26 C
Alger
vendredi 5 septembre 2025
AccueilA la uneKhassani ou la danse interdite !

Khassani ou la danse interdite !

Date :

Dans la même catégorie

Rif : Ahmed Zefzafi, le père de Nasser Zefzafi, est mort

Ahmed Zefzafi, père de Nasser Zefzafi, une figure emblématique...

La tapisserie de Bayeux, c’est aussi l’Angleterre !

Le Président Emmanuel Macron a promis au premier ministre...

Importations dans les cabas : le ministère des Finances reconnaît un vide juridique

Le ministère des Finances a répondu officiellement à une...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

Mohamed Khassani, ce n’est pas n’importe qui. Comédien populaire, visage familier du petit écran, artiste complet qui a su passer du théâtre à la télé puis à la musique avec une aisance rare. Bref, un homme qui monte. Mais en Algérie, monter, c’est déjà suspect. Et le pire crime, c’est de danser. Pas n’importe où : dans un clip du rappeur marocain Draganov. Trois minutes de musique, quelques pas de liberté, et soudain la foudre.

Lever la tête, ici, c’est comme dépasser au rond-point : tu finis percuté, même si tu es dans ton droit. La polémique est partie comme une traînée de poudre, avec son cortège de hashtags, de « hchouma » scandés en boucle et de rumeurs d’un probable retrait officiel de sa carte d’artiste. Certains médias l’ont même affirmé, avant que d’autres ne démentent. Mais l’essentiel n’est pas là : dès qu’un artiste danse au mauvais endroit, tout un système politique et médiatique se met en branle pour « sauver la morale nationale ».

Personne ne s’est demandé dans quel état il se trouvait, lui, l’artiste derrière la polémique. On oublie que derrière la vidéo partagée en boucle, il y a un homme, un gagne-pain, une dignité. Le lynchage médiatique, ça ne fait pas que salir une réputation : ça écrase, ça isole, ça peut même détruire. Jusqu’à pousser parfois à l’irréparable. Dans ce vacarme, on ne parle jamais des droits bafoués, de la fragilité de l’artiste, ni du rôle d’une tutelle qui devrait être la première à dire : « Stop, la meute n’est pas la loi. » Au lieu de protéger, on accompagne l’aboiement.

Quand le corps s’exprime

Et pourtant, la danse, c’est bien plus qu’un déhanché. Le corps en mouvement, c’est un langage, une mémoire, une liberté. Qu’on l’appelle danse du ventre, danse du cul ou belly, peu importe : elle exprime ce que les mots taisent. L’interdire ou la juger obscène, c’est bâillonner la société elle-même. Car derrière chaque mouvement, il y a une affirmation : je suis vivant, je suis libre, je veux respirer.

De la danse du way-way popularisée par Benchenet aux pas du walkmoon de Nourredine Staïfi, nos artistes ont inventé des styles modernes aussi légitimes que les danses traditionnelles kabyles, chaouies, sétifiennes, sahraouies ou algéroises. Chaque région, chaque époque a trouvé son rythme. Mais au lieu de les assumer comme des morceaux de notre identité, on les stigmatise. Comme si danser était plus dangereux que d’étouffer une liberté d’expression.

Nietzsche l’avait déjà compris : « Je ne croirais qu’à un dieu qui sache danser. » Et s’il débarquait aujourd’hui à Oran ou à Alger, il ajouterait sans doute : « …et surtout un dieu qui sache esquiver les moralistes. »

Hchouma à géométrie variable

Dans ce cirque numérique, il reste une caste indétrônable : les prêcheurs. Pas besoin de références religieuses ni de cohérence. Leur catéchisme tient en un mot : hchouma. La danse est hchouma, le rire est hchouma, parfois même la couleur d’une robe. Et l’argument final tombe comme une enclume : « On ne peut pas regarder ça en famille ! » Comme si la famille était devenue la seule unité de mesure de l’art.

Ce radicalisme n’a pas besoin de théologie : il vit de réflexes pavloviens. Un conservatisme made in Algeria, où tout ce qui déroge à la règle devient une offense nationale. Leur dictionnaire est simple : tout est hchouma, sauf leur propre hypocrisie.

On ne l’a pas oublié : la fameuse « Chatha ». Un simple déhanché qui n’aurait dû rester qu’un pas de danse, mais qu’un influenceur reconverti en donneur de leçons a aussitôt rebaptisé « danse du cul ». En un clic, le mouvement est devenu une affaire de mœurs, et la polémique un business d’indignation.

C’est dans cette ambiance qu’ont fleuri les influenceurs-omnivores : chanteurs ratés, acteurs de circonstance, chroniqueurs improvisés et journalistes autoproclamés. Hier, ils faisaient sourire avec des vidéos bricolées dans un garage ; aujourd’hui, ils pontifient sur ce qui est « acceptable » ou pas. Jadis divertissants, ils se prennent pour des prophètes en toc, débitant leurs fatwas morales à la cadence des notifications.

La meute, elle aussi, a trouvé ses griots : les pseudo-journalistes. Pas besoin d’école ni de rédaction : un smartphone, une carte son bas de gamme, et voilà une « presse libre » autoproclamée. Mais ces gens-là ne sont pas des reporters : plutôt des liseuses d’avenir de pacotille, oscillant entre charlatanisme et sérieux de café du commerce. On les croirait sortis d’un cirque ambulant : une main sur le micro, l’autre dans la boule de cristal. Tarif : un like la prédiction.

Et c’est là qu’apparaît la vraie drogue de ce petit monde : le like. Devenu la cigarette nationale, il se consomme compulsivement. Un scroll par minute, un rafraîchissement toutes les trente secondes. Une photo qui ne dépasse pas les mille likes ? Humiliation publique. Une indignation qui explose ? Gloire instantanée.

Le like est notre nouveau pétrole : on l’extrait, on le brûle, on s’empoisonne. Il alimente même la décision politique. Le ministre, lui, n’a plus de conseillers : il a une application qui lui dit quand tweeter. Aujourd’hui, gouverner, ce n’est plus décider : c’est refresh.

Une tutelle en retard

Face à tout ça, que fait la tutelle ? Elle devrait dire haut et fort : « La carte d’artiste n’est pas une médaille morale, c’est un statut. Son retrait obéit à une procédure, pas à un hashtag. » Mais non. Elle préfère inventer des commissions d’éthique, des chartes déontologiques, des parapluies administratifs. Le ministère ne gouverne plus, il ouvre son parapluie et attend que l’orage passe.

Résultat : la médiocrité gagne du terrain. Des salles de théâtre fermées, des cinémas transformés en entrepôts, des artistes qui survivent à l’étranger ou bricolent chez eux. Et pour masquer ce désert, on étale la Déculture comme de la confiture : plus c’est vide, plus on l’affiche en slogans. Dans ce vide culturel, qui reprend le flambeau de la morale ? Paradoxalement, ceux qu’on stigmatisait hier : marginaux, opportunistes, prostituées de circonstance. Faute de réflexion, faute de justesse, on laisse les moralistes de hasard devenir les nouveaux maîtres de cérémonie.

Un pays qui danse mal

On juge une société à sa manière de traiter ses créateurs. L’Algérie, elle, danse mal. Elle s’indigne vite, condamne plus vite encore, mais elle oublie que l’art est une respiration. Khassani n’a commis aucun crime : il a dansé. Et c’est ce geste simple qui a déclenché le lynchage. Dans une démocratie adulte, ce serait une anecdote. Chez nous, c’est une affaire d’État.

Un pays qui humilie ses artistes finit toujours par se retrouver prisonnier de ses propres meutes. Et les meutes, on le sait, aboient toujours plus fort quand elles n’ont rien à dire.

Zaïm Gharnati

Dans la même catégorie

Rif : Ahmed Zefzafi, le père de Nasser Zefzafi, est mort

Ahmed Zefzafi, père de Nasser Zefzafi, une figure emblématique...

La tapisserie de Bayeux, c’est aussi l’Angleterre !

Le Président Emmanuel Macron a promis au premier ministre...

Importations dans les cabas : le ministère des Finances reconnaît un vide juridique

Le ministère des Finances a répondu officiellement à une...

Dernières actualités

spot_img

1 COMMENTAIRE

  1. « De la danse du way-way popularisée par Benchenet aux pas du walkmoon de Nourredine Staïfi, nos artistes ont inventé des styles modernes … ». C’est quoi ce style walkmoon inventé par nos artistes? On connaît plutôt le style moonwalk? Insinuez-vous que Nourredine Staifi a inventé le style « moonwalk »? C’est largement connu que ce style de danse remonte aussi loin que dans les années 50 (Bill Bailey et son « backslide ») et a été popularisée par Michael Jackson à partir de 1983? Aussi, à moins de vouloir à tout prix réinventer la roue, il faut savoir raison garder cher M. Zaïm Gharnati!

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici