qui m’ont fait découvrir la beauté du verbe et de la mélodie Kabyle, il y a Lounis Aït Menguellet, Matoub Lounes, Idir, Karima, Nouara, Nora, Cherifa, Cherif Kheddam, Kamel Hamadi, Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Si Mohand U Mhand, et bien d’autres…
Le Matin d’Algérie : Dans la chanson « Amedya » vous rendez hommage à votre père, pouvez-vous nous dire un mot sur cette chanson ?
Karima Sumam : Amedya » diffusé le 17 novembre 2020 est mon premier titre de l’album « Aktayen » diffusé l’année suivante.
Le titre « Amedya » est une lettre ouverte adressée à mon défunt père. Un père exemplaire, une référence de courage de sagesse et de clairvoyance. Chaque mot, chaque phrase de ce titre est un symbole et un témoignage de reconnaissance.
Le Matin d’Algérie : La femme est omniprésente dans vos chansons, est-elle toujours la gardienne des traditions ?
Karima Sumam : La femme est effectivement omniprésente dans la plupart de mes titres. À mon sens, chaque femme peut tirer sa force de sa fragilité. Jadis la femme était reine, elle devient guerrière par la force des choses. La femme kabyle, plus particulièrement, détient en elle une richesse culturelle, des valeurs transmises de mère en fille et un courage sans égal.
La femme Kabyle a un attachement très particulier à la terre mère, aux racines, aux traditions et aux rites. Cela se traduit dans toutes ses tâches et ses activités au quotidien, elle a un rôle important dans l’éducation de ses enfants certes mais elle a également un rôle important dans la transmission des savoirs à plus grande échelle et ce par différents canaux de communication, le chant, la poésie et l’artisanat. Pour ma part, l’ancienne génération, celle de mes grands-mères, m’a beaucoup apporté. Le chant, achewwiq, de mes grands-mères et leur poésie, leur savoir, leur savoir-faire et leur expérience de vie sont une source d’inspiration inestimable
Par ses idées novatrices, la femme d’aujourd’hui a imposé sa notoriété dans plusieurs domaines. Il faut reconnaître que les femmes, quels que soient leurs origines, contribuent activement au développement des sociétés, elles sont le pilier et la fondation de toutes les civilisations. (Cf titre « Laid n t mettut » Honneur à la femme, clip officiel mars 2023, YouTube)
Le Matin d’Algérie : L’ouverture de votre musique sur le monde vous va bien, vous réussissez à marier les différentes sonorités comme par magie, à mélanger les couleurs comme le ferait le peintre dans un tableau, comment faites-vous ?
Karima Sumam : Avant d’arriver à la phase d’enregistrement au studio, le thème à aborder doit être en phase avec mon besoin d’expression du moment. Cette étape est primordiale, car je ne peux travailler que sur des sujets qui m’inspirent. L’inspiration peut partir d’une image, d’un objet, d’un fait, d’un mot entendu de façon hasardeuse lors d’un échange ou d’une discussion ou tout simplement d’un moment de silence.
Quelle que soit l’origine du texte, qu’il soit mien ou venant d’un parolier, le thème doit être une source d’inspiration pour moi car sans cela je ne peux faire évoluer ou mûrir le projet, ni lui trouver une orientation musicale, imaginer et écrire un scénario…etc. Une chanson c’est un tout : un ressenti, une atmosphère, un contexte historique, social qui doit stimuler mon imaginaire.
Il m’arrive d’imaginer le scénario du clip vidéo rattaché au thème avant même de finaliser le travail sur le texte et son enregistrement au studio.
Afin de donner vie à chaque titre avec le respect du style et de l’orientation musicale qui lui sont propres, il est important d’associer l’imaginaire de l’artiste et son ressenti avec le travail de réflexion et de technicité de l’arrangeur.
Je pense qu’il faut s’armer de beaucoup de patience pour produire un travail de qualité, réunir toutes les composantes est nécessaire pour que notre projet, soit bien construit et prenne toute son épaisseur.
Pour résumer je dirais que l’authenticité, la couleur et la richesse des sonorités de chaque titre vient d’un long travail de réflexion, de recherche et d’ajustements.
Le Matin d’Algérie : Quel regard portez-vous sur la chanson féminine algérienne et la chanson kabyle en particulier ?
Karima Sumam : La chanson féminine algérienne est en constante évolution. On voit de plus en plus de femmes s’exprimer par le chant et dépasser certains tabous. La nouvelle génération est plutôt prometteuse, la chanson féminine est de plus en plus reconnue et plutôt bien respectée.
Le Matin d’Algérie : Les arts en général aident l’émancipation des sociétés, surtout la chanson, qu’en pensez-vous ?
Karima Sumam : L’Art en général est un moyen de communication. Nous le savons bien, la communication est un moyen d’échange des idées et d’ouverture sur le monde. Que ce soit par la peinture, par la danse ou par le chant, ce sont tous des moyens d’expression et d’échange, d’évolution et d’émancipation. Un texte orné de musique propose aux peuples du monde entier un langage commun et universelle.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Karima Sumam : Effectivement. J’ai un projet d’un nouvel album qui est en cours de finalisation. L’intitulé de ce nouvel album est « Isufar ».
L’idée du choix de cet intitulé a émergé au moment où j’ai commencé à constater la diversité des composantes de cet album. Donc, il était tout naturel pour moi à un moment donné de rattacher ce projet artistique à une tradition et un art culinaire ancestral, un plat riche en ingrédients préparé chaque nouvel an berbère à l’occasion de Yennayer.
« Isufar » en tant que projet artistique a plutôt un sens imagé qui se traduit par la variété de ses thématiques, la richesse de ses sonorités et son ouverture sur une musique moderne et universelle. Il sera diffusé courant 2025.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Karima Sumam : Je dirais, qu’au-delà de cette valeur identitaire que recèle la chanson kabyle, cela reste un précieux héritage culturel pour notre pays et pour les générations futures, c’est un héritage qu’on a certainement tous le devoir de préserver.
Notre volonté de transmission doit être décuplée, d’une part pour assurer sa survie et d’autre part, pour nous en tant qu’artistes, d’affirmer son existence et d’aspirer à son expansion dans le monde.
Entretien réalisé par Brahim Saci