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« La haine comme rivale » de Saïd Sadi : la politique entre raison et passion (I)

Saïd Sadi
Said Sadi

Saïd Sadi, l’auteur du livre La haine comme rival n’est plus une personne à présenter ; il est l’un des acteurs politiques les plus connus en Algérie. Saïd Sadi est un homme politique, acteur des évènements du printemps berbère et membre fondateur d’un grand parti, le Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD) en l’occurrence.

Ces deux faits représentent deux étapes importantes de la vie de l’homme politique ; ce sont eux qui l’ont conduit là où il est aujourd’hui. Il a dirigé le RCD depuis sa création en 1989 jusqu’en 2012. C’est un homme politique très actif intellectuellement. On n’exagère pas si l’on dit que c’est un homme politique et un intellectuel à la fois. D’ailleurs, il est l’un des rares hommes politiques algériens à écrire des livres et des articles sur la politique, l’histoire de l’Algérie, l’art et la culture berbère. Il écrit en deux langues : en tamazight et en français. Son écriture est un acte engagé qui a une utilité politique, morale et didactique. Il n’écrit pas juste pour écrire.

Saïd Sadi participe publiquement depuis l’ouverture de l’Algérie au pluralisme politique aux débats politiques sur des questions très sensibles comme la relation de la religion à la politique, l’identité et la culture et l’égalité homme/femme. En fait, c’est un homme politique qui refuse de se taire. Ses opinions ne laissent pas ses adversaires idéologiques indifférents. En effet, sur le plan idéologique, soit on partage ses positions, soit on est contre.

Sur le plan sentimental, soit on l’aime soit on ne l’aime pas. Pour certains, du moins concernant la décennie noire, Saïd Sadi est l’un des sauveurs de la république contre l’islamisme, alors que pour d’autres, il est l’un des sauveurs du militarisme contre la démocratie. Tout le monde se rappelle son fameux « on ne vous laissera pas passer » qu’il a lancé à la face du numéro un du FIS, Abassi Madani en l’occurrence, lors d’un débat télévisé. En démissionnant du RCD, après vingt-cinq années de présidence, Saïd Sadi ne s’est pas retiré définitivement de la scène politique; il s’est gardé le droit d’exercer sa citoyenneté en intervenant avec des articles, dans des émissions de télévision ou sur sa page Facebook pour commenter l’actualité politique à chaque fois qu’il juge cela opportun. Il n’a pas pris sa retraite, il est toujours actif. Souvent, Saïd Sadi est victime de ce qu’on dit de lui et non pas de ce qu’il est réellement.

Il est victime de ce qu’on croit qu’il a fait ou pas et non pas de ce qu’il a fait ou ne pas fait réellement. L’opinion publique a une image altérée de lui. Il est détesté par les islamistes, les nationalistes, les arabistes ainsi que les kabylistes. Ce qui est indiscutable est que Saïd Sadi a montré par son engagement politique et militantisme qu’il est un grand défenseur de la démocratie, de la laïcité et de la culture berbère, trois éléments essentiels du projet de société que le RCD défend depuis sa création. Ses mémoires sont une occasion pour lui de déconstruire les raccourcis et les caricatures véhiculés sur lui et ses actions par le discours de ses adversaires.

Ma réflexion sur le livre de Saïd Sadi, La Haine comme rival, est orientée par des interrogations simples que n’importe quel lecteur poserait. Après plus d’une semaine de lecture que reste-t-il dans ma tête comme informations ? Quelle est l’utilité de ce livre pour l’auteur et pour le lecteur ? À qui l’auteur s’adresse-t-il ?

I- Saïd Sadi en mémorialiste

Le volume du livre et la richesse des informations qu’il contient rend toute tentative de cerner la pensée de son auteur dans un article une entreprise difficile à réaliser. Ce livre est riche en souvenirs, anecdotes, événements, informations et aussi en analyses pertinentes.

L’auteur ne raconte pas sa vie, ce n’est pas une autobiographie, il s’agit de mémoires. Said Sadi a choisi ce genre littéraire pour livrer aux lecteurs des témoignages et des analyses à propos de grands et de petits événements politiques que l’Algérie a vécus entre 1987 et 1997 dont il était témoin ou un des acteurs. Il procède dans ce livre par une sorte de restitution des évènements qu’il a vécus et aussi par des mises en situation facilitant au lecteur la compréhension de ses actions et réactions par rapport à ces événements. Certainement, dans la rédaction de ses mémoires, l’auteur ne s’est pas basé seulement sur sa mémoire, il s’est appuyé principalement sur des notes qu’il a prises pour lui ou pour son parti sur des événements juste après leurs productions ; car il sait que la mémoire est une faculté qui oublie et qui a tendance à ne pas enregistrer tout ce dont elle a été témoin. En effet, « La mémoire se perd ; mais l’écriture demeure » comme le souligne le proverbe oriental. Ce qui explique, à notre avis, la précision dans ses descriptions d’événements et la tendance à rapporter les détails. En fait, l’auteur nous renseigne plus d’une époque qu’il a vécue, marquée par des évènements importants, que de sa vie privée.

Il invite le lecteur à faire un voyage dans le temps aux entrailles de la fabrication de l’action politique de l’opposition. Il ne faut pas se décourager à cause du volume du livre, c’est un voyage qui en vaut la peine. Il nous relate l’une des périodes les plus importantes de l’histoire récente de l’Algérie. Sans doute, l’auteur a-t-il le sentiment d’avoir vécu des faits politiques exceptionnels qui méritent d’être racontés aux autres et gardés dans un écrit pour les futures générations.

Entre 1987 à 1997, l’histoire récente de l’Algérie a connu sur le plan politique une accélération remarquable et rarissime. Cette décennie est marquée essentiellement, à notre avis, par deux bouleversements politiques : l’un s’est fait vers la lumière, l’autre malheureusement s’est opéré vers les ténèbres. Le premier, c’était le passage d’une réalité politique contrôlée par un État fondé sur la pensée unique vers une réalité politique ouverte au multipartisme et à la diversité d’opinions.

En fait, c’est une ascension vers la démocratie et le pluralisme politique et une tentative de sortie de l’autoritarisme. Le deuxième bouleversement, nous pensons que c’est plus une dérive politique qu’une voie choisie ; il s’agit du passage de l’apprentissage du pluralisme politique et de la démocratie pacifiquement vers l’expression violente de la politique. En fait, c’est la chute et la décadence. Mais entre les deux, on ne peut pas ignorer que l’Algérie a gouté un petit peu aux effets positifs de la démocratie avant que celle-ci libère la haine dont Saïd Sadi parle dans ce livre.

Saïd Sadi, comme tout auteur de ses propres mémoires, fait le point sur sa vie politique, c’est-à-dire sur sa vie en tant que citoyen engagé et en tant que responsable politique qu’on ne peut pas dissocier de l’humain (mari, père de famille, ami…). L’auteur est en même temps un citoyen engagé et un responsable politique. On peut dire que pour lui, ces mémoires sont une sorte d’inventaire ou de bilan de ce qu’il a fait dans sa vie politique. Généralement, cet exercice permet à son auteur de trouver le fil conducteur de sa vie politique ; un fil qui n’était probablement pas aussi clair pour lui lorsqu’il était dans l’action, car il était trop absorbé par les évènements. Il n’écrit pas ses mémoires pour souligner son abnégation et sa persévérance malgré les difficultés qu’il a rencontrées que l’expression haine comme rivale résume, ou régler des comptes avec ses adversaires politiques.

En fait, il le fait, à notre avis, pour les autres, en grande partie par devoir de mémoire pour toutes les victimes de la violence islamiste et en hommage à ses compagnons de lutte pour la culture et la démocratie. C’est ce qui se dégage comme sentiment fort à la lecture de ce livre. L’auteur veut partager avec les autres son expérience et les enseignements politiques qu’il a appris dans la pratique.

Il invite le lecteur à apprendre de ses réussites et de ses échecs. Ce genre d’exercice est marqué par un élan de générosité et d’altruisme qui n’est pas étranger à tout engagement politique sincère. En fait, ces mémoires, elles-mêmes, sont une action politique, un produit d’un acteur politique. C’est incontestable que ce genre de mémoires contient des enseignements utiles pour un simple militant comme pour un responsable politique.

Par ailleurs, cet exercice intellectuel n’est pas facile pour l’auteur, car il l’expose à des critiques, voire à des attaques tous azimuts. Il peut être, à notre avis, la cible de trois catégories d’adversaires : la première est celle des personnes qui se sentent écorchées en les citant dans ses mémoires ; la deuxième catégorie est celle des personnes qui auraient aimé que l’auteur ne parle pas d’elles, surtout de ce qu’elles auraient dit ou fait dans les coulisses ;  enfin la troisième catégorie, c’est celle des personnes proches ou sympathisantes des hommes ou des femmes qui ne sont plus en vie que l’auteur a cités et surtout à qui il a attribué des faits et des actions qui n’ont jamais été rendus publics, mais qui sont susceptibles de donner une image négative d’eux ou une image différente de celle que l’opinion publique a d’eux.

Un tel livre n’est pas à l’abri de polémiques entre les partisans et les opposants de Said Sadi. Il contient des affirmations et des interprétations qui peuvent donner encore de l’huile au feu de la haine que l’auteur a identifiée. La haine d’aujourd’hui peut avoir une autre dimension et un autre support pour se propager. Effectivement, les réseaux sociaux offrent à cette haine un médium redoutable pour s’exprimer qui risque d’amplifier son effet plus que ce que les médias traditionnels offraient auparavant. Les réseaux sociaux sont un espace favorable au développement de discours haineux. Tout usager de Facebook par exemple est capable d’écrire ce qu’il veut de l’auteur et de son livre, sans avoir même lu une page de ses mémoires.

L’auteur invite le lecteur à rentrer directement dans le vif du sujet qu’il a choisi de traiter dans ce tome trois de ses mémoires. En effet, le titre du livre annonce d’emblée la nature du combat politique que Saïd Sadi, l’homme politique, a mené dans l’une des périodes les plus cruciales et tourmentées de l’histoire récente de l’Algérie. On peut diviser cette période en trois étapes.

La première étape englobe le contexte d’avant l’expérience démocratique, précisément lorsque la politique formelle était la chasse gardée du parti unique. Dans cette étape, l’auteur s’est concentré sur la création d’un nouveau courant politique. Dans ce tome, Said Sadi lève le voile sur les coulisses de la création du RCD. Il nous explique pourquoi il a choisi avec ses camarades politiques de passer d’un mouvement culturel à un mouvement politique et il nous présente les valeurs que ce nouveau mouvement politique défend. Il n’a pas raté l’occasion de démentir les rumeurs circulant sur la création du RCD et d’expliquer la rapidité suspecte aux yeux de ses détracteurs du passage de ce mouvement pour la démocratie de la clandestinité à la légalité.

En tant que lecteur, cette partie du livre est de loin la plus importante des trois étapes de la vie politique de Saïd Sadi et de la formation politique à laquelle il a participé grandement à sa fondation. L’auteur montre avec des faits au lecteur que le RCD n’est pas né du néant et que surtout, ce parti n’est pas une création du pouvoir dans le but de limiter l’influence du FFS en Kabylie comme ses adversaires les plus hostiles l’allèguent.

Le RCD selon Saïd Sadi est un aboutissement logique d’un militantisme politique et d’un processus qui s’explique par le contexte politique, social et culturel de l’époque. Sa naissance, comme l’auteur le souligne, coïncide avec les nouvelles conditions sociales et politiques qui étaient derrière les évènements d’octobre 1988 et l’avènement de l’ouverture démocratique.

A suivre

Ali Kaidi, docteur en philosophie politique

 

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