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jeudi 29 mai 2025
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Khaled Sahli : « Écrire, c’est résister aux silences qu’on nous impose »

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Dans une Algérie où l’intellectuel est souvent relégué à la marge, Khaled Sahli, installé à Ferjioua, incarne une voix rare : libre, rigoureuse, enracinée dans la langue et la pensée critique. Lors de ma visite à Ferjioua, j’ai eu le privilège de le rencontrer. Mon cadeau ? Quelques ouvrages de ceux qu’il admire : Edgar Morin, Michel Onfray, Alain Touraine… Des auteurs dont les réflexions résonnent avec les siennes, et nourrissent son regard aigu sur le monde.

Écrivain de l’ombre mais pas du silence, Sahli interroge la citoyenneté à l’ère numérique, explore les fractures sociales à travers la nouvelle, et défend, contre vents et marées, une écriture habitée par la vérité. Dans cet entretien accordé au Matin d’Algérie, il se livre avec franchise : sur son rapport au langage, à l’engagement, et sur cette Algérie qui peine encore à reconnaître ses penseurs.

Le Matin d’Algérie : Khaled Sahli occupe une place dans le paysage intellectuel et littéraire, n’est-ce pas ?

Khaled Sahli : Je suis un homme qui tente d’écrire, de témoigner et de transmettre ce qui se passe dans ce monde brutal et sauvage. J’ai été fasciné par la langue, les questions de pensée, les univers littéraires. Mon histoire avec l’écriture est longue : c’est une histoire d’espoir et de douleur à la fois, une plaie ouverte sur deux versants — celui de la pensée et de la raison, et celui de l’âme et de la création. Quiconque écrit avec conscience a une place au cœur de quelque chose.

Le Matin d’Algérie : Vous vous intéressez à la notion de citoyenneté et à la société civile à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle ?

Khaled Sahli : C’est exact. Les définitions de la citoyenneté sont multiples. Ce concept est pluriel dans la pensée libérale avec ses diverses écoles, et son contenu comme son usage évoluent constamment. Il a glissé de la sphère politico-juridique vers celle des droits civiques, puis vers les domaines sociaux et économiques, jusqu’à toucher la justice dans la sphère privée, en réduisant l’écart entre le privé et le public. Il englobe désormais les identités culturelles collectives, voire les revendications corporelles dans l’espace intime qui cherchent une légitimité dans l’espace public. Certains vont jusqu’à qualifier la citoyenneté actuelle de liquide et diffuse — à l’image du projet moderne lui-même, comme l’analyse Heba Raouf Ezzat.

Dans ce monde numérique, les individus y sont pleinement immergés, de manière efficace et adaptée à leur quotidien. L’accès rapide et fluide à l’information et à l’actualité y contribue largement. Il en résulte une réalité virtuelle parallèle qui influe directement sur la réalité tangible. Le monde numérique est devenu un espace inévitable de participation, ce qui exige une formation solide à la citoyenneté numérique, pour une implication responsable et la capacité de produire à la fois des idées et des actions, dans un esprit positif.

La citoyenneté se redéfinit donc dans l’ère de l’intelligence artificielle. L’ambiguïté ne réside plus dans sa définition — l’IA fournit désormais l’information avec une aisance déconcertante — mais plutôt dans l’usage, l’incarnation et le respect de cette information et de ses conditions. Le véritable enjeu reste donc l’application éthique et consciente du savoir. Et qui sait ? Peut-être verrons-nous un jour naître le « citoyen robot »…

Le Matin d’Algérie : Parlez-nous de vos nouvelles...

Khaled Sahli : Mes recueils publiés sont Tableaux diffamants, Le conte au-delà de la millième nuit, L’enfer sous les habits, auxquels s’ajoutent d’autres encore inédits. Tous ont été bien accueillis en Algérie et dans le monde arabophone. Plusieurs écrivains et critiques en ont parlé, comme le romancier Dr. Soufiane Zdadqa, Dr. El Khaldia, la critique spécialisée en littérature numérique Kalthoum Zenina, le nouvelliste Dr. Alaoua Koussa, et Dr. Boumkahla Djilali, entre autres.

Certaines de ces œuvres ont même fait l’objet de mémoires universitaires. Ce sont des récits où le réel se mêle au fantastique, où la vérité flirte avec l’illusion, pour mieux faire passer l’idée, pour mieux scruter les détails du présent en les confrontant à une autre réalité — distante mais étrangement contemporaine. Ces histoires portent en elles les voix de nombreux personnages que je porte en moi : des amoureux, des sacrifiés, des opprimés, des brisés, des bourreaux et des victimes. Certains se sont installés en moi pour raconter leur combat contre la tyrannie, l’oppression, la bureaucratie. Ils ont investi mes récits pour y chercher un salut.

C’est une littérature ancrée dans les préoccupations humaines. J’écris chaque fois qu’une idée m’éblouit, qu’un fil narratif se dessine. Je consigne, je crée une proximité affective avec mes personnages, je leur donne des fins, des conflits, sans jamais les abîmer ; je mets en valeur le tragique que je tisse pour qu’il devienne rêve, pardon, ou l’ébauche d’un nouveau chemin illuminé d’espoir et de renouveau.

Car celui qui écrit ne se lasse pas. Il guérit, s’élève, renaît sans cesse de ses cendres comme un phénix. Il tente, comme Sisyphe, non pas par punition, mais parce que l’effort est une manière de garder vivant l’espoir. Et dans chaque douleur qui se répète quelque part dans le monde, une nouvelle forme de tragédie surgit — à la mesure des injustices qui défigurent ce monde.

Le Matin d’Algérie : Et votre expérience dans la micro-nouvelle ?

Khaled Sahli : Cela relève d’une forme moderne du récit, difficile à inscrire dans les formats traditionnels de la nouvelle. Cette tentative modeste que j’ai embrassée s’est enrichie dans une dynamique moyen-orientale, mais n’a connu qu’un développement limité au Maghreb — à travers deux ou trois expériences, dont la mienne, comme l’a souligné Dr. Charaf Eddine Choukri.

Mes textes prennent souvent la forme d’idées philosophiques, condensées, fulgurantes. J’ai volontairement estompé les frontières des genres, pour produire une écriture qui ressemble à une brève méditation philosophique, une scène, un flash. J’ai ainsi déchargé le lecteur de l’attente formelle, lui offrant à chaque fois un espace libre d’interprétation, sans m’imposer comme guide ou censeur.

Le Matin d’Algérie : Et votre rapport au roman ?

Khaled Sahli : Le Noyé, un roman dont seul un extrait a été publié, attend encore son impression — plus de dix ans après son écriture. Je l’écris, puis je la réécris. J’ai une autre œuvre en attente. J’ai tendance à déconstruire ce que j’ai déjà bâti.

Le Matin d’Algérie : En toute franchise, que signifie pour vous l’acte d’écrire aujourd’hui ?

Khaled Sahli : C’est une conscience, une mission, un fardeau, une responsabilité, une cause, une obsession, une fatigue, un destin lié à une posture.

Écrire ne vous rapproche ni d’un ministre, ni d’un prince, ni d’un ambassadeur, tant que vous vous obstinez à dire la vérité et à nommer les choses telles qu’elles sont. Vous me comprenez sûrement, car vous connaissez mieux que moi la réalité du terrain. Vous donnez la parole à ceux que l’on écarte et marginalise.

En Algérie, le dernier regard qu’on accorde est pour l’intellectuel, l’écrivain, le nouvelliste. Écrire est un choix, même si c’est celui de la faillite, de la pauvreté, de la détresse, et d’un épuisement nerveux permanent.

Beaucoup d’intellectuels sont morts pour que l’Algérie conserve son identité. Et pourtant, que reste-t-il de leurs noms ? Que sont devenues leurs familles ?

Combien d’écrivains sont inconnus chez eux et reconnus à l’étranger ? Les voleurs d’écriture et les opportunistes pullulent. Une simple recherche dans les maisons d’édition et les projets dits culturels suffit pour comprendre.

Le Matin d’Algérie : Et l’écriture, qu’est-elle pour vous ?

Khaled Sahli : Un dialogue fondé sur les idées partagées, jamais sur l’intérêt personnel.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

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1 COMMENTAIRE

  1. Bon vent Monsieur, la persévérance mène à bon port.
    Ne rien lâcher et ne jamais douter de ses capacités à aller de l’avant.
    Un lecteur qui a pris plaisir à vous lire.

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