21 décembre 2024
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La réforme bancaire : par où commencer ?

DECRYPTAGE

La réforme bancaire : par où commencer ?

De retour au cabinet de « la ministre déléguée à la réforme bancaire », après une période de nomadisme dans différents postes du secteur, il me souvient avoir recherché dans mes archives personnelles, un document relatif à la réforme bancaire, que j’avais soumis, à l’époque, au Premier ministre, occupant le poste de Directeur, dans les années 80. Je fus stupéfait, moi-même, de l’actualité des réformes contenues dans ce document, trente ans après les avoir préconisées (1) !

A l’heure où, certaines voix s’élèvent, dans diverses tribunes, pour proposer un canevas de réformes du secteur, il me semble utile de rappeler, aux uns et aux autres, un certain nombre de vérités, vieilles de… trente ans mais qui renaissent comme le phénix de la mythologie grecque ! De quelles réformes parle-t-on ? Celles des procédures, du fonctionnement, des ressources humaines, des infrastructures matérielles et immatérielles, de la formation, du perfectionnement et du recyclage, des métiers, de la monétique, des externalités… ? Ou bien, celles, fondamentales, du système monétaire et financier (2), en tant que tel ? Discuter du premier avant le dernier, me semble mettre la « charrue avant les bœufs », dans la mesure où, c’est de la réforme du sommet du système que le reste des organes opérationnels peuvent et doivent dépendre et non le contraire !

Sinon, c’est vouloir construire une bâtisse en commençant par…la toiture ! Autant, l’ingénierie bancaire me semble aisée à acquérir et à mettre en œuvre, s’il y a une volonté politique de le faire, quitte à l’acheter auprès d’institutions monétaires et financières internationales, rompues et performantes dans le secteur, autant celui de la refonte du SMF demeure un volet lourd à négocier, dans la mesure où il impacte l’indépendance du « pouvoir monétaire » (3), compris comme le quatrième, après celui des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, qui doivent être séparés et autonomes, pour ne pas avoir à employer le mot « indépendant » ! A ce niveau, nous sommes au cœur des réformes et aucune échappatoire ne peut venir escamoter le débat ou le diluer dans les réformettes superficielles proposées.

La loi 90-10 a bien tenté de construire un pouvoir monétaire « autonome », synthèse combinatoire entre une totale autonomie et une totale dépendance, à travers divers articles (4) mais force est de constater que les divers amendements qui ont été introduits depuis, n’ont fait que réduire l’autonomie de la Banque d’Algérie vis-à-vis du Ministère des finances, pour ne pas dire la mettre sous sa tutelle.

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Qu’on ne s’y trompe pas, l’histoire évènementielle récente nous montre et nous démontre, chaque jour un peu plus, que la marge de manœuvre de cette « clé de voûte » du système monétaire et financier, est très limitée voire totalement inféodée au pouvoir exécutif (Ministre des finances) qui lui dicte ses instructions (5). Il faut se souvenir que le premier à l’avoir « vampirisée », c’est un ancien Premier ministre, prônant « l’économie de guerre », dans les années 90, qui par un simple article de loi des finances, avait abrogé l’inamovibilité du mandat du gouverneur (6) et les règles devant régir, le niveau des avances de la Banque d’Algérie au Trésor public, ce qui lui a permis, ainsi, de puiser auprès de l’institut d’émission, les Milliards de DA imprimés, sans contreparties réelles, devant asseoir sa politique économique foireuse! Toute la série des autres amendements, ira dans ce sens, d’autant, qu’entre temps, notre pays va connaitre sa première grave escroquerie financière dénommée l’affaire « Khalifa Bank » avec la non moins grave liquidation de cette première banque algérienne à capitaux privés dans laquelle la Banque d’Algérie et sa commission bancaire notamment chargée du contrôle, étaient en première ligne !

La confusion des prérogatives, établies par les différents amendements, de chacun des deux acteurs, le Ministère des finances et la Banque d’Algérie, va finir par tétaniser toutes les mesures et les instruments capables de contenir les dégâts, comme cela existe dans tous les pays au monde qui ont subi de pareils séismes financiers (USA, Japon, France…).

Enfin, la boucle a été bouclée, lorsque qu’une « vague libérale » a atteint nos rivages et qu’elle a voulu imposer la privatisation du secteur monétaire et financier, non pas par l’ouverture du secteur aux capitaux privés nationaux et étrangers (7) mais par la cession des actifs des banques publiques et notamment par la privatisation du CPA (8). Usant de tous mes modestes moyens et de mes capacités de nuisance, pour stopper cette opération, qui a failli se concrétiser, j’avais proposé, entre autres, la fusion des toutes les banques publiques autour de deux institutions pivots (holding), afin de mieux maitriser les trois métiers fondamentaux des banques, à savoir la mobilisation de l’épargne, l’octroi des crédits et le conseil, l’intermédiation monétaire et financière, devant être régulée et contrôlée, de jure, par la Banque d’Algérie, conformément à la loi, « clé de voûte » du SMF.

A l’évidence, les propositions de réformes structurelles, à introduire, n’ont pas emporté l’assentiment des pouvoirs publics du moment et des « retouches superficielles » ont été privilégiées, dans le corporate, pour organiser une fuite en avant et permettre l’organisation de la rapine dans ce secteur stratégique qui a un impact direct sur les entreprises publiques et privées et sur les finances extérieurs du pays. Les résultats de cette politique sont aujourd’hui connus et les dangers qu’ils font peser sur notre pays, sont explicites, ce qui a fait dire à l’ex-ministre des finances, qui venait de la découvrir, « que les banques publiques sont un danger pour la sécurité nationale »… Il fut limogé, par celui qui l’a ramené, peu de temps après ! Mais les forces occultes qui gravitent autour du secteur sont restées intactes, toujours présentes, malgré le départ « en vacances » pour quelques années, de leurs parrains. Ils distillent toujours le même refrain qui consiste à dire qu’il faut réformer les banques (entendre les banques publiques), à l’aide d’un traitement de choc, constitué d’« aspirines », alors qu’ils savent ou pas (c’est encore plus grave) que la réforme fondamentale est systémique ou ne l’est pas ! Introduisez les meilleurs managers même achetés à l’étranger (9), les meilleurs logiciels, le réseau le plus dense, les instruments et outils les plus sophistiqués, les contrôles les plus rigoureux, les salaires les plus attractifs, les mesures prudentielles internationalement en vigueur (Bâle I, II, III), les lois pénales les plus répressives… n’aboutiront strictement à aucun résultat tangible, sauf à tromper la galerie et à l’amuser ! De même, que mobiliser l’Association des banques et établissements financiers (ABEF), longtemps entre les mains d’un secrétaire général, « analphabète », dans le domaine mais néanmoins devenu, Ministre des finances éphémère, est une hérésie innommable car telles ne sont pas ses prérogatives.

Aussi, lorsque l’on écoute des prestidigitateurs experts égrainer leur potion magique pour réformer le système bancaire, on ne peut que se demander dans quel monde ils évoluent ou pour quels intérêts ils roulent car à l’évidence, le véritable problème est à mille lieux de celui qui semblent couvrir.

Proposer de fausses solutions, sous le sceau de l’expertise, me semble être une forfaiture plus condamnable que celle du silence complice sur la réalité du terrain. Il faut donc courageusement aller au bout de son raisonnement et affirmer clairement que le problème n’est certainement pas technique mais fondamentalement de pouvoir et qu’il ne sert à rien de tenter d’aborder le problème technique sans avoir solutionné préalablement, celui transcendant.

A cet endroit également, il faut aller jusqu’au bout des propositions concrètes, en identifiant les lois, les décrets, les arrêtés, les avis et circulaires, qui régissent la profession et qui permettent l’opérationnalité de tout le système et sa cohérence interne et externe. Il y a également lieu de mettre en œuvre les protections nécessaires (10), dans l’exercice de leur fonction respectives, de tous les acteurs, à tous les niveaux décisionnels, depuis le gouverneur de la Banque d

’Algérie, en passant par le premier responsable des institutions monétaires et financiers, jusqu’au dernier des opérateurs, derrière le guichet ! C’est à cette condition sine qua non que notre système monétaire et financier pourra être mis sur un sentier vertueux et accomplir son rôle pleinement de financement de l’économie, de mobilisation de l’épargne et de conseil aux entreprises. Pour l’heure, force est de constater que l’on s’achemine vers des solution de changements de personnes et non de système, ce qui va encore enfoncer le système dans les polémiques stériles et des futurs scandales.

M.G.

Notes

(1) Comme Président de la « commission de réforme organique » du secteur des finances, je m’étais farouchement opposé à la création ex nihilo, de nouvelles banques (BADR et BDL) et de nouvelles compagnies d’assurance (CAAT), ce qui m’a valu les foudres du Ministre de la planification et de l’aménagement du territoire, également Président de la « commission nationale de la restructuration organique » des entreprises publiques. Je fus expulsé violement de la salle de réunion, dans laquelle, je devais exposer la vision du ministère des finances, sur la restructuration du secteur.

(2) Au sens classique et académique du terme le SMF, rassemble toutes les missions et les organisations, organiquement hiérarchisées, qui interviennent dans le processus du financement d’une économie, tant au niveau national que celui international. La pièce maitresse de cet édifice, c’est la loi 90-10 relative à la monnaie et au crédit, qui n’est arrivée qu’en 1990 et n’a vu le « jour aux forceps », qu’après la nouvelle constitution de 1989, celle d’avant interdisait les éléments essentiels de sa construction.

(3) De par le monde, chaque pays a organisé l’indépendance du « pouvoir monétaire » selon sa propre tradition et son parcours historique. Un large spectre existe aujourd’hui, depuis une indépendance à une dépendance totale. Ainsi, La Réserve fédérale (officiellement Federal Reserve System (Federal Reserve ou Fed) est la banque centrale des États-Unis. Elle est créée en décembre 1913, par le Federal Reserve Act dit aussi Owen-Glass Act, à la suite de plusieurs crises bancaires, dont la panique bancaire américaine de 1907. Son rôle évolue depuis et elle renforce son indépendance lors de l’instabilité monétaire des années 1975 et 1985. Le Congrès des États-Unis définit trois objectifs de politique monétaire dans le Federal Reserve Act : plein emploi, stabilité des prix, et taux d’intérêt à long terme modérés. Les deux premiers sont souvent appelés le « double objectif » ou « double mandat » de la Fed. Outre la politique monétaire, la Fed est maintenant chargée de superviser et réguler le système bancaire, de maintenir la stabilité du système financier et d’offrir des prestations financières aux organismes de dépôt, au gouvernement fédéral, et aux institutions financières étrangères. Elle se compose d’un conseil des gouverneurs, du Federal Open Market Committee (FOMC), de douze banques régionales (Federal Reserve Banks), des banques membres et de plusieurs conseils consultatifs. C’est une banque centrale indépendante : ses décisions ne sont pas sujettes à l’autorisation du président des États-Unis ou d’une autre partie du gouvernement fédéral et les mandats des gouverneurs sont beaucoup plus longs que ceux des élus fédéraux mais les membres du bureau des gouverneurs, le président et le vice-président, sont nommés par le Président des États-Unis et confirmés par le Sénat. Le gouvernement nomme également les hauts fonctionnaires. Toutes les banques commerciales autorisées à exercer en dehors d’un seul État sont obligatoirement membres de la Réserve fédérale régionale et détiennent des parts dans celle-ci.

La Banque d’Angleterre a été fondée en 1694 sous le nom de The Governor and Company of the Bank of England, son capital initial était fixé primitivement à 1,2 million de £, son capital a été nationalisé le 1er mars 1946, puis en 1998, elle devient un organisme public indépendant, uniquement contrôlé par le Treasury Solicitor’s Department (TSol). La Banque d’Angleterre a pour rôle de promouvoir et de maintenir la stabilité monétaire et financière du Royaume-Uni, de conduire la politique de change, d’assurer la distribution des livres sterling en Angleterre et au Pays de Galles et de jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort » auprès des banques commerciales.

La Banque fédérale d’Allemagne (en allemand Deutsche Bundesbank) est la banque centrale de la République fédérale allemande et à une indépendance relative. Son statut actuel date de la loi du 26 juillet 1957 (Bundesbankgesetz) entrée en vigueur le 1er août de la même année. Comme conséquence de l’intégration de la Deutsche Bundesbank dans le système des banques centrales européennes, son organisation a été modifiée par un amendement du Bundesbank Act qui a pris effet le 30 avril 2002.

La Banque de France (BDF) est la banque centrale de la France. Il s’agit d’une institution bicentenaire, de capital privé lors de sa création le 18 janvier 1800 sous le Consulat, puis devenue propriété de l’État le 1er janvier 1946 lors de sa nationalisation par Charles de Gaulle (loi du 2 décembre 1945). La Banque de France est une institution indépendante, membre de l’Euro système (ainsi que du Système européen de banques centrales) depuis le 1er janvier 1999. Ses trois grandes missions sont la stratégie monétaire, la stabilité financière et les services à l’économie (traitement du surendettement, droit au compte, cotation des entreprises, médiation du crédit, accompagnement des TPE, enquêtes de conjoncture, éducation financière…). Institut d’émission distribuant directement des crédits à l’économie au début du XXe siècle, la Banque a progressivement vu ses responsabilités s’élargir et évoluer notablement pour aboutir dans les missions modernes d’une banque centrale que lui a confiées le législateur en 1993, en même temps que son indépendance. La loi du 4 août 1993 marque un tournant décisif dans l’histoire de la Banque de France. À compter du 1er janvier 1994, la loi no 93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France, interdit à celle-ci dans son article 3 d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publiques, de même que l’acquisition de titres de leur dette.

(4) L’inamovibilité du mandat du gouverneur et des membres du Conseil de la monnaie et du crédit, durant leur mandat (cinq ans), le niveau des avances de la Banque d’Algérie au Trésor public, entres autres.

(5) La dernière décision en date est relative au « financement non conventionnel » que la Banque d’Algérie a dû accepter, sur instructions du pouvoir exécutif, après que des soi-disant « experts » l’eussent recommandé, sans en assumer la paternité ! Ce financement « SNP » a été mis en œuvre et a atteint quelques 6.000 Milliards de DA, pour l’instant !

(6) Il en a profité pour installer un de ses proches à la tête de cette institution et d’évincer celui en cours de mandat et de mobiliser des ressources fictives après de la Banque d’Algérie, pour « financer » son hasardeuse « économie de guerre ».

(7) Il y a sur la place financière de notre pays une trentaine de banques et d’institutions financières étrangères, ou à capitaux mixtes, sans que leur niveau de financement de l’économie ne dépasse les 15%, entièrement dédié aux opérations de commerce extérieur. Quant aux banques privées à capitaux nationaux, elles ont été toutes dissoutes.

(8) L’opération de cession a été stoppée, par un coup de fil du Président de la république, à la Ministre déléguée, la veille de la cérémonie, alors que tous les patrons des grandes banques françaises, avaient effectué le voyage pour y assister ! Pour justifier cet acte le séisme financier des « Subprimes », avait été invoqué, alors que notre place financière n’était aucunement impactée.

(9) En voulant améliorer la gouvernance des banques publiques et de leur encadrement, le Ministre actuel des finances semble oublier qu’il a été tour à tour, longtemps, PDG de la BEA, puis Gouverneur de la Banque d’Algérie !

(10) Ces protections sont multiples et variées, en passant par les textes législatifs et réglementaires mais également par la formation, le recyclage et le perfectionnement, les salaires, les primes et les logements, de manière à minimiser les actes délictueux.

 

Auteur
Dr Mourad Goumiri, professeur associé

 




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