Samedi 12 décembre 2020
La jupe et le misogyne
« Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. » Simone de Beauvoir
L’Algérie est-elle définitivement condamnée à subir cette culture rétrograde que les islamistes ont disséminée sur cette terre meurtrie ? Il ne faut jamais oublier les dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes de tout âge qui ont été massacrés sur l’autel d’une idéologie obscurantiste. Les remugles de la décennie noire sont toujours vifs dans l’esprit de chacun. Le Front islamique du salut a été heureusement dissous mais le corps de sa doctrine mortifère est toujours d’actualité.
Voilà donc une fillette de dix ans à peine, habillée d’une jupe et de son innocence, qui passe à la télévision algérienne pour parler de sa passion, la lecture et l’écriture. Quoi de plus bénin et de plus inoffensif ? Le problème, c’est que ces dégénérés, qui ont vraiment un problème dans leurs têtes, ont uniquement retenu la longueur de la jupe de cette gamine.
Fini le temps où la cinémathèque algérienne attirait des algérois par centaines, où les pièces de théâtre captivaient d’innombrables amateurs, où les expositions de peinture charmaient des amoureux des estampes, des esquisses et des enluminures, où les récitals de poésie de la salle du Mouggar séduisaient chaque mardi des mordus qui se bagarraient pour assister aux envolées lyriques… Aujourd’hui, beaucoup se sont spécialisés dans le mesurage des jupes des petites filles. Quel que soit le sujet abordé par l’enfant et quel que soit l’âge de celle qui a eu l’audace de montrer ses jambes.
Comment en est-on arrivé à cette perception bédouine de la culture ? Par quelle puissance du retournement des valeurs, une petite fille de dix ans qui porte une jupe peut-elle mettre en émoi des milliers de mâles misogynes qui ont peur pour leur virilité ? Comment l’innocence est-elle devenue un enjeu pour l’idéologie islamiste la plus immonde ? Quelle est cette volte-face qui fait que des pères de famille apparemment respectables puissent, sans honte et sans pudeur, se sentir mis en danger à la simple vue d’une jupe ?
Oui, nous avons mis fin aux activités du Front islamique du salut mais son système de pensée a envahi un grand nombre de citoyens qui, tous les soirs, ont le cerveau dévoré par le virus des chaînes satellitaires du Qatar et d’El Azhar.
Cette thèse dogmatique absorbe depuis longtemps l’éducation nationale, les médias, le peu de culture qui persiste. Elle est administrée à fortes doses dans les livres que l’on distribue gratuitement dans les souks, elle se voit dans ces images où des écoliers, à défaut de se frotter aux théorèmes et aux règles de trois, passent leur scolarité à se plier en deux dirigés vers l’orient sous la houlette d’instituteurs-imams.
Comment crier de toutes ses forces que cette Algérie-là n’est pas celle qui donnera à son peuple pain et dignité. Elle est à coup sûr la reproduction d’une société désaxée et souffreteuse. Que cette fillette ait pu recevoir des menaces de mort de la part d’adultes démontre que la désolation est bien fixée.
Dans cette condamnation et ce dénigrement, comment doit réagir cette petite fille, sa fratrie, ses parents ? Peut-on imaginer le choc subi, le contrecoup ressenti par cette enfant ?
A n’en pas douter, le paternalisme sectaire, la misogynie éhontée, le machisme culturel n’ont pas fini de nous réduire à une société sexiste et aux mœurs reculés. La flambée de la misogynie est maintenant perceptible à l’égard des plus jeunes qui ne peuvent plus vivre leur innocence comme partout ailleurs dans le monde. A l’évidence, la suprématie masculiniste et le triomphe de la misogynie démontrent que les universalistes algériens ont encore beaucoup du pain sur la planche.