Mardi 12 mai 2020
La mort d’Idir dérange les gardiens de « la morale »
Même la mort fait des émules. La disparition du chanteur Idir a révélé dans toute son ampleur la faiblesse des uns et la hargne des autres qui refusent d’admettre que ce n’est pas en prêchant des discours religieux ou faire des dissertations moralistes pour conquérir les cœurs des êtres et se faire aimer.
Sans tomber dans la sacralisation et l’exagération, tellement il est admiré, il aurait pu être candidat à une béatification ou une canonisation en signe de reconnaissance. Connaissant l’Histoire de son destin tracé au pied levé pour reprendre en main un combat identitaire lourd et pénible, on peut lui attribuer sans difficulté le titre du « Mandela algérien ».
La réaction de certains religieux qui n’ont rien à prouver en termes de tolérance et ni à encourager le respect dans une société en panne de repères, Idir, pour eux est devenu un sujet à exploiter. Ils le présentent comme un bel exemple de la part son humanisme ou bien faire de lui une personne indigne, car il ne répond pas aux idées dogmatiques qu’ils véhiculent comme une chape de plomb endoctrinant un peuple à qui on a inculqué la culture arabo-islamiste.
Dans les deux cas, il ne mérite pas d’être entraîné dans un espace qui reste du domaine personnel, pour lui la spiritualité c’est une affaire d’individus et non d’un groupe auquel il est impératif d’appartenir. De son vivant, comme réponse à ses détracteurs : « le Dieu auquel je crois est plus beau à celui qu’on me propose ». Cette phrase est suffisante, elle résume l’esprit régnant dans un pays ou la pratique religieuse est régie par des interdits et des restrictions abusives. Le fait de jeûner en public est passible de sanctions judiciaires et la liberté de culte n’est pas garantie, la tolérance en effet à laquelle la religion fait mention n’est qu’illusoire.
C’est vrai qu’il pose un problème pour ceux qui sont en conquête depuis 14 siècles. Ils font la guerre à ceux qui refusent de les suivre, et le peuple de l’Afrique du Nord, à travers l’Histoire, a tant subi de cette domination. Alors que l’interprète de Vava Inouva, issue de cette région, à travers sa guitare et ses chansons, leur résiste en protégeant sa culture et son identité. Il envoie des messages de paix, d’amour et de tolérance face aux injures et aux menaces. Il défend la femme, comme il défend la liberté dans une société en décalage avec les valeurs universelles. Il rejoint Mouloud Mammeri et Matoub Lounes, qui sont des symboles de la résistance.
Indubitablement, se réapproprier son identité est un bel héritage de lutte qu’on pourrait léguer aux générations futures dans une perspective de réviser l’Histoire pas uniquement en Algérie, il inclut les autres pays de l’Afrique du Nord, qu’on désigne sous le nom Tamazgha.
Il a su conquérir les cœurs des habitants des quatre coins de la planète grâce à son humanisme et à son attitude proverbiale. Quand il est en face d’une personne, il ne fait attention si elle est arabe ou juive, l’essentiel que ce qu’elle projette comme personnalité. D’ailleurs, dans un esprit d’échange de cultures et de bonne ambiance dont il a enrichi son répertoire musical avec des chansons faites en duo avec des artistes de différentes nationalités et d’horizons. En prodiguant ses services à ceux-là est sa manière d’exprimer son universalité.
Ce qui explique que la mort d’Idir a suscité de l’émoi pas uniquement aux habitants de sa région natale, la Kabylie, mais au-delà des frontières algériennes. Des témoignages forts et émouvants exprimés en boucle par des chefs d’État, des grands et petits artistes et ceux qui connaissent à travers ses mélodies. C’est une icône. Même l’UNESCO a tenu lui rendre hommage.
Sans doute, c’est une popularité très utile pour les siens en termes de réhabilitation de l’Histoire. Une situation qui suscite de l’indignation et de l’acharnement de la part des individus œuvrant pour une idéologie politique marquée par l’archaïsme arabo-islamique, et qui se mettent au contresens du progrès. Son existence et sa manière d’être en tant qu’artiste éveillent les esprits dans une conjoncture ou les citoyens algériens sont déterminés à en finir avec ceux qu’ils les ont pris en otage par la force de la religion et par un pouvoir autoritaire. Donc, il y a une urgence de démystifier cet enfant d’Ath-Yanni.
Par ailleurs, d’autres d’intellectuels profitent cette occasion pour dénoncer l’amour exagéré à Idir de certains de ces compatriotes adeptes de l’autonomie ou d’un statut particulier de la Kabylie. C’est complètement absurde dans ce moment de douleur, de se positionner en donneur de leçon afin de réclamer aux habitants de la région dont il est issu Idir, de le suivre comme exemple pour dénoncer le régionalisme et le renfermement identitaire. Une manière de douter de la prise de conscience de toute une région. Et ce n’est pas des exemples de démonstration qui manquent depuis le 22 février pour rappeler à Kamel Daoud que la Kabylie est assez adulte pour faire la part des choses en termes d’ouvertures politiques, identitaires et culturelles.
Sans s’attarder sur le nombre d’attaques mesquines de l’œuvre de certains journalistes et de penseurs à l’image de Youcef Benzatat, en quête de popularité pour dire n’importe qu’elle médiocrité. Celui-ci affirme : « Il reste pour moi, ni plus ni moins qu’un chanteur et un conservateur du folklore ethnique kabyle ».
Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à ce genre d’exécrations pour diaboliser des personnalités emblématiques issues de la même région, qui ont secoué les consciences et qui ont bouleversé les ordres établis par le sectarisme religieux et l’idéologie arabo-musulmane. Rappelons-le que la mort de Mouloud Mammeri et de Matoub Lounes asuscité des polémiques acerbes qui dépassent la raison de la part de ces gardiens du temple.
Même Rachid Boudjedra, pour une raison de visibilité ou de distinction, s’invita pour critiquer les journalistes qui rendirent un grand hommage à l’auteur de la colline oubliée au moment de son décès le 26 février 1989. Dans une longue contribution : « croque mort », paru en mars de la même année dans Révolution africaine, dans un vocabulaire dissimulant une critique tranchante envers Mammeri, il s’acharna sur ceux qui ont décidé de s’intéresser à un homme qui a déterré l’Histoire amazighe. Mahfoudh Nahnah, ancien leader du Hamas (aujourd’hui MSP dirigée par Makri) en jubilant l’assassinat de Matoub, s’est félicita qu’il fut enterré dans son jardin et non dans un cimetière musulman. D’autres qui rêvent d’un avenir politique sans qu’ils soient perturbés par les idées du chantre de la chanson kabyle se sont réjouis carrément de sa mort en déclarant en public qui l’a mérité. Et par la suite, ils font de sa mort un commerce politique sans retenue.
Pour l’Histoire, trois personnalités ont attiré un engouement au moment de rendre l’âme, il s’agit du de Mouloud Mammeri, Matoub Lounes et Idir. Et chacun à sa manière de représenter un combat. Ils sont des symboles, des référents auxquels on s’identifie.
Le travail linguistique de Mammeri est un patrimoine culturel qui a donné de la chance à toute une génération en quête de leur Histoire. Les chansons de Matoub sont un engagement, un sursaut qui ont marqué une jeunesse qui a la soif de liberté et fière de ces racines amazighes. Et en dernier Idir, que Mammeri considère comme un digne représentant de notre culture dignement : disait-il : « Tu sais Hamid, je ne pensais pas vivre avant de voir la lumière de notre culture pouvais être si magnifiquement restituée et si bien interprétée. Tu lui as redonné la place qui lui revient de droit et là-haut au ciel je sens que nos ancêtres jettent sur toi des bénédictions sous forme de poussières d’étoiles ». Inutile de rajouter à cette reconnaissance.
C’est la continuité de leur combat. Leurs œuvres linguistiques, culturelles et artistiques sont devenues plus que jamais sacrées. Un socle solide pour construire son identité.