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lundi 8 septembre 2025
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La cinglante gifle des 7 adolescents haraga au régime algérien

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Un soir d’août, la mer s’est chargée de dire tout haut ce que le régime algérien tait depuis trop longtemps. Sept adolescents, encore à l’âge où l’on devrait rêver de football, d’études ou d’avenir, ont arraché un chalutier de pêche pour se jeter dans la Méditerranée. Leur destination n’était pas une terre promise mais simplement un ailleurs, Ibiza, une île espagnole qui n’a rien d’un Eldorado mais qui, pour eux, représentait déjà plus de vie que leur propre pays.

La traversée n’était pas un caprice ni une aventure romantique ; c’était une fuite désespérée, un geste de survie. Ce n’était pas seulement un vol de bateau, c’était un vol d’avenir, celui qu’on leur avait confisqué. Chaque vague qu’ils ont affrontée était un acte d’accusation contre un régime qui, depuis des décennies, ferme les yeux sur la souffrance de sa jeunesse. La Méditerranée, ce soir-là, n’était pas une frontière, elle était une scène où se jouait la tragédie d’un pays qui pousse ses enfants à s’évader de leur propre patrie comme on s’évade d’une prison.

En Algérie, la harga n’est plus une échappatoire clandestine, c’est devenue une obsession nationale. Dès l’adolescence, elle s’impose comme une idée fixe, un horizon gravé dans l’inconscient collectif : partir, brûler les frontières, échapper à une vie immobile. Ce n’est pas un choix réfléchi, c’est un réflexe de survie. À seize ans, ailleurs on rêve de l’université, de projets, d’amour ; ici, on rêve seulement de la mer, de l’autre rive, d’un ailleurs où l’on respire. Les chiffres parlent avec cruauté. Les départs de mineurs non accompagnés se multiplient, les embarcations interceptées se comptent par dizaines, et les côtes espagnoles, italiennes ou françaises voient chaque année déferler cette jeunesse en fuite.

La harga n’est plus marginale, elle est devenue un rite funeste de passage, une initiation collective où l’on échange l’espoir d’une vie contre la certitude du danger. Et ce danger n’effraie plus personne, car ce que redoute la jeunesse algérienne n’est pas la mer mais de rester enfermée dans un pays sans avenir. Ce phénomène n’est pas une folie individuelle, il est un verdict collectif. Si l’exil clandestin devient la norme dans l’imaginaire de toute une génération, c’est que le pays a failli. La harga n’est pas le problème, elle est le symptôme. Et ce symptôme, tragiquement, révèle une société qui ne produit plus de rêves mais des fuyards.

L’Algérie est un pays riche, mais ses enfants vivent comme si elle était pauvre. Le paradoxe est insoutenable. Sur un sol gorgé de pétrole et de gaz, dans un pays immense et fertile, la jeunesse végète, sans emploi, sans perspectives, sans avenir. Le chômage frappe de plein fouet, les diplômes se transforment en papiers inutiles, les rues en terrains vagues d’ennui. Tout est verrouillé, l’économie, la politique, la société. Ce verrouillage n’est pas une fatalité géographique, il est le fruit d’un régime qui, depuis des décennies, a bâti un système sur la rente, la corruption et l’immobilisme.

Le pouvoir s’est figé comme une statue de sel, incapable de se réformer, incapable de se remettre en cause. Les promesses de l’« Algérie nouvelle » se sont dissoutes avant même d’avoir existé. La modernité n’est qu’un slogan, l’innovation une chimère, et l’espoir un luxe que l’État ne distribue plus. Ainsi, l’avenir s’est refermé comme une porte verrouillée. Les jeunes n’ont devant eux que deux options, la soumission à une vie étroite ou la fuite vers l’inconnu. La harga devient alors le seul geste de liberté dans un pays où tout est confisqué, la parole, le vote, le travail et même le droit de rêver. Le régime, en verrouillant les horizons, n’a pas seulement étouffé les ambitions, il a condamné sa jeunesse à chercher ailleurs ce que son propre pays refuse de lui donner.

Ils étaient sept, sept adolescents dont les visages auraient dû se refléter dans les bancs d’une école ou dans les éclats de rire d’une rue animée. Mais en Algérie, leurs rires se sont éteints dans le silence d’un avenir muré. Alors ils ont pris un chalutier, comme on arrache une clé pour s’évader d’une cellule. Leur traversée n’a pas été un jeu, mais une fuite désespérée, dix heures à affronter les vagues, dix heures à jouer leur vie sur une mer qui avale plus de rêves qu’elle n’en sauve.

À Ibiza, leur arrivée a fait le tour des réseaux sociaux. Des enfants perdus qui, par un geste insensé, ont crié au monde entier la faillite de leur pays. Car ce départ n’est pas un fait divers, c’est un verdict. Ces sept adolescents sont l’incarnation d’une jeunesse abandonnée, un miroir tendu à un régime qui préfère fermer les yeux plutôt que de voir ses propres enfants le fuir. Leur audace tragique est en réalité une accusation implacable. Si des mineurs choisissent la mort plutôt que de rester, c’est que l’Algérie n’offre plus rien.

Chaque kilomètre qu’ils ont parcouru sur la mer est une gifle au pouvoir en place, une gifle silencieuse mais éclatante. Ils n’ont pas seulement volé un bateau, ils ont volé leur liberté au nez d’un régime qui ne leur laissait que des murs. Et leur geste restera, qu’on le veuille ou non, un réquisitoire contre l’Algérie officielle, celle qui célèbre des victoires imaginaires alors que ses enfants désertent en masse.

Le drame des sept adolescents n’est pas un accident isolé, il est la conséquence directe d’un système politique qui a trahi sa jeunesse. Le régime algérien aime répéter les mots creux de l’« Algérie nouvelle », mais dans les faits, il ne propose que de vieilles recettes, réprimer la contestation, distribuer la rente à une élite infime et laisser les jeunes se consumer dans le chômage et l’ennui.

Chaque départ clandestin est un référendum silencieux, des milliers de « non » adressés à un pouvoir qui ne sait ni gouverner ni inspirer. La harga est la plus implacable des oppositions, celle qu’aucune police ne peut étouffer. Quand un adolescent prend la mer, il ne vote pas, il s’évade, et dans ce geste se lit la faillite de tout un État.

Le régime a échoué sur tous les plans, incapable de créer des emplois, incapable de bâtir une économie moderne, incapable de donner à ses jeunes l’envie de rester. L’école produit plus de désillusion que d’avenir, l’université plus de diplômés en exil que de cadres en Algérie. La jeunesse, autrefois présentée comme la force vive de la nation, est aujourd’hui un poids encombrant dont le pouvoir ne sait que se débarrasser.

Le pire n’est pas seulement cet échec, mais l’indifférence glaciale avec laquelle il est assumé. Les autorités se félicitent de statistiques vides, de projets fantômes, tandis que les embarcations continuent de partir chaque nuit. Il n’y a pas de plan, pas de vision, pas de courage. L’Algérie officielle se regarde dans le miroir de ses slogans et refuse de voir que ce miroir est brisé.

Sept adolescents, un bateau volé, une mer déchaînée, voilà l’image la plus fidèle de l’Algérie d’aujourd’hui. Un pays qui pousse ses enfants à fuir n’est pas un pays en vie, c’est une patrie en agonie. Chaque traversée clandestine est un aveu. Le peuple ne croit plus aux promesses, la jeunesse ne croit plus à l’avenir et la Méditerranée devient le seul chemin vers l’espoir. L’État algérien pourra multiplier les discours, brandir les slogans d’une « Algérie nouvelle », mais la vérité s’écrit sur les flots nocturnes, dans ces embarcations qui partent chaque soir de nos côtes. C’est là que se mesure l’échec d’un régime, à la vitesse avec laquelle il perd ses enfants. Car un pays qui ne sait pas retenir ses jeunes est un pays sans futur.

Un pays qui préfère le silence de ses dirigeants aux cris de sa jeunesse est déjà condamné. Et l’histoire retiendra non pas les proclamations officielles, mais l’image de ces sept adolescents qui, par leur fuite tragique, ont signé l’acte d’accusation le plus implacable. L’Algérie a laissé partir ses enfants parce qu’elle n’a pas su leur offrir une raison de rester.

Hassina Rebiane

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