24 novembre 2024
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La langue arabe classique est une langue morte !

TRIBUNE

La langue arabe classique est une langue morte !

La jeunesse algérienne récite des dizaines de passages des auteurs arabes du moyen âge et des centaines de versets du livre saint. Mais lorsqu’il s’agit d’exprimer une phrase simple de la vie courante, outil essentiel de la communication et de la socialisation humaine, c’est « a3tini el melh ». 

Ce constat est consternant, la preuve absolue que l’arabe classique est une langue morte et que l’acharnement à la greffer dans le tissu linguistique et social de l’Algérie est un désastre, une tchekchouka des langues.

Dans un chapitre de la Bible, l’éternel punit le présomptueux souverain qui voulait bâtir la tour de Babel aussi haute qu’elle atteindrait le royaume des cieux. Son courroux s’abattit sur les ouvriers bâtisseurs de telle sorte qu’aucun d’eux ne comprit l’autre dans son langage. 

L’Algérie a voulu bâtir une civilisation qui n’existe que dans les fantasmes de certains et leur  interprétation d’un passé lointain dans le temps et géographiquement. Elle en est punie, personne ne comprend plus personne dans un bazar linguistique indescriptible.

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Il y a un demi-siècle, lorsqu’un certain nombre d’entre nous avions sonné l’alarme nous étions accueillis par une réprobation générale, dans le meilleur des cas et par des insultes et menaces dans le cas le plus fréquent.

« Hizb frança », une expression que j’ai supportée toute ma jeunesse en Algérie puis cela continue dès que j’ose m’aventurer dans le début de la première syllabe d’une critique à l’encontre de la langue arabe classique.

Aujourd’hui je lis des articles dans la presse avec des propos que nous tenions déjà au lycée, en Algérie. Nous avions alors à cette époque des années 70’  reçu en pleine figure la langue arabe classique avec des professeurs venus du Moyen-Orient et dont je n’ose à peine qualifier le niveau, si on peut utiliser ce terme à leur propos, et pour beaucoup, la dangerosité.

Nous avions été saisi à froid, tétanisés et nous avancions dans cette langue comme si on avait demandé  aux habitants de la Jamaïque de s’inscrire aux jeux olympiques de bobsleigh (beaucoup reconnaîtront ce célèbre film). Aucun d’entre nous n’avait compris ce qui se passait, comme une personne recevant un coup de massue sur la tête et n’ayant pas encore saisi ni le pourquoi ni même avoir été préparé à le recevoir.

La marche en avant de l’arabe classique, coûte que coûte, aux antipodes de la raison et des bases de la sociologie linguistique algérienne, nous a emmenés là où il était logique qu’elle nous y amenât, soit se fracasser contre le mur.

Si ce n’était pas aussi dramatique je dirais que c’est comique tant le baragouinage et le mélange entre les langues est une véritable bouillabaisse, sans parler de l’extrême pauvreté du langage. Le prof que je suis est dévasté.

Essayons avec raison et hauteur d’analyser ce tsunami qui a frappé l’Algérie et qui n’est pas prêt d’être réparé car je ne vois pas le moindre commencement d’une prise de conscience.

Qu’est-ce qu’une langue morte ?

Nous pourrions, comme beaucoup d’universitaires algériens, nous gargariser de science linguistique et de références historiques. Ce n’est pas la peine car plus l’instruction est solide plus nous pouvons identifier et qualifier une situation sociale lorsqu’elle est objectivement observable avec une évidence si forte.

Un rapide coup d’œil sur le dictionnaire traduit simplement l’idée que tout le monde se fait de la définition d’une langue morte :

« Langue qui n’est aujourd’hui plus parlée dans la vie quotidienne, langue ancienne ou moderne qui n’a plus de locuteur. Exemple : le latin, le grec ancien et l’araméen sont des langues mortes que l’on peut cependant étudier (et donc écrire ou parler en dehors du contexte de la vie courante) ».

Une langue par laquelle on ne peut dire à une personne qu’on l’aime sans que cela paraisse  ridiculement artificiel est une langue morte. Une langue qui ne peut traduire spontanément sa joie, sa colère, ses ressentis et ses réflexions d’une manière naturelle est une langue morte. 

Une langue qui n’est pas le souffle de la vie, le sang vocalisé qui irrigue la société est une langue morte.

Une langue qui ne peut être parlée qu’à la télévision ou dans un discours en portant obligatoirement  une moustache (caricature à peine exagérée), avoir auparavant raclé sa gorge pour exprimer la solennité de la parole, jamais accompagnée d’un sourire car la langue arabe semble ne jamais sourire, avec un air grandiloquent, est une langue morte.

Enfin, une langue qui ne peut aligner des phrases simples sans aller rechercher des références littéraires ou religieuses est une langue morte.

Un dogme historique et religieux

Si nous revenions à cette époque où la catastrophe naquit, dans les années 70’, c’est bien évidemment le projet nationaliste de Nasser qui en fut l’acte de naissance. Puis, avec le besoin d’affirmation identitaire que cela suppose la langue arabe classique s’est totalement adossée a un dogme religieux.

Les professeurs d’arabe de l’époque n’étaient pas venus nous apprendre la belle langue mais nous dire « Nous sommes venus pour vous remettre dans le droit chemin de votre identité ancestrale ».

C’est certain qu’avec un objectif aussi absurde l’avenir linguistique et intellectuel de l’Algérie était mal parti. Moi, je connais mes grands-parents, je sais qui je suis et ce que je parle dans mon pays natal. Je n’ai besoin de personne pour me rappeler qui je suis et ce que je devrais être.

Nous y voilà au cœur du drame à vouloir faire vivre une langue morte qui n’a jamais eu un quelconque rapport avec l’identité profonde de l’Algérie et n’en aura jamais. On n’a jamais vu un mort participer à la construction sociale de l’humanité si ce n’est les momies qui participent à la connaissance des cultures du passé.

Comment faire pour s’en sortir ? Lorsque des communautés ont avec acharnement et idéologie massacré tout espoir je n’ai plus grande solution à proposer sinon le retour à la sagesse et à la raison.

Ce sont elles qui sortent toujours l’humanité des abîmes lorsque d’autres l’y ont plongée. Le résultat n’est pas pour demain, il sera long et les difficultés immenses.

Mais en déconnectant la langue arabe classique d’une idéologie nationaliste et religieuse nous pourrions au moins remettre les esprits en ordre de marche pour trouver la solution.

La langue française fut détruite à cause de ce sentiment absurde de retrouver des racines et une identité complètement fabriquée dans les esprits. Je récuse à quiconque le droit de douter de l’amour que je porte à mon pays natal, mon identité est en parfaite harmonie avec ma naissance sur cette terre gorgée de soleil.

La darija, le français ou le berbère, je n’ai aucune idée de leur préparation à prendre (ou à reprendre) le relais d’une manière efficiente en faisant le lien indispensable entre la vie courante et la réflexion intellectuelle que suppose l’écrit et le langage tenu. 

Pour le moment ceux qui nous y ont plongés sont pour la plupart à l’étranger. Ils n’ont pas besoin de la langue arabe classique pour comprendre le contrat d’ouverture d’un compte bancaire ni pour vivre dans le luxe d’une civilisation impie et à la langue qui tourne le dos à leur grand projet nationaliste et religieux.
 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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