Le droit peut parfois sembler injuste. Pour créer des nécessaires équilibres, il peut en arriver à des prescriptions qui laissent place à une incompréhension, parfois douloureuse comme le sentiment d’injustice.
C’est surtout dans les affaires pénales que la problématique est la plus sensible y compris dans celles qui nous sembleraient futiles et anecdotiques. Ainsi, la lecture d’un petit texte a réveillé ma mémoire sur un curieux événement survenu à Oran en 1967.
Johnny Halliday, déjà une star à cette époque, se produisait au cinéma Régent d’Oran. Le lendemain ou la période antérieure au récital, la mémoire se questionne, la nouvelle s’est répandue comme un nuage de sauterelles sur un champ de blé, de bouche à oreille, de quartier à quartier, de café à café. On aurait volé la guitare de Johnny.
J’ai lu dans ce même papier que la guitare aurait été finalement retrouvée et que la presse en aurait confirmé les faits mais d’autres démentent fermement. Au fond, qu’importe la vérité factuelle, je ne la connais pas, c’est la remarque de certains qui m’intéresse, « de toute façon, il y a prescription ».
Voilà notre mot d’aujourd’hui. Le code pénal de la quasi-totalité du monde prévoit un délai de prescription, c’est-à-dire un temps au-delà duquel s’éteignent les poursuites judiciaires.
Le vol de la guitare de Johnny relevait du délit, le code pénal algérien prévoit un délai de prescription de trois ans sauf en cas d’une relance de l’affaire. Les faits sont donc couverts depuis longtemps par la prescription.
L’affaire semble tout à fait accessoire, futile, et d’ailleurs le chanteur avait-il porté plainte ? Plus tard une autre de ses guitares aurait été perdue ou volée lors d’un concert à Bordeaux.
Mais imaginons tous les autres cas de personnes, célèbres ou inconnues, aisées ou non, qui déplorent le vol d’un objet de valeur, pécuniaire ou sentimental. Trois ans, ce n’est rien, surtout si le voleur finit par être découvert et pire, qu’il en fasse un acte de grande fierté, sachant son impunité. C’est tout simplement intolérable pour nous tous.
Laissons l’affaire de la guitare qui m’a servi de déclencheur de la réflexion et venons-en au plus grave, le crime. Qui peut nier en ce cas l’atroce douleur des proches ? Encore plus si c’est un enfant.
Leur pensée est déjà torturée en sachant que le criminel va un jour sortir de prison puisque la perpétuité réelle n’existe pas en droit. Elle l’est davantage pour le crime prescrit, en général dans une période de vingt à trente années selon le pays si l’affaire n’est pas relancée par un acte judicaire. Pour l’Algérie le code pénal prévoit dix ans.
Même pour trente ans, le délai est encore trop court pour les adultes, à fortiori pour les personnes plus âgées, ce qui est le devenir de tous les proches de la victime. Pour ceux-là, trente ans, c’est comme si c’était hier après-midi, la blessure est toujours ouverte.
Mais alors pourquoi le droit, censé édicter les règles sur lesquelles se fondent les décisions des instances judiciaires, permet une telle chose ? Condamnation à perpétuité pour la douleur des proches, promesse d’une seconde vie pour les criminels ou impunité par la prescription.
Deux principales explications peuvent être avancées. La première est que la société doit être apaisée dans son passé après un délai d’au moins une à deux générations. Si tel n’était pas le cas, elle nourrirait une haine et des suspicions permanentes. Les nouvelles générations ne doivent pas ressentir les rancœurs passées car leur vie doit être promise par leur propre jugement.
La seconde explication est la possible erreur car comment juger une personne après tant de temps. Certes les nouvelles techniques scientifiques sont plus probantes de nos jours mais qu’en est-il de la fiabilité des témoignages ?
Quant aux jugements déjà prononcés sans la présence du présumé coupable, nous en revenons à la première explication.
Pour conclure je dois faire un aveu. S’il m’est arrivé de chaparder des gâteaux dans le frigidaire, je ne savais même pas jouer du pipo, alors qu’en aurait-il été pour une guitare qui égalait presque mon poids frêle des douze ans ?
Ne cherchez donc pas, ce n’est pas moi, le voleur de la guitare de Johnny. Puis, à 68 ans, il y a prescription. En plus, Johnny s’en est allé.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité