La démocratie, dans son essence, incarne l’aspiration d’un peuple à la liberté, à l’égalité et à la justice. Elle représente le gouvernement du peuple par le peuple, fondé sur l’égalité, le respect des libertés fondamentales, de la transparence des institutions et de la pluralité des opinions. Elle est le fruit d’un long processus historique, souvent arraché au prix d’efforts et de sacrifices immenses, visant à libérer l’individu de l’oppression et de la tyrannie.
Pour les Algériens, soumis au régime totalitaire, elle constitue l’espoir d’une libération tant attendue après une longue nuit colonial et plus de trois décennies de répression.
Dévoiements des principes démocratiques
Aujourd’hui, en Algérie, sévit un régime totalitaire qui usurpe les principes démocratiques, tout en piétinant la souveraineté populaire, pour se donner les apparences d’un régime légitime et duper ainsi son peuple.
Ce régime est passé maître dans l’art de falsifier les formes extérieures de la démocratie. Loin d’être un mécanisme de régulation de l’accès au pouvoir et de participation citoyenne, les élections en Algérie sont une mise en scène savamment orchestrée pour être un outil central du dispositif répressif.
Sous des dehors de pluralisme politique, avec des acteurs et des partis choisis et de fausse participation populaire, ces élections dont le processus est contrôlé par ceux-là même qui détiennent le pouvoir ne sont qu’un théâtre où le résultat est établi d’avance. Cela contribue à renforcer une illusion de normalité et de fonctionnement démocratique, alors que la voix des citoyens est méthodiquement étouffée.
Le simulacre d’élections est également un moyen par lequel le régime totalitaire s’efforce de légitimer son pouvoir aux yeux de la communauté internationale tout en maintenant la population dans un état de soumission.
Echappant au contrôle direct du pouvoir, la participation des citoyens à ces shows politiques reste le seul enjeu aujourd’hui. Aussi et pour occulter l’immense fossé entre le pouvoir de la population, on n’hésite pas à maquiller les résultats, quitte à compromettre dangereusement les plus institutions du pays dans les sillages de clans antagonistes.
La cacophonie entourant les résultats de la présidentielle en témoigne. Une participation élevée permettrait à l’heureux élu d’asseoir son autorité et espérer rétablir la centralité, la hiérarchie et la cohésion du pouvoir, ébranlé depuis l’irruption du Hirak pacifique.
A l’inverse, une faible participation est appréhendée comme une menace à la stabilité de son autorité. A ce titre, et aussi pour camoufler l’immense fossé séparant le pouvoir de la population, on n’hésite pas à maquiller les résultats, quitte à compromettre dangereusement les plus importantes institutions du pays en les entrainant dans les sillages de clans antagonistes.
Face à l’abstention massive qui exprime une forme de résistance active contre le dévoiement des mécanismes démocratiques, le pouvoir en Algérie ressasse, comme à chaque fois qu’il est dans l’impasse, la promesse d’un dialogue national, utilisant des rhétoriques variées pour donner l’illusion d’ouverture.
Emanant d’un pouvoir qui qualifie de terroristes les partisans de la transition démocratique, ces annonces, loin d’être sincères, ne peuvent être que des leurres destinés à duper l’opinion publique, dans le but de desserrer l’étau de l’isolement qui l’entoure.
L’histoire récente témoigne que toute tentative sérieuse de démocratisation ou d’inclusion des forces populaires dans la prise de décision conduit inévitablement à l’éviction de ceux qui cherchent à changer véritablement le système en place. Ainsi, le pouvoir maintient son contrôle en sacrifiant toute réelle volonté de réformes, préférant se préserver plutôt que d’accepter une transition démocratique authentique.
Les partis d’opposition, lorsqu’ils ne sont pas complètement interdits, sont réduits à un rôle de figurants. Les médias, muselés, relayent des narrations qui servent exclusivement les intérêts du pouvoir en place.
Souvent, les fastes protocolaires occupent l’essentiel de l’actualité politique pour combler le mutisme dans lequel s’enferme le pouvoir par manque de verve et de fécondité rhétorique et pour cause de son inaction et de la stagnation politique et socio-économique du pays.
La société civile, quant à elle, se voit condamnée au silence, face à une répression souvent brutale des dissidents et à la censure des médias.
Parallèlement, les dirigeants du régime publient régulièrement des rapports glorifiant de prétendues avancées en matière de droits de l’homme, les libertés de la presse et les réformes démocratiques, créant ainsi une illusion d’ouverture et de progrès.
Ces fausses déclarations, soutenues par une rhétorique pseudo-démocratique, visent à semer le doute non seulement au sein de la population nationale, mais aussi à l’international, où des voix extérieures sont parfois convaincues de la bonne foi du pouvoir en place.
En réalité, la population n’est pas dupe des machinations du pouvoir. Elle constate au quotidien les contradictions flagrantes entre les discours officiels, vantant les mérites d’un État démocratique, et la réalité d’une répression omniprésente, des arrestations arbitraires, de la censure et de la violence institutionnalisée.
Ces fausses déclarations qui clament sans-gêne que l’Algérie est un pays de libertés exacerbent simplement ses frustrations. La tension entre le discours officiel et l’expérience vécue engendre un malaise profond, un sentiment d’injustice et un appel à la révolte qui, s’il n’est pas entendu, peut conduire à des bouleversements sociaux majeurs.
Les dangers de la perversion de la démocratie
Discréditer la démocratie par des fausses élections et des mensonges d’État sur l’état des libertés dans un pays écrasé par le totalitarisme ne constitue pas seulement une manipulation du système politique ; c’est une attaque directe contre l’aspiration fondamentale des peuples à la dignité et à la liberté. Cela représente un danger profond pour la société. Le danger inhérent à ce type de manipulation est double.
D’une part, ce discrédit instaure un climat de cynisme et de désillusion. Lorsque les citoyens voient leurs droits les plus fondamentaux manipulés et bafoués, ils perdent foi en la possibilité de changement par les voies démocratiques. L’abstention record, le désintérêt politique et la défiance à l’égard des institutions en sont des symptômes évidents. La désillusion qui en découle nourrit la résignation, voire l’acceptation passive de l’autoritarisme, renforçant ainsi la mainmise du régime totalitaire.
Paradoxalement, la démocratie simulée devient un instrument pour pérenniser l’autoritarisme tout en jouant sur l’ambiguïté entre légitimité et légalité. Elle cesse ainsi d’être un projet collectif de libération et se transforme en un outil d’oppression supplémentaire.
Face à ces tromperies, la résistance intellectuelle et civique qui est un devoir impérieux s’érode substantiellement. Ce faisant, les dirigeants non seulement sapent la confiance des citoyens dans les institutions, mais ils dénaturent aussi le sens même de la démocratie.
D’autre part, cela sape bien au-delà du présent la confiance populaire dans la démocratie elle-même. Un peuple qui voit la démocratie être travestie sous ses yeux peut en venir à douter de la viabilité même du projet démocratique le jour où il sera alors appelé à reprendre en main sa destinée.
Le risque est bien réel que des citoyens, fatigués et désabusés, se détournent ainsi de la voie démocratique pour embrasser des solutions autoritaires ou populistes, perçues comme plus efficaces. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que la population, après avoir enduré des années d’oppression, nourrit des attentes considérables envers la démocratie.
L’histoire récente a d’ailleurs montré que les transitions post-autoritaires sont souvent marquées par des phases d’instabilité et de désillusion. Souvent, la chute d’un régime totalitaire ouvre la voie à des conflits internes, des luttes de pouvoir et des tentatives de rétablissement de l’ordre par des moyens autoritaires. Dans ce contexte, si la population a perdu confiance dans le processus démocratique, il devient extrêmement difficile de consolider une véritable démocratie après la chute du régime. Il est donc essentiel de maintenir vivante l’idée démocratique dans l’esprit des Algériennes et des Algériens.
Le défi de la reconstruction démocratique
Restaurer la confiance dans la démocratie après des décennies de perversion de ses mécanismes et principes est une tâche immense et ardue. Etant désabusés par des décennies de mensonges et de manipulations, nous sommes en effet vulnérables aux tentations populistes, à la montée des extrêmes et à la régression autoritaire. Le péril réside dans la possibilité que la démocratie, au lieu de s’imposer comme un projet collectif de libération et de justice, soit perçue comme une illusion, incapable de répondre aux attentes populaires.
Aussi, la transition vers une démocratie authentique, si elle exige des réformes profondes des institutions, la réhabilitation de la société civile, la mise en place d’élections véritablement libres et transparentes, elle nécessite cependant en amont une refondation du pacte social basé sur la justice, la liberté et l’égalité.
C’est là une condition pour réussir ces réformes. Un processus fondateur souverain, avec une conférence national indépendante, peut convaincre les citoyens du bien-fondé de la démocratie réelle, qui cette fois-ci n’est pas une nouvelle imposture, et garantir la réalité du changement.
Ce processus souverain est nécessaire pour reconstruire la légitimité des institutions, assurer la participation active de toutes les couches de la société et garantir que l’égalité et les libertés fondamentales ne sont plus de simples slogans, mais des réalités tangibles.
Hamid Ouazar, ancien député