Il pleut énormément sur Alger. Les nuages crient leur frustration. Les bouches d’égout tentent désespérément de boire la fureur des oueds ressuscités.
Très vite, les rues deviennent des chenaux de boue et les vieux immeubles ont les genoux tout tremblants. Alors, sans résistance, millimètre par millimètre, quartier après quartier, Alger abdique et se laisse envahir par un flux conquérant qui la transforme peu à peu en une Atlantide africaine, où se perdent, à jamais, les secrets d’une vie heureuse…
Sur l’autre rive d’une Méditerranée qui sépare, Lola, 12 ans, est assassinée par une Algérienne sans que cela ne suscite de réaction officielle ni le moindre débat en Algérie. Après tout, il s’agit d’une concitoyenne en situation irrégulière qui commet un crime barbare dans un pays étranger ! Un drame qui pourrait facilement se reproduire puisque nos harragas seraient présents dans l’hexagone par centaines de milliers.
Meurtre de Lora à Paris : Dahbia B., principale suspecte, d’origine algérienne
Lola, l’enfant tout sourire n’est plus. Elle a subi les pires sévices qui puissent exister; lacérations, tortures, viole et égorgement ? Ce jour-là, malheureusement, la mort se déclinait sous un prénom bien de chez nous. Il est difficile, malgré la distance, de ne pas se sentir coupable, de ne pas porter la honte comme d’autres portent leur croix et la traîner, lourde, écrasante, du réveil au réveil, jusqu’au lit du sommeil impossible. Encore des Algériens, qu’on se dit ! Car avant cela, il y a eu les attentats de Paris, le Bataclan, le stade de France, Charlie Hebdo et tant d’autres atrocités.
Peut-on, dès lors, être Français sans se demander si, à lui seul, un nom arabe peut égorger une enfant ? Le bon sens voudrait qu’on s’arrête un peu pour se poser quelques questions franches entre congénères : qu’y a-t-il de si pourri en nous pour fabriquer autant de monstres jusqu’à en faire une industrie qui s’exporte ? Est-ce quatorze siècles d’une altérité niée, déshumanisée, du livre et de l’épée, d’une colonisation chronique, ou est-ce dix ans de terreur, à macérer en vase clos, presque convaincu que la place naturelle d’un cadavre décapité est sur un piquet et non dans une tombe ? Les poubelles piégées, les faux barrages sanglants, les corps mutilés, les villages passés à la hache et au couteau, les millions de victimes enterrés sous les décombres d’une réconciliation forcée, Bentalha, Ramka et les moines de Tibhirine, sont autant de pistes à explorer. Est-ce tout cela qui a fait de l’Algérien un être plus violent que ce que peut produire le hasard du big-bang, ou est-ce, juste par malchance qu’on nous épingle régulièrement sur les premières pages du terrorisme, de la violence et de l’horreur ?
Le meurtre de Lola doit nous interroger sur cette barbarie qui nous habite, que nous produisons et transmettons comme une malformation congénitale. Sur cette inquiétante insensibilité à ne pouvoir exprimer des regrets sans essayer de se justifier !
L’humilité et le bon sens voudraient que l’on se pose toutes ces questions, pour être capables d’adopter, face aux drames, la juste attitude en tant qu’humain et non en tant que tribu. Par respect dû à la victime et aux siens, au peuple de France qui nous accueille par millions, il faut s’excuser et se taire. Surtout ne pas chercher à argumenter par la folie, la non-représentativité, la religion de paix et d’amour, les consignes contradictoires du prophète, le oui mais, Zidane ou la guerre d’Algérie.
Tout cela n’a pas sa place dans les moments de sidération et douleur. C’est comme vouloir faire avaler des lames à quelqu’un qui saigne et qui a le gosier, la panse et les narines pleins de morceaux de verre tranchants ! Se taire et se garder une gêne à vouloir absolument justifier l’impensable. Et puis, s’excuser, beaucoup, comme on fait nos prières. Se repentir du meurtre de la petite Lola, et la pleurer sincèrement, la tête basse et en silence, en bénissant la honte, qui, enfin nous rend humains et désenfle, quelque peu, cette fierté aveugle et maladive qui nous habite et nous dévitalise…
Le gris du jour donne une mélancolie bienveillante à un monde que l’on croyait indifférent. On a presque envie de le remercier de peindre ainsi nos malheurs. Sous des cieux habituellement ensoleillés, où la chaleur et la lumière affichent un bien-être trompeur, la grisaille a le mérite d’effacer ce mirage folklorique de gaieté. Le gris est la couleur du réel et de la vérité. On se sent enfin compris face à tant de calamités qui nous ébranlent. Les larmes du ciel savent dire, mieux que quiconque, tous les regrets des Humains…
Pardon petite Lola !
Habib Khelil