21 décembre 2024
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« La Casa d’El Mouradia » lu par Mourad Bourboune

PUBLICATION

« La Casa d’El Mouradia » lu par Mourad Bourboune

Il y a d’illustres prédécesseurs, le grand Victor Hugo de toute sa hargne républicaine lançant l’immortel anathème contre «Napoléon le Petit » qui, à côté de son oncle le vainqueur d’Austerlitz apparaît comme une taupinière à côté de l’Himalaya. Mohamed Benchicou revient sur sa cible préférée dans un livre écrit dans l’urgence et qu’il faut lire de toute urgence, « Casa d’El Mouradia». 

C’est du sein même de cette insurrection, c’est de l’esprit de cette résurrection d’un peuple qu’il lance ses lucides et ses ultimes imprécations contre l’imposture qui a duré deux décennies. Une fine triangulation nous la présente sous toutes ses aspérités: il y a le déroulement des faits qui par vagues successives inondent chaque vendredi tous les médias de la planète …Et vue de haut et de loin dans le futur, à Liège en 2079, la jeune Lylia à la recherche de ses ascendants et de leur immortelle saga.

S’intercalent les retours sur les événements qui se déroulent sous nos yeux, dont nous sommes ou devenons les acteurs et leur conclusion ô combien optimiste : l’emprisonnement et le jugement des capo mafiosi qui ont mis le pays en coupe réglée sous la haute protection et la complicité active de Fakhamatouhou et de son clan avec cette devise qui les définit si bien : Imposture… médiocrité… rapacité…Imposture parce qu’ils prétendent porter le drapeau des artisans de l’indépendance, des hommes de Novembre …Boutef Fakhamatouhou le Petit, prétendu grand moudjahid qui parvint à rafler le pouvoir et à terminer premier dans un triste concours de circonstances …Médiocrité, comme le laisse voir leur juste valeur et, enfin Rapacité, inextinguible : ils ont bouffé les entrailles de la terre, des algérophages !

En ce dimanche 27 octobre beaucoup d’options sont possibles mais une vérité surnagera : la parole s’est libérée, illuminant un ancien monde longtemps, si longtemps condamné au silence obscur et rien ni personne ne pourra l’éteindre. Les dinosaures disparaissant laissent la place à l’homme à venir…On sent dans ce petit peuple que nous décrit Benchicou la gésine d’un monde nouveau, et le vouloir est déjà une victoire….

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Ce petit peuple reprend possession de sa vie, de sa voix, de sa cité. Il éclate de vérité humaine sous la plume de Benchicou…Ces dialogues de Platon avec les mots et maux de nos Casbahs !

Reste l’invocation de Camus : laissons là cet apôtre de la posture et de l’imposture, laissons- le à sa mère et à sa justice. Si nous voulons un lien généalogique pour ce livre voyons du côté de Vallès et de ses insurgés, voyons du côté d’Orwell et des brigades internationales pour la république Espagnole. Avec ces derniers mots : « Contre la fin de tout, je dois ce que je sais aux hommes qui ont su ce que la vie contient, aux insurgés vérifiant leurs outils et vérifiant leur cœur en se serrant la main », que signe Paul Eluard.

Mourad Bourboune

Extrait

Le quartier paraissait reclus dans une de ces criques perdues dans les océans de l’oubli, résigné devant l’injustice des hommes, encore plus désespéré depuis cet après-midi de février 2019 où Kader annonça la nouvelle :

Fakhamatouhou est candidat pour un cinquième mandat !

Sur le quartier tomba alors une nuit soudaine.

Fakhamatouhou, ils avaient, pourtant, commencé par l’aduler, dans le quartier. Longtemps, ils avaient cru vivre dans l’harmonie, la paix et, à défaut de prospérité, dans le sentiment de ne jamais manquer de l’indispensable, sous la protection d’un président dont on avait fini par se convaincre qu’il était béni par les Dieux, comme le répétait Didine, le cordonnier cul-de-jatte du quartier, grand admirateur de

Fakhamatouhou. et qui, à longueur de journées, entre deux semelles à réparer, et sous les encouragements de Bouchekra, le chef de la section locale du Fln, prêchait la bonne parole auprès des jeunes chômeurs, les incitant à faire preuve de patience, les assurant qu’ils seraient bientôt riches sans avoir à faire la révolution du Printemps arabe, pas comme ces fous de Libyens, parce que, voyez-vous chers compatriotes, ici c’est la terre bénie et la cagnotte nationale y est inépuisable grâce à Dieu qui nous a envoyé le soleil, ce président et l’argent qui va avec !

L’arrivée de ce président au pouvoir avait, en effet, coïncidé avec l’envolée des prix du pétrole sur le marché international. L’argent se mit à couler à flots. C’était l’époque où les gouvernants eurent l’idée de s’offrir un peuple qui leur ressemble. Ils avaient réveillé ce qu’il y avait en chacun de cupidité, de disposition à l’amnésie et de talent pour l’obséquiosité. Édifier, enfin, un peuple qui n’a que faire de la justice quand le ventre se remplit si bien dans un système d’injustice. Les gouvernants avaient soudoyé les plus vertueux, sachant qu’un mauvais sujet ferait toujours un bon serviteur.

Dans le quartier, ils avaient commencé à croire que la chance avait basculé de leur côté quand les jeunes chômeurs du quartier reçurent des allocations exceptionnelles censées servir de « soutien à l’emploi des jeunes. » Ramdane ouvrit un « café littéraire », une librairie originale qui n’existe nulle part ailleurs, intitulée Le ventre et l’esprit, une sorte de gargote où l’on trouvait des livres recueillis çà et là, quelques revues, des disques, des téléphones portables mais surtout des hamburgers et des pizzas à midi, avec des formules promotionnelles inspirées de la chaîne de restauration américaine Mac Donald, afin d’attirer les lycéens du coin.

L’après-midi, dans Le ventre et l’esprit, c’est le règne des pâtisseries pour les mêmes lycéens qui prenaient place, en couple, pour se faire des mamours sur fond de musique raï. Afin d’honorer l’appellation Le ventre et l’esprit, Ramdane invitait, de temps à autre, des universitaires ou des journalistes, mais le plus souvent le Professeur, pour animer une conférence, tantôt sur l’émir Abdelkader, tantôt sur les Accords d’Evian, des interventions que personne ne suivait, du reste. Kader, lui, s’était offert deux gros véhicules équipés de sorte à pouvoir servir à bien des usages, du déménagement à la location pour les couples à la recherche d’intimité.

Avec le magot gouvernemental, Othman, fort de son talent de guitariste, monta un orchestre spécialisé dans l’animation des nombreuses fêtes familiales qu’on avait pour coutume, à Alger, d’organiser pour toutes sortes d’évènements, le mariage ou la circoncision, le retour de la grand-mère du hadj, l’obtention du baccalauréat et même l’entrée en sixième ou l’anniversaire du petit dernier. Le plus original fut Antar, plus connu sous le nom de Pierre Ricard en raison de sa passion pour l’alcool. Il opta, lui, pour une activité moins éprouvante, celle de cambiste au noir, passant ses après-midis dans le bar de Hocine, à s’adonner à la boisson et au change parallèle de devises. Il se pavanait dans le quartier en se vantant d’être l’unique client au monde à sortir d’un bar plus riche qu’il n’y était entré.

Pour ce seul mérite, le nouveau chef de l’Etat fut vénéré. On admirait, le soir, à la télévision, ce président qui se présentait comme un homme plutôt instruit et courtois, ouvert, du moins le laissait-il entendre, sur la civilisation universelle. Ils lui témoignèrent de la dévotion au point de passer une dizaine d’années à le regarder parader à travers le monde, haranguant les foules, sermonnant son peuple, s’identifiant tantôt à Jefferson, tantôt à De Gaulle, se réclamant de Mandela, donnant l’image d’un chef d’Etat moderne qui savait où il allait et procurant à chacun de nous l’assurance d’être solidement gouvernés.

Nous nous flattions d’être la 34è nation la plus riche de la terre, ce qui, ajouté à la vaillance d’avoir chassé l’occupant français au prix d’un million et demi de martyrs et à l’exceptionnel prestige d’avoir représenté les Arabes à la dernière Coupe du monde de football – El moumathil el ouahid lil arab ! – faisait de nous, incontestablement, un peuple distingué, fier et serein.

C’était alors le temps de la béatitude

Auteur
M. B.

 




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