22 novembre 2024
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La désobéissance civile expliquée à Lahouari Addi (*)

DEBAT

La désobéissance civile expliquée à Lahouari Addi (*)

En communiquant dès l’été 1970 sur le projet d’agrandissement du camp militaire du Larzac, le militant de l’ »Action civique non violente » Robert Siméon (réfractaire à la Guerre d’Algérie et à l’uniforme, il purgera 18 mois de prison) alertait l’opinion et déclenchait une désobéissance civile à l’origine du mouvement altermondialiste, des luttes anti-OGM, antimalbouffe, anticapitalistes puis anti-gaz de schiste.

Ce combustible fossile non conventionnel faisant l’objet de nombreuses convoitises, des tractations inhérentes à son exploitation et commercialisation inciteront les responsables algériens à modifier, en catimini et sous l’entremise de l’intriguant Chakib Khelil, la loi sur les hydrocarbures.

Chargé de sa rédaction, un cabinet américain la remettra à l’ex-directeur de la Sonatrach, Ould Kaddour, énième fossoyeur à la solde d’intérêts aux ramifications néocoloniales et maffieuses.

Lorgnant sur 20 milliards de mètres cubes, des compagnies étrangères, multinationales ou puissants lobbies occidentaux influencent désormais continument de hauts gradés aucunement disposés à abandonner les leviers d’un domaine devenu leur panthéonique pré carré. D’ailleurs, les habitants de la région du Tidikelt ne peuvent désormais plus accéder à la zone « Gour Mahmoud » transformée en terrain militaire depuis que le comité « Houmat Al Watan » décida, le 14 juin 2014, de sonner le tocsin afin de prévenir de l’inauguration du premier puits foré près d’İn Salah, plus précisément au lieudit « Ahnet 1 ».

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Méfiants à l’égard des fracturations de la roche souterraine (procédés consistant à injecter au sein de poches imperméables des tonnes d’eau mélangées à du sable et ingrédients chimiques) et des probables dégâts irréversibles (pollution s’échappant des galeries souterraines, donc hors du puit de prospection), les autochtones se liguaient contre l’altération de la nappe phréatique millénaire (les islamistes, pourtant en faveur des sacralisations de l’originel, ne les rejoindront pas).

La réaction citoyenne donnera naissance à des collectifs dispatchés sur sept wilayas. Baptisé « Somoud », le premier d’entre eux réunira des femmes et hommes très tôt décidés à maintenir un sit-in permanent (pendant trois mois) devant la daïra. Déterminés, ils obtiendront la suspension de l’exploration mais se retrouvent donc aujourd’hui démunis face à la sanctuarisation d’un vaste secteur, à une situation presque identique à celle des révoltés du Larzac.

Leur gestion communautaire du problème contribuera à aiguiser nos réceptivités politiques, cela d’autant mieux que nous les approcherons (16-17 août 1974) à la suite d’une fortuite et heureuse rencontre. Partis quelques semaines plus tôt d’Annaba (ex-Bône), dans le but de rejoindre, via Marseille, Venelles (petit village des Bouches-du-Rhône où résidait une tante), nous croiserons à Aix-en-Provence la route d’anciens « Pieds-rouges » dont la villégiature avait comme centre de ravitaillement les villes de Nîmes, Rodez et Brive-la-Gaillarde (de laquelle il fut possible de prendre, en fin de parcours, le train en direction de Paris).

Proches du monde paysan, ces post-fanoniens comptaient bien faire une halte au plateau du Larzac, biotope qui fut, de 1971 à 1981, le creuset historico-emblématique de la contestation antimilitariste. Sur le Causse se côtoieront trotskistes, anarchistes, libertaires, autogestionnaires, lambertistes, « occitanistes » et maoïstes, une pléiade d’insoumis préconisant la désobéissance civile au titre de mode de sensibilisation non violente.

L’assumant à visage découvert, ces anticonformistes sortaient du cadre légal pour contrer une option entérinée à l’Élysée et soutenir de la sorte une population se sentant, à l’instar de celle de Tidikelt et du Touat en Algérie, menacée dans son existence même puisque bénéficiant déjà de 3000 hectares, l’Armée française allait s’en octroyer 14000 de plus. Dès lors, refusant une expropriation annoncée et prévisible, un compact noyau d’exploitants indociles signait le pacte dénommé « serment des 103 », s’engageait à demeurer vaille que vaille et coûte que coûte planter sur les terres des aïeux.

Réagissant promptement à l’initiative gouvernementale, ces éleveurs de moutons ou brebis se solidarisaient pour entamer une résistance innovante et sereine, promouvoir une résistance prolongée pendant laquelle se succèderont regroupements et défilés. Plus médiatisée, la marche du 18 août 1974 rassemblera environ 100.000 personnes, toutes convaincues de la bonne cause, d’adhérer à la convergence du combat paysan et ouvrier, jonction effective à Millau (Aveyron) où logeait la mouvance des Paysans-Travailleurs. Les craintes des syndicalistes rejoignant les préoccupations des ruraux, des « cellules Larzac » pousseront dans l’Hexagone. İl en sera de même des expériences autogestionnaires autrefois plébiscitées en Algérie mais rapidement mises à mal par les casseurs de grèves et autres potentats accaparant les outils des champs (ceux laissés par les colons propriétaires de grandes fermes).

Ce sont leurs héritiers ou descendants idéologiques qui cultivent aujourd’hui l’esprit de prédation, rançonnent par intimidations interposées, tentent de relancer le dossier du gaz de schiste revenu antérieurement au-devant de la scène au moment de l’installation d’Ahmed Ouyahia au sommet de l’Exécutif. Convaincus que la fragmentation hydraulique entraînera des effets dévastateurs équivalents aux essais nucléaires entrepris dans le Sahara, les résidents du Sud sont disposés à se remobiliser en faveur de la santé publique, de la préservation de l’environnement, de la survie de leur écosystème.

Lucides, ils recourront encore aux moyens pacifiques disponibles et efficaces, interviendront probablement aussi au profit de l’électricité solaire, laquelle pourrait faire partie intégrante des priorités stratégiques si germent de l’actuel « Hirak » les retournements synonymes de nouvelles donnes. Contrarier résolument les desseins préjudiciables, c’est protéger les legs et souverainetés de la nation, privilégier les appuis et relais permettant de s’accrocher aux wagons de la transition climatique, œuvrer intensément en faveur des droits humains et sociaux, résiliences à même d’affranchir un militantisme écologique que la génération en mode « silmiya » a justement à prendre en charge. Elle obéira de la sorte à des convictions et ressentis, certainement pas aux conseils-diktats d’un sociologue trop condescendant quand il demande aux étudiants de « Suivre les cours, (d’)aller à la bibliothèque, (de)se former et (de)consacrer le mardi matin à la manifestation, et le mardi après-midi à débattre de la situation politique du pays », de façon à ce que les études soient brièvement suspendues.

Tel un guide suprême, Lahouari Addi impose une démarche selon lui plus rentable qu’une désobéissance civile assimilée à une perturbation contre-productive. Or, déclencher ce genre d’indiscipline ne mènera pas à la répression ou mise à mort des entreprises. Requérant de l’imagination, elle obligera au contraire à inventer des méthodes ou stratégies en mesure de concrétiser les décantations envisagées.

Au printemps 1981, des élèves de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger renversaient le Comité les représentant, imposaient un long arrêt pédagogique, consignaient des revendications inspirées de la Charte nationale (1976) de manière à ce que les agents du FLN soient confrontés à des désidératas à appliquer sans détour puisque les réfuter c’était immanquablement contredire les directives du parti unique.

Résultats de la manœuvre, l’octroie de plus de soixante-dix bourses d’étude à l’étranger et une conscientisation générale aboutissant, quatre années plus tard, à la mutation d’une institution récipiendaire d’un régime supérieur. À la pointe du chamboulement, nous aurons alors apporté notre pratique de la désobéissance civile initiée au Larzac puis maturée au contact d’activistes aguerris.

Seulement quelques encartés occupant les postes majeurs de ladite structure culturelle (Beaux-Arts d’Alger) mettront souvent des bâtons dans les roues d’un protagoniste intransigeant lorsqu’il s’agit d’émancipations artistiques. Mais ça, c’est une autre histoire !

S. L. F.

(*) Contribution écrite en réaction à son texte, Lahouari Addi : contre la désobéissance civile paru le 14 août 2019 au sein du webzine Lematindalgerie.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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