Mardi 26 juin 2018
La Fondation Matoub-Lounès appelle à la vigilance à la réouverture de l’enquête
La fondation Matoub Lounès a rendu public le communiqué suivant à l’occasion des 20 ans de l’assassinat du chanteur.
« 25 juin 1998 – 25 juin 2018
« Neḥsa assen mi ara tefru
Ad tt-ɣelten wid tt-iceɛlen
Ma d wid yewwin deɛewessu
Lefreḥ-is ur s-ḥeddren »
Matoub Lounès
Vingt ans après l’attentat qui a coûté la vie au barde kabyle, algérien, amazigh, au chantre des lumières et de la liberté, la vérité est toujours occultée.
Qui a tué Matoub Lounès ? Qui sont les commanditaires ? Pour quel objectif ?
Impuissante à établir les faits dans le respect des lois et des principes fondamentaux du droit, la justice sous influence a servi d’écran de fumée aux manipulations de l’ombre qui ont instrumentalisé la violence dans les luttes claniques du sérail. Une instruction bâclée. Une reconstitution du crime dans laquelle le ridicule le dispute à l’approximation. Des témoins clés jamais convoqués.
Deux suspects en détention préventive pendant de longues années serviront de boucs émissaires dans une sinistre parodie judiciaire ; sans preuve de culpabilité, ils ont été condamnés, en juin 2011, à 12 années de réclusion criminelle. La pitoyable mise en scène visait à tourner la page d’un crime politique qui n’a pas livré ses secrets, classer le dossier, et assurer ainsi l’impunité aux assassins et à leurs commanditaires.
Pour la Fondation Matoub Lounès, pour la famille du rebelle, pour l’opinion publique, la Justice n’a pas été rendue. A la lumière des derniers rebondissements, notamment les déclarations d’un célèbre chanteur qui affirme être » arrivé sur les lieux du crime une dizaine de minutes après l’attentat « , la justice, d’ordinaire si prompte à s’autosaisir dans des délits mineurs touchant les dignitaires du régime, est restée silencieuse. La réouverture du dossier dans la transparence et le respect des procédures légales s’impose comme une exigence du droit et de la morale.
Du fond de sa tombe, Matoub Lounès nous interpelle pour lui rendre justice en révélant enfin la vérité.
Pour sa famille, pour la Fondation qui porte son nom, pour la jeunesse qui pleure encore celui qui est resté son guide, son repère, et son recours dans les moments de détresse, cette quête de vérité et de justice ne vise pas à étancher une soif de vengeance ; elle tend à dresser une barrière morale contre les criminels de l’ombre qui, pour de misérables calculs politiciens, ne reculent devant aucune provocation, même au prix d’un effroyable bain de sang.
Notre jeunesse, admirable par sa détermination et son courage, marche sur les pas de Matoub Lounès, vers son émancipation dans la liberté et la dignité ; elle ne doit pas être sacrifiée dans des manœuvres d’arrière-garde contraires à ses aspirations qui, derrière des slogans en apparence respectables, tentent de l’entrainer vers l’irréparable.
Au moment où de graves menaces pèsent sur la Kabylie, qui risque, une fois de plus, une fois de trop, d’être agressée pour faire diversion dans la sourde guerre de succession qui fait rage entre les clans du pouvoir, la Fondation Matoub Lounès appelle à la vigilance et à la lucidité.
Trop de sang a coulé.
Trop de larmes peinent à sécher.
La Fondation Matoub Lounès appelle à la poursuite de la lutte pacifique, dans la diversité de nos convictions et le respect de notre éthique ancestrale, pour perpétuer le message du rebelle, promouvoir notre langue et notre culture, défendre notre dignité, élargir les espaces de liberté menacés par la répression du pouvoir et les provocations des aventuriers qui tendent à la justifier.
Avec Nna Aldjia, dont le cœur brisé n’arrive pas à faire le deuil de Lounès ;
Avec les mères inconsolables des 128 martyrs du Printemps noir ;
Avec les familles des victimes du terrorisme sommées de taire leur douleur et réduites au silence par une « réconciliation » frelatée ;
Avec toutes les mères qui pleurent encore les fruits de leurs entrailles fauchés à la fleur de l’âge ;
Avec toutes celles et tous ceux qui ont la Kabylie résistante chevillée au cœur, et qui n’ont pas renié l’espoir d’une Algérie plurielle, patrie de Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Tahar Djaout, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Saïd Mekbel, Nabila Djahnine et de tant d’autres rebelles lumineux ;
Nous disons :
– Non à la répression qui menace notre liberté, et aux agressions récurrentes contre son expression libre et pacifique !
– Non à l’instrumentalisation de la Kabylie dans des luttes claniques qui ne la concernent pas !
– Non aux aventuriers et aux manipulateurs de l’ombre qui tentent d’entrainer notre jeunesse vers l’irréparable et le chaos !
– Vérité et Justice pour Matoub Lounès !
Taourirt Moussa, le 24 juin 2018.