Vendredi 6 novembre 2020
La dernière image que j’ai gardée de Nna Aldjia
La dernière image que j’ai gardée de Nna Aldjia date du samedi 14 juin 2008. Ce jour-là, jour-anniversaire de la marche historique de 2001 et de mon incarcération en 2004, une belle journée de printemps, la mère de Matoub Lounès remettait le prix Benchicou de la Plume libre à notre prestigieux confrère, Bachir Rezzoug !
Ce grand moment d’émotion avait pour théâtre la Maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, devant un nombreux public. Bachir, bien que fortement handicapé, avait fait le déplacement, en dépit des protestations de son épouse Bibya. « Il ne peut pas marcher, ni encore moins monter les escaliers…Ce n’est pas raisonnable de le faire voyager jusque là-bas… ».
Bien que partiellement paralysé suite à un accident cardio-vasculaire, Bachir insistait pour être présent à la cérémonie. A son arrivée à Tizi Ouzou, il trouva Nna Aldjia qui lui avait glissé quelques mots d’encouragement.
Le contact avec cette immense dame avait comme ragaillardi Bachir. À mon grand étonnement, il gravit, d’un pas résolu, les nombreuses marches qui conduisaient à la grande salle de conférences. Nna Aldjia dégageait une sérénité et une dignité remarquables, devant les centaines de citoyens venus vivre l’événement.
Institué en 2005 par le Comité Benchicou pour les libertés durant mon incarcération, le prix de la Plume libre avait distingué, auparavant, plusieurs journalistes : le chroniqueur du Soir d’Algérie, Hakim Laâlem (2005), le journaliste d’El-Khabar, Bachir Larabi, emprisonné à El-Bayadh, le Marocain Ali Lemrabet, incarcéré pour ses écrits (2006), le journaliste d’El-Watan Abdelhak Beliardouh poussé au suicide par la mafia et le Syrien emprisonné Michel Kilo (2007). Cette année 2008, la distinction revenait donc à Bachir Rezzoug et au journaliste tunisien Slim Boukhdir, alors enfermé dans la prison de Tunis sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali.
Le moudjahid et ancien dirigeant du FFS Si El-Hafidh Yaha et Cherifa Kheddar, présidente de l’association Djazaïrouna (victimes du terrorisme) avaient symboliquement reçu le prix de notre confrère tunisien en attendant de le lui faire parvenir.
En recevant le prix des mains de Nna Aldjia, Bachir eut la force de prononcer quelques mots à l’adresse du public, quelques mots parmi les derniers qu’il aura eus à prononcer : “Je ne trouve pas les mots assez forts pour dire le bonheur que je ressens d’être parmi vous. Il est vrai que je me suis battu pour la liberté, mais je n’étais pas seul dans ce combat”, reconnaît-il.
Tremblant, il avait dit avoir une pensée à tous ceux qui nous ont quittés. À Aziz Morsli et Saïd Mekbel, entre autres. “Soyez libres !”, lança-t-il à l’assistance.
C’était la dernière fois que je le voyais.
Le soir, sa femme Bibya m’avait appelé, toute émue : « Bachir est revenu métamorphosé de Tizi. Il marche, il bouge… »
Bachir revenait tout simplement d’un après-midi passé aux côtés de Nna Aldjia.
M.B.