« Mais le pays enchanté d’aujourd’hui continue de se nourrir des sucs anciens ; de l’exaltant aventure d’hier, celle de la guerre de libération nationale et de loin, de l’image d’Adrar n’Leaz ». Mouloud Mammeri
Au propre, c’est certainement les réseaux sociaux qui diffusent le plus d’informations propagées par les influenceurs qui agissent sur toute l’étendue de la toile. De surcroît, on assiste à un phénomène médiatique d’où la diffusion des images de l’Algérie avec de courts commentaires subjuguant l’internaute incrédule.
Certes, comme le remarquent justement un certain nombre de professionnels, beaucoup d’informations ne sont pas du tout fiables, qu’il faut sans cesse aller à la source pour la vérifier. De telle façon que l’intelligence artificielle (IA) contribue d’une manière exponentielle à l’amalgame du réel et du virtuel. Pas plus d’une fiction ou d’un simulacre, les vidéastes se donnent à cœur joie à la propagation des textes films où parfois, faute d’une propagande active, ils se déchaînent à fond pour compenser leur isolement social ou médiatique.
En ce qui nous concerne en tant qu’usagers des réseaux sociaux et mis à part la rivalité récriminatrice entre les influenceurs, on ne peut que se résoudre à l’identification des objets, images et discours confondant d’un fond amazigh, vestiges d’accessoires vestimentaires, culinaires, architecturaux, musicaux, etc.
L’entreprise médiatique qui se veut compensatrice de la totalité anthropologique par ailleurs introuvable de l’homme algérien et par extension maghrébine, et au mieux en devenir, dont la spécificité amazighe est fortement discutée, pose un problème de fond au chercheur. Pris en tenaille par l’idéologie nationaliste des États, le devenir amazigh de l’Afrique du Nord et du Sahara relève plus du folklore que d’une introspection sur l’identité de la Tamazgha.
À bien des égards et plus particulièrement, les vidéastes algériens comblent le vide historique par la mise en ligne de la variété régionale des tenues vestimentaires, de l’art culinaire, des danses populaires et des chants, etc. Bien qu’organisés lors des défilés de mode, de salons et autres festivals, ces spectacles folkloriques expriment plus des attitudes compensatrices ou le manque du sujet désirant des psychanalystes qu’une réelle inventivité culturelle.
Sauf, à l’exception de la mode vestimentaire où les créateurs essaient d’adapter la tenue traditionnelle à la modernité du costume ; il y aurait autant à dire de la chanson populaire que des plats culinaires. La palette musicale offre certainement beaucoup plus d’innovations du genre que dans d’autres domaines où le conservatisme l’emporte sur tout le reste. Une fois dit cela, le monumental de l’Algérie, qui offre des images sublimées de la nature algérienne quelque peu frelatée par l’expressionnisme français du XIXᵉ siècle, offre aux visiteurs le spectacle trop sublime de l’Algérie.
Les images des monuments célébrant tel ou tel roi ou prince ne peuvent raconter l’histoire de l’Algérie sans la critique historique.
Pour beaucoup, l’explication historienne reste à faire pour faire advenir l’historicité amazighe dont on a besoin pour mieux définir la profondeur historique du pays. Certainement, il y a des sujets polémiques de l’histoire qui fâchent et qui suscitent ou qui sont traités superficiellement par les différents courants idéologiques. Nous pensons à la friction au sujet d’Aksel et d’Okba ibn Nafaa qui oppose les « Berbéristes » aux « Panarabistes ».
Face à la difficile conciliation des positions, il y aurait à s’en tenir aux faits de la conquête musulmane et de la résistance amazighe. Pour autant, les interprétations abusives de l’historiographie arabo-musulmane insèrent le discours des influenceurs spécialistes ou amateurs de l’histoire des Berbères dans un narratif contrevenant à la réalité historique.
On ne saurait se méprendre de telle sorte lorsqu’on reproduit sur les réseaux sociaux les cartes des dynasties « arabo-musulmanes » sans la contextualisation des rapports permanents entre les tribus et l’État et la flexibilité des frontières floues des dynasties régnantes (1).
Par ailleurs, l’appropriation des techniques de la guerres des Numides par l’armée algérienne ou la reprise du récit des guerres puniques du grand Aguellid Massinissa et de l’extension de son Etat pour dit-on récupérer les territoires de l’Est loués aux Phéniciens par l’ancêtre chef de la tribu maxitane, le fameux Hiarbas, posent l’épineux problème de l’interprétation de l’Histoire commune des Maghrébins.
La mise en valeur par la télévision algérienne de la stature du chef et unificateur de la Numidie montre à quel point la négation de soi n'est pas une fatalité. Tout au contraire, le débat s'élargit un peu plus pour que l'amazighité soit une affaire de tous les Maghrébins et non pas limitée à la question nationale.
Du simple fait que la revendication de la terre des ancêtres (Akal ou Tamurt) (2) par Massinissa soit corroborée par l’élévation par les habitants de Dougga (Tunisie) et ceux de Sabratha (Libye) d’un mausolée (cénotaphe) en son honneur montre bien l’étendue de l’influence numide et de surcroît l’histoire commune des populations nord-africaines.
Il va de soi que le récit gréco-romain est trop réducteur pour compenser la méconnaissance de l’histoire antique des Amazighs, mais toujours est-il qu’on peut se contenter de quelques réajustements idéo-cognitifs pour reconstituer le cadre social, économique et politique autrement que par la gigantesque fresque historique élaborée par l’historien français Stéphane Gsell dans ses huit volumes de l’Histoire ancienne de l’Afrique du Nord ou les brèves synthèses historiques élaborées par tel ou tel historien.
Remarque sur la variété des traditions régionales
Le fait que les diverses traditions régionales ayant survécu aux différentes influences étrangères ne soit pas dû à la permanence d’une culture pouvant le cas échéant échapper à la diffusion des valeurs venant d’ailleurs mais plutôt à sa capacité d’adaptation aux nouvelles situations historiques. Toutefois, le gradient de l’isolat a pu contribuer à sauvegarder quelques spécimens invariants sans pour autant échapper à la radiation culturelle. Mais il se peut que l’essentiel de la résistance culturelle provienne de l’incapacité des États à uniformiser toutes les traditions vestimentaires, culinaires, musicales, etc., en un système unique d’expression.
Alors ! rien n’est moins sûr avec la volonté de l’État national lorsqu’il entend réduire cette expression à une seule voix.
Postulats linguistiques et politiques
Afin de conclure sur l’Apothéose de Tizi Ouzou, il semble qu’il y ait au moins deux impératifs nécessaires à l’établissement d’un consensus politique en Algérie. Le premier est certainement la généralisation de l’enseignement du tamazight pour que les Algériens connaissent mieux leur identité et se réconcilient avec leur passé originel.
Le deuxième, qui est certainement le plus complexe à réaliser, est un élargissement total à toutes les formations politiques afin d’asseoir une vraie légitimité démocratique fondée sur la volonté du peuple.
Fatah Hamitouche, amazighologue
Notes :
(1) Nous prévoyons une présentation graphique des cartes géographiques où les États-dynasties, les principautés, les confédérations de tribus et les tribus sous forme d’une superposition dissymétrique sur un plan qui rend le tracé des frontières flou et les territoires mouvants.
(2) Akal ou Tamurt, À la suite de l’article de Mouloud Mammeri sur le sujet (Les mots, le sens et les rêves ou les avatars de Tamurt, Awal, 1986), il y aurait certainement à reconstituer l’histoire de ces mots dans un cadre plus large pour savoir s’ils sont employés de la même manière dans les différents parlers amazighs. Mieux, nous souhaitons élargir le champ de la discussion non seulement comme le fait l’écrivain algérien M. Mammeri à la poésie kabyle, au thème de l’immigration, mais par l’acte politique de Massinissa à l’ontologie (le Dasein), une des branches particulières de l’amazighologie ou une des conditionnalités cognitives de l’amazighologie. Certainement, il y aurait à s’inspirer de l’ontologie heideggerienne pour travailler le terme « Illi » ou acte de présence rendu par « Hi » (Asegzawal), « l’Être-là ».