On dit « traverser la frontière algérienne », « faire reculer les frontières de la science » ou « ma patience a des limites ». Les mots ont la plupart du temps des acceptions différentes, c’est-à-dire plusieurs sens en fonction des situations dans lesquelles on les exprime.
Comme toujours dans ce cas, il y a une traduction qui serait positive et une autre qui serait négative.
Pour la notion de frontière, son sens s’exprime par deux définitions différentes, le territorial ou le symbolique, comme ceux qui ont ouvert cette chronique d’aujourd’hui. Ces deux états intégrant eux-mêmes deux caractères que sont l’optimisme et le pessimisme. L’humanité est ainsi sans cesse en recherche de l’équilibre à toujours trouver entre le bien d’une frontière et ses risques.
Dans son sens usuel la frontière est une limite territoriale. Cette première approche suscite immédiatement une position tranchée. La frontière est une fin, une séparation ou une rupture. On voit bien le caractère contradictoire avec l’universalisme nait récemment dans l’histoire humaine et la liberté qui en découle, celle de circuler et d’échanger.
Les territoires peuvent s’entendre par une délimitation géographique sans lien direct avec les états-nations tels que reconnus de nos jours par les conventions internationales. C’est le cas des séparations par des chaînes montagneuses, des cours d’eau, des mers et océans ainsi que des régions désertiques ou glacées.
Ces frontières géographiques ont eu paradoxalement dans l’histoire humaine des aspects positifs. Dans sa colonisation progressive de la planète, chaque communauté humaine s’installant sur des territoires a favorisé l’émergence de cultures, de langues ainsi que des économies par l’exploitation des ressources locales. Les frontières géographiques ont ainsi participé au développent des diverses civilisations.
Mais en même temps, ces frontières territoriales créent inévitablement des convoitises, des guerres et des annexions ainsi que des contradictions avec l’espoir de l’universalisme et des échanges. La notion territoriale de frontière devient fluctuante et les peuples ne cessent de vouloir la repousser à leur avantage ou de la renforcer, pour des raisons économiques, identitaires ou d’hégémonie.
Les communautés humaines ont souvent matérialisé la frontière par la construction de murs pour se protéger des agressions extérieures. La muraille de Chine, le mur de Berlin ou encore l’obsession du mur de Donald Trump censé repousser les immigrants en sont des exemples.
À l’inverse, on peut également trouver en l’installation des frontières des états-nations un certain équilibre avec les risques qu’on vient d’énoncer. Car les communautés humaines ont pu créer des rapprochements de destin et de projets humains sur des territoires limités qui permettent une gestion plus rationnelle.
Mais aussitôt qu’on vient de lister un aspect encourageant de la limite territoriale voilà qu’un autre nous ramène aux conflits. Les frontières peuvent entrainer des ruptures entre des communautés à l’histoire et cultures identiques qui se retrouvent scindées dans des états différents. Ainsi leurs délimitations ne sont pas exemptes des considérations coloniales ou guerrières.
Venons-en maintenant au second concept de la frontière, l’illustration symbolique. La première frontière qui fait face à l’humanité est l’inévitable temps limité de l’existence. Cependant, ce rempart inexorable entre la vie et la mort peut être pris dans un sens optimiste de l’espoir.
Les Grecs anciens considéraient philosophiquement toute frontière, non pas comme une fin mais comme un commencement. La religion est certainement dans la vision de l’espérance puisque la mort ne signifie que la disparition du corps qui libère l’âme vers une éternité. Dans une vision à peu près équivalente, le bouddhisme fait de la mort une promesse d’un nouveau début par la réincarnation.
Ainsi la notion de frontière de la vie lui donne un sens et un espoir. Elle n’est là que pour une préparation à l’au-delà et du mérite à y accéder, dans une félicité ou une condamnation éternelles.
Il y a d’autres frontières symboliques qui, elles également, peuvent induire une limite contraignante ou un grand espoir. C’est le cas de l’expression « la ligne rouge » qui a un sens belliqueux. Ou les « frontières de la connaissance et de la science » qui a un sens d’entrainement qui a toujours suscité le combat de l’humanité à vouloir les franchir et les repousser. La frontière devient alors la stimulation de l’humanité à toujours aller dans un au-delà pour sa survie et son développement.
Enfin, la science nous a appris assez récemment dans l’histoire que le carburant chimique du soleil s’épuisera inéluctablement et la disparition de la terre en sera une conséquence fatale. C’est donc une ultime frontière qui fera face à l’humanité, entraînant la nécessité vitale de colonisation d’une autre planète.
En conclusion, c’est à l’homme à rechercher le bon côté de la notion de frontière. L’esprit humain a lui aussi les deux faces, la sombre et l’éclairée. Il doit continuellement faire le choix entre les deux côtés de la frontière, soit rester prisonnier de la plus détestable ou la surpasser pour accéder à l’autre.
Sid Lakhdar Boumediene