Jeudi 22 février 2018
La politique de l’aménagement du territoire pose la problématique de la sécurité nationale
Les autorités algériennes viennent de reconnaître seulement maintenant, alors que l’alerte a été donnée par maints experts depuis de longues années, que plus de 70% de la population algérienne vit dans des villes dont une grande partie a connu une urbanisation anarchique.
Cette présente analyse qui reprend les grands axes que j’ai tracées dans une contribution parue en 2004 (1) que certains redécouvrent en 2018, pose la problématique d’une nouvelle politique de l’aménagement du territoire inséparable d’une réelle décentralisation selon une vision stratégique, évitant des replâtrages de court terme, politique ayant des incidences économiques, sociales et sécuritaires.
La gestion non maîtrisée des banlieues, comme dans le vieux Mexico que j’ai eu l’occasion de visiter (insécurité totale dès 20h) et même en France, devrait faire réfléchir nos autorités.
1-Pour une nouvelle politique de l’aménagement du territoire
1.1-L’Algérie s’étend sur 2 380 000 km2 dont 2100 000 km2 d’espace saharien. La densité paraît faible, mais les 9/10e de la population sont concentrés sur les terres du Nord. Sa situation géographique est stratégique : en face de l’Europe, côtoyant la Tunisie, l’Atlantique Maroc/Mauritanie, la Libye, le Mali et le Niger comme point d’appui de l’Afrique sub-saharienne. L’objectif stratégique horizon 2010/2020 est d’éviter que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire et avoir une autre vision de l’aménagement de l’espace. Nous assistons, hélas, à des constructions anarchiques avec le manque d’homogénéisation dans le mode architectural, un taux accéléré d’urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec le risque de l’extension de nouvelles formes de violence à travers le banditisme et de maux sociaux comme la drogue et la prostitution.
Il suffit de visiter toutes les wilayas, sans exception, pour constater des routes, des infrastructures et des ouvrages d’art qui ont coûté à la collectivité nationale plusieurs dizaines de milliards de centimes inutilisables en cas d’intempéries, des routes éventrées à l’intérieur des villes où la plupart des autorités se complaisent uniquement aux axes principaux visités par les officiels, des ordures qui s’amoncellent depuis des années à travers la majorité des quartiers périphériques, des logements que les citoyens refont, surtout les secondes œuvres avec des VRD non finies, des espaces verts qui font place à du béton, la construction d’unités dangereuses et polluantes près des villes, des sites touristiques, près des côtes, contenant plusieurs centaines de lits et qui déversent à la mer leurs déchets sans compter le manque d’eau pour l’hygiène. Cela témoigne d’actions urgentes dont la responsabilité ne concerne pas seulement un département ministériel, mais à la fois plusieurs ainsi que les collectivités locales. Cette situation peut avoir des conséquences très graves, avec la « bidonvilisation » sur le plan sécuritaire qui a un coût.
1.2.-De ce fait, l’aménagement du territoire plaçant l’homme pensant et créateur au cœur du développent doit réaliser un double objectif, d’une part, une société plus équilibrée, plus participative et solidaire, d’autre part, la croissance au service de l’emploi. L’aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu’elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l’espace où elles sont installées. Il ne s’agira pas d’opposer le rural à l’urbain, les métropoles aux provinces, les grandes villes aux petites mais d’organiser leurs solidarités à travers des réseaux rénovés qui tiennent compte des mutations, tant internes que de l’économie mondialisée en favorisant une armature urbaine souple à travers les réseaux par la fluidité des échanges, la circulation des hommes, des biens, les infrastructures et les réseaux de communication.
1.3-Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous-systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions, évitant le gigantisme. Elle devra forcément se situer dans le cadre d’une stratégie plus globale dépassant l’espace Algérie. Cela doit inclure la protection de l’environnement, impliquant un nouveau modèle énergétique pour un développent durable qui protège les générations futures, pour éviter la destruction dans un avenir proche de notre planète, et qui avec l’eau (cet or bleu) seront l’enjeu du XXIe siècle. Cette action devra s’inscrire dans le cadre de l’espace africain, maghrébin, et euro-méditerranéen qui est l’espace naturel de l’Algérie. Aussi, si la politique méditerranéenne est une évidence, il s’agit pour les riverains sud-sahariens, ainsi qu’à nos frontières, d’imaginer ensemble des zones tampons de prospérité et non voir ces zones sous des angles négatifs, ce qui accroît les tensions comme en témoigne cet exode massif vers l’Europe.
2- Pour des collectivités locales manager
2.1-Le siège de la commune est le premier repère pour le citoyen dans son jugement sur la grandeur de l’Etat républicain. Il est bien évident que l’Etat de délabrement de la bâtisse, l’absence d’entretien des espaces ouverts, la tenue des fonctionnaires, le mauvais accueil, comme c’est souvent le cas, ne peuvent que renvoyer à une image négative de la perception de la notion d’Etat. Dans la pratique quotidienne, que ce soit pour un extrait de naissance ou tout autre document, le citoyen mal renseigné sur ses droits et livré à lui-même dans le labyrinthe de l’administration est ballotté de service en service. Quand ce type d’attitude devient répétitif, cela génère une forme de divorce entre le citoyen et l’Etat et souvent une perte de confiance pas seulement imputable aux présidents d’APC dans la mesure où actuellement le véritable pouvoir local est concentré aux mains des walis et chefs de daïra.
Cellule de base par excellence, la commune algérienne est régie par des textes qui ne sont plus d’actualité, autrement dit frappés de caducité. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures, est une manière pour l’Etat, de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale. L’Etat soucieux du regain de sa crédibilité devra se manifester par sa présence et sa disponibilité d’écoute au niveau des communes, voire des quartiers et centres ruraux, où ses actions doivent être les plus perceptibles.
La commune devra donc assurer sa mutation profonde, pour devenir un espace de convivialité qui intègre dans sa démarche l’action citoyenne du mouvement associatif. Après la “commune providence” du tout-Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale pour une valeur ajoutée réelle et non se limiter à ces faux emplois où l’on refait annuellement les trottoirs. C’est dans ce contexte que la commune doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les bonnes volontés et initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. L’Etat doit se retirer progressivement de la gestion directe de l’économie, pour se consacrer aux missions stratégiques d’animation, d’organisation et de régulation du développement économique et social du pays.
2.2-En tant que responsable de la politique économique et animateur-régulateur, l’Etat aura vraisemblablement à se dessaisir des charges d’administration en rapport avec la gestion des territoires des communes, pour permettre à ces dernières d’assumer pleinement leurs missions de managers de leurs espaces respectifs. A la commune pourront sans doute échoir les charges de production des services publics de base, de l’organisation du cadre de vie et de l’aide sociale de proximité. La commune devra être ainsi un service public de proximité, nécessairement attentif à l’écoute du citoyen et du mouvement associatif. En relation avec la responsabilité d’administration de son territoire, la commune aura aussi la charge directe de promouvoir et d’animer le développement de cet espace. Ce volet concerne certainement la mission la plus novatrice qu’aura à assumer la commune, dans la mesure où elle aura à s’assimiler à une entreprise rompue aux techniques modernes de management et capable de générer des richesses à partir de la valorisation de ses ressources propres pour le financement de son développement économique et social. C’est à la commune que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement.
2.3-Le double objectif recherché serait la création de ressources fiscales et la promotion de l’emploi de proximité. Avec le nouveau système politique, la commune aura par ailleurs et naturellement à se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité, qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. Selon les missions évoquées, la commune doit se préparer à une mutation radicale devant faire passer du stade de collectivité locale providence gestionnaire des concours définitifs de l’Etat, à celui de collectivité entreprise responsable de l’aménagement, du développement et du marketing de son territoire. C’est que cette mutation soulève évidemment la question des moyens et surtout celle de leur optimisation. La réforme de la fiscalité locale nécessaire devra prendre en charge les ressources propres dont doivent disposer les communes, selon les compétences qui leur seront attribuées, ainsi que les péréquations qui permettront d’aider les moins favorisées d’entre elles. L’image de la commune-manager repose sur la nécessité de faire plus et mieux avec des ressources restreintes, évitant le gaspillage ce qui exclut obligatoirement le pilotage à vue, au profit des actions fiabilisées par des perspectives de long terme d’une part, et les arbitrages cohérents d’autre part, qu’implique la rigueur de l’acte de gestion.
En résumé, l’ensemble des actions citées précédemment implique d’une part, la restructuration de la société civile locale comme puissant réseau de mobilisation et d’intermédiation (dialogue et toujours le dialogue ) , d’autre part, le passage de l’Etat de “ soutien contre la rente” à l’Etat de droit basé sur le travail et l’intelligence. .C’est un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l’Etat. C’est le principal défi du renouveau des collectivités locales, non selon une vision administrative bureaucratique autoritaire, mais selon une démarche véritablement démocratique, renvoyant à la refondation de l’Etat algérien fondée sur une véritable décentralisation à ne pas confondre avec déconcentration vision bureaucratique centralisatrice du passé.
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(1)-Voir l’ouvrage collectif pluridisciplinaire sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul « réformes et démocratie Casbah Editions (2004 Alger 500 pages) ou un chapitre a été consacrée à ce sujet