24 novembre 2024
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La modification constitutionnelle enterre la Constituante

OPINION

La modification constitutionnelle enterre la Constituante

Depuis dix mois j’accuse le Hirak d’une inconscience politique majeure. Il a refusé de mettre les questions qui fâchent sur la table, d’entreprendre l’écriture de résolutions et de faire incarner le mouvement par des porte-paroles. Le 12 décembre, il a signé sa mort, du moins celle de sa stratégie désastreuse.

Résultat de la révolution, un Président élu par le régime militaire, toutes les chancelleries du monde qui le félicitent, un parti politique d’opposition qui veut « discuter » avec lui, des dizaines de douctours en droit qui se bousculent pour rédiger les propositions de la révision constitutionnelle. 

Et n’oublions pas ceux qui payent de leurs incarcérations la révolution du sourire. Bravo !

Alors si le Hirak revenait à la raison et voulait enfin réfléchir, il se rendrait compte qu’il s’est fait avoir, encore une fois, car le régime des généraux va bel et bien rédiger une nouvelle constitution. Il lui restera à hurler 45 vendredis encore pour le slogan « Makache el vote de la constitution ! » après avoir brandi le slogan « Makeche el vote le 12 décembre ! ».

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Soyons sérieux et revenons à cette affaire dans le fond de ce qu’elle signifie. Car beaucoup d’intellectuels, comme à leur habitude, commencent à rejeter l’idée d’une constituante après l’avoir exigée au début du Hirak.

Je leur répondrai par quatre points, assez rapidement, car je pense que cette histoire est loin d’être close. Le dossier est ouvert depuis un demi-siècle, les youyous dans la rue le font toujours disparaître un moment avant qu’il revienne dans la violence, tous les trente ans.

Une révolution, puisque vous l’avez voulu, c’est mettre à bas un régime institutionnalisé et les hommes qui l’incarnent. C’est un rappel du b et a ba des révolutions. Sinon c’est une émeute, de la colère et non une révolution.

Voici mes arguments qui en découlent, juridiques mais, avant tout, de bon sens politique :

1. Si vous consentez à la simple révision de la constitution c’est que vous légitimez le régime qui l’a proposée et donc le texte dans la majorité de ses parties. 

Or cela fait des mois que vous manifestez bruyamment dans la rue pour dénoncer le régime. Je sais bien que beaucoup veulent faire oublier qu’ils ont mainte fois voté auparavant mais tout de même, la contradiction est gigantesque.

2. Un texte constitutionnel est un enchaînement technique subtil qui part d’une résolution politique, d’un choix. Tout au moins d’une théorisation de l’idée qui va fonder le texte. Cette initiative résulte souvent d’une guerre ou d’une profonde fracture qui a engendré des évènements graves qui remettent en question les valeurs et l’ordre établi de l’ancien texte constitutionnel.

Par exemple, le congrès de la Soummam en Algérie ou le discours de Bayeux pour la cinquième république.

Comment allez-vous réviser les articles lorsque l’architecture générale les emboîtent,  les uns par rapport aux autres avec un lien en cascade dont l’origine en amont est la doctrine voulue au départ ?

3. Qu’allez-vous faire de Dieu, le principal souci qui nous oppose ?  

C’est incontestablement l’un des points forts du drame algérien. Sur les réseaux sociaux, je reçois de plus en plus de réactions vives qui prouvent que beaucoup de manifestants ont compris l’enjeu et le risque pour eux d’une constituante.

Voici un message qui m’a été envoyé dont je supprimerai la phrase finale, d’une grande vulgarité. Je la reproduis avec les majuscules voulues par mon interlocuteur pour signifier sa détermination  : “Les gens ne sont pas sortis pour changer la constitution mais pour une application correcte de la constitution… mais nous savons que vous cherchez à enliser la marche de la révolution en voulant supprimer l’article 2 qui stipule que l’islam est la religion de l’Etat…. Faqou”

4. Comment allez-vous introduire le débat sur la revendication légitime qui fait suite à une fracture culturelle et linguistique territoriale ? C’est pourtant l’autre souci majeur de l’Algérie.

Je vois bien, là également, le refus d’aborder cette question qui fâche. À l’évidence il faut attribuer à nos compatriotes berbérophones l’opportunité d’une fédération qui les feraient s’épanouir dans une base territoriale anthropologique de nature à rendre la sérénité à tout le pays.

Une sérénité qui nous ferait profiter, avec intelligence et non avec rancœur, d’une partie de notre identité commune. Les langues n’ont aucune importance en soi, ce qui compte c’est ce qu’elles véhiculent c’est à dire la richesse de ceux qui l’expriment. 

Et plus ils sont apaisés plus nous retrouverons une partie de nous-mêmes avec naturel et sérénité. Rien n’empêche, absolument rien, que par la suite l’équipe d’Oran donne une bonne leçon de football à la JSK, je le promets.

4. Puisque vous aviez voulu les  « dégager tous », comment allez-vous légitimer le processus intermédiaire et les personnes qui vont modifier le texte ?

Le processus référendaire se passe en aval du texte. Et si vous le placez en amont, vous vous retrouvez dans la configuration de la constituante. Bravo !

Car qui va dire aux délégués élus ce qu’ils doivent modifier ou non avec un mandat clair ? Vous avez promis de tous les dégager avec vos slogans révolutionnaires (ce qui est un échec pour le moment). 

Vous voulez les remettre en fonction ? Et voter encore une fois ? Vous avez passé quarante vendredis à nous expliquer, avec force et conviction, que le vote n’a aucune légitimité avec ce régime militaire.

Lorsqu’on sait qu’Ali Mebroukine, professeur de droit et fan des généraux, a été le grand commentateur des institutions, je comprends la tchekchouka dans laquelle vous êtes aujourd’hui.

Non, je n’ai pas la nostalgie de la constituante ni l’esprit de revanche car nous avions échoué à la mettre en œuvre. C’est ce qu’on me dit sur les réseaux sociaux.

C’est un processus normal et obligatoire lorsqu’il y a une forte rupture et une unanimité qui veut la destruction du régime passé. Cette rupture, à bon droit, vous l’aviez souhaitée. Ou j’ai rêvé pendant dix mois, c’est l’effet de l’âge.

S. L. B

PS : le « vous » s’adresse à ceux qui évoquent la révision.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar

 




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