Samedi 4 avril 2020
La culture au temps du confinement : une ambition « déconfite »
Le livre et la lecture, ultimes recours pour échapper au confinement.
Le confinement auquel sont astreints les Algériens, qui est prolongé au 19 avril – probablement au-delà, selon l’évolution de la maladie du coronavirus – révèle, outre le sentiment absurde d’isolement par rapport à l’extérieur, sentiment commun à l’ensemble des populations du monde (près de 3 milliards d’habitants) subissant le même sort, la vacuité sidérale dans laquelle baignent la majorité des foyers algériens sur le plan des moyens de distraction et de saine occupation (culturelle, sport,,…). Cela, à quelques expressions près, dans des villages de la montagne ou de la steppe ou dans les campements de nomades où une certaine liberté de mouvement est toujours possible (travail des champs, pacage de troupeaux, travaux d’aménagement de la demeure familiale,…).
Le nombre d’élèves, stagiaires et étudiants qui se retrouvent subitement confinés chez eux dépasse 11 millions. Il est vrai que certains étudiants- après la suspension du mouvement du Hirak observé chaque mardi- se sont convertis dans le bénévolat et l’assistance aux populations démunies en ces moments difficiles que traverse le pays et le monde entier.
Même si des établissements culturels proposent des contenus en ligne gratuits à l’occasion du confinement (films, pièces de théâtre, livres numériques, visites virtuelles,…), des écueils se posent à la famille algérienne pour un épanouissement culturel, qui plus est, sous le mode « confiné »!
La gamme limitée de produits proposés- qui sont appelés à être épuisés dans quelques jours-, l’occupation de l’espace des appartements dans les grandes villes- avec une moyenne de 6 à 7 personne par appartement, en pleines vacances forcées des étudiants, élèves et stages de la formation professionnelle-, les éternels problèmes de l’insuffisance du débit internet et des coupures de connexions, et parfois d’électricité, et, enfin, la faiblesse de la tradition de pratique culturelle- aussi bien via le web que dans les établissements dédiés à cette vocation (cinéma, bibliothèque, musée, conservatoire,…) s’érigent en véritables obstacles à un divertissement culturel de qualité, supposé à même de faire oublier le confinement, ou du oins à en alléger le poids.
Un déficit criant
L’Algérie souffre visiblement d’un déficit criant en matière de production culturelle promue à une large diffusion numérique, qu’elle soit gratuite ou soumise à péage. Peu de culture numérique dédiée aux spectacles et à la formation culturelle (visite à distance de musées et autres lieux de culture ou de mémoire, visionnage de films, consultation de livres,…).
Déjà que, bien avant le confinement actuel, ce genre d’activité, in situ, ne relevait pas d’une pratique habituelle et régulière pour la majorité des jeunes. Les stades et la rue « suppléent » à cette vacance constatée au niveau des sites et des établissements culturels. On est en tous cas loin de l’engouement des années 70′ et 80′ que connaissait la Cinémathèque d’Alger, avec ses films Algériens ou étrangers, suivis de conférences où intervenaient les réalisateurs eux-mêmes et certains acteurs, en plus des universitaires.
Si le bouillonnement culturel- sur les places et les sites de son expression- est devenu aujourd’hui un simple souvenir pour les générations qui en avaient animé le mouvement et suivi passionnément le parcours, comment peut-on compter sur son transfert en consultation à distance, en ligne, au moment où la « ligne » de l’exploitation de l’internet se concentre, sinon se réduit presque exclusivement aux réseaux sociaux, avec leurs avantages et surtout leurs limites et leurs dérives?
C’est que, avant que l’on arrive aux besoins, qui se son imposés de manière précipitée, chez les enfants et élèves confinés chez eux, à la maison, en raison de la maladie du coronavirus, l’école algérienne a peu préparé ces élèves à des pratiques culturelles, aussi bien en classe qu’au niveau des lieux et sites où s’exprime et se produit l’activité culturelle.
Camisole de force
Le confinement des jeunes élèves, devant s’étendre sur plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, devient immanquablement un vrai problème au sein du foyer qui n’arrive plus à contenir l’énergie débordante des jeunes et leur désir de « s’éclater ». Le problème prend une dimension particulière dans les grandes villes, érigées en cubes de bétons infinis et constituant pour les « confinés » une véritable cage ou camisole de force.
Il faut dire que les nouvelles activités de bénévolat auxquelles s’adonnent certains jeunes, principalement dans les régions rurales, consistant à désinfecter les lieux publics et à organiser l’approvisionnement en produits alimentaires, tout en prêtant assistance aux personnes et ménages démunis, jouent, en quelque sorte, le rôle de « sublimation » et de réalisation de soi, loin d’un quelconque défoulement oiseux.
Dans plusieurs villes d’Algérie touchées par les mesures de confinement, total ou partiel, des jeunes continuent de sortir au pied des bâtiments, poursuivant, comme si de rien n’était, leurs « qaâdate » et leurs pratiques favorites. Des voitures de police, de la gendarmerie e de la protection civile circulent avec gyrophares allumés pour appeler les gens à rentrer chez eux afin d’éviter la propagation de la maladie. Les jeunes s’éclipsent un moment et reparaissent, étouffant dans des F3 ou même des F2 où la promiscuité ne permet pratiquement aucun accès à une activité culturelle quelconque. Au contraire, elle génère nervosité, stress et rixes entre les jeunes frères, sœurs et autres occupants de l’appartement.
Le fait est que l’Algérie n’a pas encore réussi à promouvoir les activités culturelles dans les établissements, structures et lieux qui leur sont dédiés. Des maisons de culture et des bibliothèques publiques, construites à coups de milliards de centimes, sont, à ce jour, demeurées inertes, vides et dénuées de toute activité. La fréquentation des musées demeure, pour un grand nombre de jeunes, une expérience inconnue.
Le prestige vénéneux des parades budgétivores
L’on ne peut, à cette occasion, omettre de rappeler les festivals et autres manifestations « culturelles » hyper-budgétivores, qui se déroulaient- à l’ombre de l’aisance financière d’un baril à 110 dollars- parfois sur les douze mois de l’année, à l’image de « Constantine, capitale de la culture arabe », « Tlemcen, capitale de la culture islamique », « 2e Festival panafricain. L’argent dépensé- plutôt dissipé et détourné- à l’occasion de ces manifestation rebondira, ne serait-ce que partiellement jusqu’à présent, sous forme de poursuites judiciaires et de procès convoqués en retard par rapport au signalement qui en a été fait par la Cour des comptes. Il a fallu que le Hirak survienne pour que de tels revirements deviennent possibles.
Reste la grande problématique de la formation culturelle au sein des établissements scolaires qui n’arrive pas à être inscrite en tant que nécessité dans les tablettes des pouvoirs publics. Les quelques avancées théoriques initiées en la matière du temps de l’ancienne ministre de l’Éducation, Mme Benghebrit, ont rejoint la fosse des reliques. Sans l’ « inoculation », aux élèves, de la curiosité à la chose culturelle dans le système d’enseignement, non seulement en tant qu’activités de plein droit, mais aussi en adaptant les programmes scolaires (particulièrement les langues, l’histoire, la géographie, la philosophie) de façon à ce qu’ils intègrent une dimension culturelle bien assumée, aucune avancée ne pourra être espérée, et on risque de subir pour de longues années encore le « confinement » culturel dans lequel est maintenu le pays.
A. N. M.