Samedi 18 août 2018
La leçon de Steinbeck
Ce fut en septembre 1960 que le romancier américain John Steinbeck (1902-1968) avait pris, à 58 ans, la décision de partir pour la deuxième fois, à la découverte de son pays : l’Amérique. En 1935 déjà, il avait pu parcourir en fourgonnette de boulanger les routes de l’ouest pour pondre dans un célèbre ouvrage « Les Raisins de la colère », la peinture de l’Amérique profonde des années de la crise. A la veille de sa nouvelle aventure, il écrit ceci dans un courrier adressé à sa mère : » Cela fait des années que je ne l’ai pas regardé.
Je m’en irai seul vers l’ouest, par la route du nord…Je traînerai dans les cafés et les bars, je mangerai les hamburgers dans les gargotes, et j’irai à la messe du lundi…J’explorerai les villes, les bourgades, les fermes et les ranches…, je veux juste observer et écouter…, un réapprentissage de mon propre pays, de ses manières de penser, de ses opinions, de ses attitudes, de ses changements… ». Après onze semaines d’un long périple, culminé par la parution d’une autre œuvre intitulée « Voyage avec Charley », le succès de celle-ci auprès du public et de la critique fut immédiat. D’ailleurs, l’auteur recevait, l’année même, le prix Nobel de la littérature ! Mais qu’avait-il raconté pour susciter un tel engouement populaire et mériter une distinction si prestigieuse comme Nobel ?
En vérité, Steinbeck était si curieux de connaître les siens qu’il rapporta et analysa, dans les moindres détails, leur vie et leurs habitudes. A la recherche d’un contact physique avec ces derniers, il s’est immergé dans leur quotidien avec tout ce qu’il contenait de souffrances, de joies et d’espérances.
En d’autres termes, il s’est attaché d’abord à comprendre ses frustrations personnelles de se sentir étranger en cette Californie, la ville de son enfance, «métamorphosée» par rapport à ce qu’il avait laissé auparavant, puis décortiquer l’Américain et sa vision de son pays, son continent, son avenir.
Ainsi décrit-il des réalités régionales séculaires en voie de disparition tels que l’accent, le parler de terroir et les coutumes détruits par la radio et la télévision, l’industrialisation qui commence à dénaturer les paysage ruraux, les inégalités sociales, la montée du racisme anti-noir, etc. Tels le dramaturge Kateb Yacine et l’anthropologue Mouloud Mammeri partis, eux aussi dans l’Algérie profonde des années 1970 étudier leur peuple et le comprendre, Steinbeck conclut à la fin de son périple, qu’avant de parler de son pays, il fallait d’abord connaître en profondeur l’architecture logique de sa culture et les structures inconscientes de la vie sociale de ses habitants.
Notre intelligentsia, en Algérie, devrait s’en inspirer aujourd’hui. Elle devrait aller découvrir son pays pour qu’elle puisse le comprendre et en parler par la suite. Pas question de rester confiné dans son bureau, agence de presse, salon littéraire ou ailleurs et prétendre analyser ce à quoi aspire un habitant de Touggourt, Relizane, Tizi Ouzou, ou Nâama ! La réalité est dans le terrain. Au boulot alors! Vite. Si Steinbeck est encore vivant, il attendra, sans doute, les constats, les rapports et les bilans !