Jeûner ou pas, croire ou non, cela s’appelle la liberté individuelle. Et si, toi qui as la foi, tu n’arrives pas à supporter celui qui mange devant toi, sur la place publique ou ailleurs, dis-toi que le problème, ce n’est pas lui, l’autre qui dé-jeune, tant s’en faut, mais c’est toi ; parce que t’importe qu’il jeûne ou pas, puisque, toi, tu le fais et que tu en es convaincu.
Au reste, veux-tu qu’il jeûne alors qu’il n’en a pas la conviction ? Ta foi n’est-elle pas inébranlable ? Ou alors s’agit-il simplement de quelque instinct primitif qui fait que tu ne supportes pas que l’autre mange et s’abreuve, et toi, tu continues d’endurer multiples privations ! Et dans ce cas-ci, on n’est plus dans la foi, mais dans l’instinct, dans l’idéologie, dans l’imposition, dans la foi de l’affirmation, dans le prosélytisme simplement.
On est un peu dans cette histoire du bigot violeur qui viole une femme, par ce que, argue-t-il, elle n’est pas habillée pudiquement ; elle est « nue », l’adjectif ayant depuis belle lurette intégré le lexique social imposé insidieusement aux mémoires afin de justifier la folie libidineuse de l’homme par le ciel.
En somme, mettre la religion avant la citoyenneté est non seulement grave, mais funeste, destructeur de la dernière possibilité du vivre-ensemble. On n’est pas musulmans, ensuite citoyens ; on n’est citoyens, ensuite croyants ou non, musulmans ou autres. C’est l’essence même du vivant. La preuve, intimement pour ainsi dire, chez lui à la maison, aucune croyance ou conviction n’empêche un homme d’être qui il est réellement.
Quand tu voyages et que tu t’installes dans d’autres pays, c’est la citoyenneté qui te protège, n’est-ce pas ? C’est elle qui te permet d’être d’abord un homme ou une femme, un citoyen comme tout le monde, pour que tu aies ta chance comme n’importe qui au travail, à l’école ou ailleurs.
Dans leurs entreprises et institutions, ils ne voient pas en toi un musulman, mais un collègue, un homme qui porte sa brique comme tous à l’édifice du vivre-ensemble.
La foi est aussi une confiance, une espérance, une interrogation du sens, une quête de la tranquillité de l’âme ; mais si elle veut imposer aux autres, elle n’est plus de Dieu, elle devient violence et abolition de l’autre. Or, le divin est une sublimation, à la manière de Hallaj et de Rûmi, et non un ensauvagement, une négation des altérités.
Et si le problème, le vrai problème dans l’histoire de ces inquisiteurs, vicaires autoproclamés, était le doute. Voir l’autre dé-jeuner et sentir percer le doute au cœur ; ce doute qui met la foi sur un même pied d’égalité que n’importe quelle conviction…
Parce que de tout temps ou presque, l’école, la famille et autres espaces de transmissions culturelles, n’ont jamais enseigné la foi en dehors de son affirmation, de sa dimension prosélyte.
On n’a jamais expliqué à nos enfants que la foi interroge le mystère et le silence des espaces infinis, on a toujours enseigné la religion version imams et prêtres et jamais le fait religieux version sciences et raison. Parce qu’enseigner le fait religieux, c’est interroger l’histoire, fouiller dans les sociétés, aller jusqu’à l’origine de la naissance de la croyance, de la foi, de la question du Comment.
Eh bien, c’est simple, d’autant plus que l’islamisme est de plus en plus la norme dans nos sociétés, nous avons fabriqué des croyants incapables de voir dans le compatriote plus loin que l’explication identitaire par la religion.
Avocats, juges, enseignants, artisans… la religion devient l’explication première de tout le vivant, alors que la religion, comme toute chose humaine, est une construction humaine historique, sociale, culturelle, sociologique, politique, linguistique, anthropologique…
« La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve», disait le grand soufi Djalal ad-Dîn Rûmi. Autrement dit, tu ne détiens aucune vérité, hormis ton petit bris de miroir ; tu n’as pas à gouverner le corps des autres ; tu as seulement le droit de gouverner ton corps.
Pourquoi ce supposé jeûne doit impérativement avoir lieux en mois de Ramadan et non par exemple le mois de Mars?
Sommes nous des humains ou des fantômes ?