6 juillet 2024
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AccueilA la uneKateb Yacine, la plume oubliée de «Nedjma»

Kateb Yacine, la plume oubliée de «Nedjma»

Vous voulez bien enfoncer un éléphant africain dans le trou d’une seringue ? C’est très possible, faites-le avec la lecture que propose le livre de M. Abdelli Mohamed-Saïd, intitulé L’univers littéraire de Kateb Yacine paru chez Casbah éditions en 2009.

Une publication qui vous portera à l’idée d’une influente présence de micro-thèmes préislamiques (la jahylia) dans cette production poétique et fictionnelle de Kateb Yacine. Les indices que vous livre l’auteur de cette pesante analyse thématique, selon le diagramme de la phénoménologie de Bergson, aboutit à cette circularité qui domine le texte katébien tout comme celle de la composition qui domine la poésie arabe préislamique, ou les fameuses « moualakat ».

Influence transtextuelle due au père et à l’oncle de Kateb Yacine qui récitait de cœur quelqu’un de ces longs poèmes devant un petit Yacine totalement émerveillé « par la grandeur des images et formes de cet art bédouin ».

Une poésie qui débutait cycliquement par une lamentation sur les lieux abandonnés et clôturant sur le besoin et la nécessité de quitter ces mêmes lieux, afin de regagner d’autres lieux déjà abandonnés par d’autres tribus nomades.

Le non-dit de cette publication est que cette « lecture » reprend curieusement – et sans vouloir le citer – l’étude du Tunisien Hédi Abdel-Jaouad (1) qui proposait dès 1998, une proximité de la poétique katébienne avec celle des surréalistes en la situant dans la mouvance de la poésie préislamique.

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Une circularité polygonale est ainsi perçue par le chercheur dans Soliloques, Nedjma et Le Polygone étoilé depuis un télescope phrénique qui on dit long sur l’impasse dans laquelle baigne la recherche universitaire dans le pays.

Après avoir mâché une Nedjma comme symbole d’un pays frappé par les sceau de l’étendard du pays devenu national, on passe à un roman de l’urbanité d’une cité judéo-romaine, pour aboutir à un texte topographique qui aurait glissé dans une inconsciente narration, on est vite transposé à cet univers des « ténèbres » et de l’avant-savoir du monothéisme qui régnait chez ces poètes bédouins avant de retrouver la « lumière » de la révolution agro-pastorale de l’islam.

Pauvre Yacine que La Dépêche de Constantine (17/5/1941) avait annoncé son admission  dans l’examen des bourses pour la première série secondaire dans la catégorise des élèves de la série élémentaire pour indigènes. Un jeune Yacine qui, même vécu une certaine aisance sociale, il finira par déserter la classe sociale dans laquelle un certain hasard cosmique l’y a injecté.

À côté de cette « mytilotoxicité » arabiste, il y a eu cette turpitude taxinomique de vouloir incérer à cet écrivain des pigmentations idéologiques selon les adoucissants politiques que l’on manipule selon les événements. Le Kateb Yacine « culturaliste », « trotskyste », « tiers-mondiste », « maoïste » ou encore « patriote nationaliste » n’a pas tenu longtemps devant le très simplement Kateb Yacine, poète et militant communiste  éclairé jusqu’au dernier souffle de vie.

Cette composition fondamentale dans l’itinéraire artistique et esthétique de l’homme ne semble pas intéresser les brillants « huîtriers » de la littérature algérienne, toute langue confondue, à travers leur regard scrutateur déformant le réel et son impact sur la conscience des masses. Nedjma, son Cercle des représailles et son Polygone étoilé ne sont que le résultat d’un long et rigoureux travail sur la matière langagière, nourri, orienté et organisé par une praxis politique : le militantisme organique. Un nécessaire encadrement qui a permis aux prédispositions artistiques de Kateb Yacine, fils du village de Smendou de prendre toute sa dimension humaine et universelle.

Évoluer en pleine « Guerre froide »

Tout à commencer ce 24 mai 1947, lorsque le jeune poète Kateb Yacine donna une conférence à la salle des Sociétés Savantes de Paris sur l’émir Abdelkader et l’indépendance algérienne. Annoncée par Alger républicain (30/5/1947) l’intervention a été « écouté avec attention par deux cents individus intellectuels nord-africain » et que Kateb Yacine a fait réhabilité « la noble figure de l’émir que les colonialistes avaient réussi à ternir, voire à effacer de l’histoire algérienne ». Dans un entretien ultérieur, datant de 1988 (2), Kateb Yacine dira au sujet de cette rencontre:

« Il y avait des flics à la porte mais il n’y a rien eu. Sauf, qu’il y avait des éléments nationalistes à qui ça ne plaisait pas, parce qu’en ce temps il y avait déjà des tentatives de regroupements des partis anti-colonialistes pour faire un front, ce qui est devenu le FLN par la suite. Moi, je travaillais déjà dans cette direction. Tout le monde avait compris qu’il fallait s’unir parce qu’il y avait des dissensions entre le parti de Messali et celui de Ferhat Abbas, qui passaient leur temps à polémiquer, à se bagarrer, à se disputer un pouvoir qui n’existait pas encore. »

Kateb Yacine est devenu poète au rythme des pauvres semaines grises, des semaines où il n’y a à se mettre sous la dent que des croûtes. Le 17/2/1948, il est de retour  de Paris après un séjour de 9 mois où il rencontra Paul Éluard, Aragon, Guillevic et bien d’autres écrivains, poètes et journalistes, loin « des snobs et parasites des salons littéraires », dira-t-il lors de sa première visite aux locaux d’Alger-Républicain.

À Paris, Kateb militant au sein du comité Émir Khaled du Front national-démocratique algérien (FNDA), occupait le secrétariat générale de l’instance unioniste rassemblant des forces politiques et ouvrières progressistes de l’époque. Après une année de praxis parisienne, il sera désigner comme secrétaire du Comité algérien pour la paix et la liberté à Constantine, section du mouvement algérien pour la paix que dirigeait l’architecte Abderrahmane Bouchama. Mais l’unionisme dans le contexte de la « Guerre froide » a porté aussi ses propres limites.

Emmanuel Roblès, et depuis sa résidence à Bouzaréah, est apparu comme un activiste idéologique proche du proconsul colonial. Son carrefour de Sidi-Madani (Blida) lancé au premier trimestre 1948 n’est qu’un illusionnisme politique initié par la « Caverne » –  ainsi que l’on surnommé la résidence du Gouvernement général – n’a pas tenu longtemps.

La présence de Mohammed Dib et Kateb Yacine aux débats face à Albert Camus et Edmond Brua le Bônois a mis fin à la mascarade humaniste et que l’idée de Jean Sénac d’inviter à la session de 1949, Paul Éluard, Vercors, Breton ou encore Jean-Paul Sartre, a totalement anéantie le programme de la récupe idéologique.

Ce n’est pas à travers un activisme de camps de vacances que l’on face occulté toute une machine policière que dirigeait un ministre de l’Intérieur bien fasciste. Répression tout azimut sur l’ensemble du continent africain, en passant par le massacre des manifestants du 1er mai 1948 à Mascara par des Légionnaires allemands jusqu’à la tuerie du 11 novembre de la même année sur les Champs-Élysées.

Entre pacifisme et Maccarthysme, on ne voit pas « dans la pensée autre chose qu’un délassement ou aucune distinction qui n’a d’égale que la décomposition d’un certain nombre d’esprits prétendus éclairés », dira Kateb dans les locaux du quotidien anticolonialiste algérois.

L’Algérie est plus qu’une colonie française.  Dès 1946, elle intègre le plan Truman sans bénéficier du plan Marchal où l’on lance le projet d’une base navale atomique à Mers-El-Kébir, d’un centre d’expérimentation d’armes bactériologique à Beni-Ounif, la réhabilitation et la construction d’une base des fusées allemandes V-2 à Colomb-Béchar et le programme d’agrandissement et de construction de quelques 40 bases aériennes sur l’ensemble du territoire de la colonie. Guerre froide dit-on ? Pas tout a fait.

Kateb Yacine n’ignorait pas que les accords de Potsdam sur les zones d’influences entre bloc Atlantique et celui de l’URSS et des démocraties populaires, n’allait pas durer longtemps. Les préparatifs de la nouvelle guerre mondiale ont bien débutées dès 1944.

La recrudescence des guerres du Viêt-Nam, de Corée, les insurrections indépendantistes de Syrie, du Liban, d’Indonésie, de Birmanie s’interconnectés politiquement avec la Longue marche du PC chinois et ses alliés et ceux des luttes armées en Grèce et en Albanie.

Les peuples de France, d’Espagne et d’Italie poursuivent leur lutte contre la répression revancharde des débris du fascisme contre la classe ouvrière et ses formes progressistes. C’est dans ce contexte que nous percevons l’écriture du jeune Keblouti à travers ses écrits de presse, jusque-là occultés au large public.

Plus de 190 articles sont passés sous silence

Kateb Yacine à Alger-Républicain ne peut pas être résumé dans le seul Minuit passé de douze heures (Le Seuil, 1999 ; Chihab éditions, 2007), un ouvrage qui peut être qualifié de « bricolage d’imprimeries » qu’un annale d’écrits de presse de l’homme. Les 31 articles du quotidien  anticolonialiste d’Alger républicain, ne résument nullement le travail politique du géant de la littérature algérienne.

Nous voulons plutôt parler de quelque 200 papiers parus sous forme de « billets », de reportages dans les quartiers démunis d’Alger, de la vie sociale et ouvrière, enfin des enquêtes. Une matière journalistique bien dense qui s’attaque au vécu, faisant une substance de qualité pour les futurs travaux de fiction.

Tout débute lorsque Les Lettres françaises hebdomadaire politique et littéraire de Louis Aragon, publie le 16//5/1947 Ouverte la voix, un poème de Kateb Yacine extrait d’un recueil jusque-là inédit au titre de Poèmes de l’Islam réveillé dont les feuilles éparses restes prisonnières de quelques boîtes dans les coffres d’une institution du rue du Louvre à Paris.

Le 20/5/1947, au tour de la revue Forge dans son numéro 03 de faire paraître le poème Bonjour aux côtés de Noctambule, de Jean Sénac, Véga de Mohammed Dib et Cimetière arabe, du dirigeant du PCA-clandestin durant le régime vichyste en Algérie qui sera tué en 1942, par un camion de l’armée américaine alors qu’il attendait un tramway au carrefour Mustapha à Alger.

Toujours dans la famille des publications communistes, l’organe du Secours Populaire français, La Défense du 18/3/1949 dont Georges Raffini est le dirigeant algérien de la section algérienne, fait paraître un texte de Kateb évoquant sa solidarité avec la lutte du peuple irakien pour son indépendance de la couronne coloniale britannique.

Le poème On a osé toucher au peuple d’Irak est daté du 1 mars 1940 à Constantine, l’enfant des Keblout n’avait que 11 ans pour dir que l’école de l’engagement politique est celle de la vie qui s’annonce dès l’enfance et non dans les gênes.

À Alger-Républicain, Kateb n’était pas un permanent et sa signature apparaissait d’une façon un peu sporadique d’où la difficulté d’établir une chronologie exacte des « papiers » publiés. Par exemple pour la seule année 1949, nous remarquons que seuls les mois de juillet, août et décembre ont été fructueux pour le jeune poète-militant. Alors que 1950, la production de presse de Kateb est marquée par une régularité et un rythme un peu plus « discipliné » dans les parutions.

Henri Alleg, dans un entretien paru au n° 8 des Cahiers d’histoire (1982), évoquait Kateb comme journaliste chargé des questions internationales. Pas entièrement, il est vrai qu’une centaine d’articles sur les 200 inédits, traitent des questions relatives à la paix, au Moyen-Orient et à la coalition nucléaire Anglo-yankee, le reste de cette production touche à d’autres thèmes. C’est ainsi que Kateb Yacine avait consacré une belle série d’articles au boxeur algérien Omar Kouidri et à ses victoires de 1938, de 1945 et à sa rencontre avec Cerdan et les revanches de l’Algérien. Toute l’histoire est inscrite dans les numéros du 3 au 8/7/1949.

Durant cette année 1949, Kateb nous offre à lire d’admirables pages sur les Nuits du ramadhan à Alger (du 19 au 24/7/1949) où encore un dossier sur Le chômage cette plaie (du5 au 11//1949) avec des virées aux expulsés du quartier de l’Hussein-Dey (5/5/1949) et à Aïn-Taya, à la rencontre des enfants des travailleurs ou au sein du regroupement des Scouts musulmans.

Sur la colonne intitulé Le fait du jour, Kateb Yacine se donne à cœur de joie de malmener les dictateurs, les réactionnaires Arabes, les dirigeants occidentaux et autres colonialistes, en portant de fiers soutiens aux peuples en lutte. Entre les 23 juin 1949 et 26 mai 1951, les événements de l’heure sont traités avec un savoir méticuleux et fine connaissance des enjeux de cette « guerre froide ».

Dans Le Rouge et le Noir, le titre qu’il empreinte à Stendhal, devient un réquisitoire dénonçant la violence raciste dans la plus puissante « démocratie » du monde. Il écrira notamment, qu’il « a fallu la victoire sur le racisme hitlérien pour nous faire parvenir aussi nettement l’écho poignant de la souffrance noire… », avant d’ajouter que dans « la chasse au rouge ou la chasse au noir, les victimes sont les mêmes. Et le crime commis sur un homme à qui l’on refuse le droit de défendre ses conceptions est le même que celui commis sur un autre homme dont le visage noir est une ombre sur le tableau américain » (23/6/1949). 75 ans après ce billet, nous sommes toujours à la case de départ, tant à Oklahoma City qu’à Alger.

Saïd Lamri ne s’est pas tu

Le 15 septembre 1950, Kateb Yacine est à l’hôtel Lutetia à Paris assistant à une conférence de presse avec les membres de la délégation de « nord-africains » de retour de l’URSS. Dans la délégation il y avait entre autres, Tahar Ghomri, fellah et membre du CC-PCA et le jeune secrétaire de l’Institut Ben-Badis de Constantine, Réda Houhou.

La lutte pour la paix dans la situation de colonisation n’avait pas qu’un goût d’amertume, la photo du groupe prise à l’aéroport d’Orly monte un Kateb coiffé d’une tabeteika (calotte en langue ouzbek) sous le regard d’un Houhou lançant certainement une pointe d’humour constantinois.

Le même Houhou qui déclara à Alger républicain lors d’une rencontre public à la brasserie de L’Etoile à Alger, que « tous les enfants sont heureux, leurs parents n’ont pas de soucis à leur sujet. Et cela encourage beaucoup les jeunes gens à se marier tôt. Car tout favorise le développement de la population. Quant à la religion, cette question fut réglée dans les meilleures conditions par la séparation du culte et de l’État. Et la chose la plus extraordinaire est cette présence dans tous les endroits des mots d’ordre de paix : dans les usines, les établissements scolaires, les rues, partout, partout. Nous avons vu un monde nouveau et heureux ». (Alger républicain, 19/9/1950).

Une telle déclaration coïncidait, malheureusement, avec la visite à Alger de l’escadre aéronavale yankee de la 6e Flotte à sa tête le porte-avions Midway et ses 300 avions, mouillant à la baie d’Alger, avec son croiseur lourd, ses destroyers, son contre-torpilleur et son pétrolier-ravitailleur en cette journée du 9/9/1950. Un mois auparavant, Mohammed Dib évoquait sur le même quotidien du 6 au 10/8/1950, ce port d’Alger devenu à caractère militaire.

En 1950, on ne luttait pour la paix afin de l’inscrire dans une luxure partisane tout en faisant plaisir aux seules directives du Kominform venant de Prague ou de Moscou.

Kateb Yacine et son militantisme profondément encré dans les rangs du PCA, tout comme son camarade Dib, n’ignorait pas que cette tâche en Algérie, s’inscrivait dans la lutte globale que menaient les classes les plus démunies, algériennes ou européennes, pour une réelle émancipation démocratique et nationale.

Lorsqu’au mois de juillet 1950, Kateb Yacine et en compagnie de René Samson un des collaborateur du quotidien anticolonialiste ont rendus visite aux ouvriers métallurgistes de la Société NEYREPIC de l’Hussein-Dey, c’est pour une tâche bien politique de mobiliser et inciter une mobilisation des travailleurs à s’organiser aussi autour du journal et de son association d’amis dont le nombre des lecteurs dépassait de 2 à 3 fois l’effectif des militants du PCA. Alger-Républicain été plus qu’un instrument de propagande, il est devenu une arme de guerre idéologique que la colonisation devait détruire à tout prix.

N’est-ce pas qu’à la fête des organes centraux du PCA, Liberté et Al-Djazaïr-Al-Djadida, les poèmes de Kateb et de Dib sont toujours lu au côté de ceux d’Éluard, Aragon, Vercors, Hikmet et les poètes communistes d’Égypte, d’Irak et de Syrie.

Le Saïd Lamri « alias Kateb Yacine » paraissant en 1949 avec son reportage critique et dénonciateur de la maffia coloniale du pèlerinage à La Mecque, réapparaît du 26/6/1951 jusqu’au 392/1953, cette fois avec 09 articles sur le monde ouvrier en Algérie, évitant par là une rédaction raciste, paternaliste et sectaire, selon le rapport de Bachir Hadj-Ali, présenté à la session du CC-PCA du 17 et 18/1/1953. Un repli bien tactique de la part d’un militant communiste et cette fois sur la page des travailleurs que dirigeait le leader syndical, Lakhdar Kaïdi.

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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