28 octobre 2024
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La « réislamisation » rampante de la société algérienne

« Tassirt ma tuɣ-itent di rryac, ula i as-d-xedmen iɣuraf. Un moulin qui se prend dans les pales, n’a rien à attendre des meules ». Proverbe kabyle

Ma grand-mère, m’a raconté que Cheikh Mohand, grand sage soufi de notre région, observait un porteur d’eau sur le marché. Et cela se passait bien avant l’arrivée des Français sur notre sol insistait-elle. Ce dernier, en échange de son service, recevait des pièces de monnaie.

Pour le Cheikh, ce geste, bien que banal en apparence, était le présage de changements profonds et inquiétants. À ses yeux, il symbolisait une rupture avec les traditions anciennes, où l’entraide et la solidarité prévalaient sur les transactions monétaires, valeurs essentielles à cette époque.

Cette vision se serait concrétisée avec l’arrivée du XIVe siècle de l’Hégire, une période qui a marqué le début d’une domination étrangère sur le monde musulman. Pour beaucoup, dont mon aïeule, cette occupation était perçue comme une punition divine, éloignant la société des valeurs fondamentales de l’Islam. Ce récit familial souligne l’importance des traditions et de la mémoire collective dans l’analyse de notre histoire contemporaine.

Cette anecdote illustre la pensée de Maurice Halbwachs, sociologue français, qui souligne dans son ouvrage « La mémoire collective » (1950) l’importance des cadres sociaux dans la construction et la transmission de la mémoire : « Ce n’est pas dans la mémoire, c’est dans le rêve que l’esprit est le plus éloigné de la société ».

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Contexte historique de la faute originelle

La colonisation française, qui débuta en 1830, a provoqué une rupture radicale des pratiques sociales et culturelles algériennes. Pierre Nora, historien français, affirme que « la mémoire est un acteur de l’histoire ».

En effet, selon Benjamin Stora (2001), « La colonisation a introduit un nouveau mode de gouvernance qui a bouleversé les structures traditionnelles, créant une fracture profonde dans la société algérienne dont les effets se font encore sentir aujourd’hui » Les institutions coloniales ont imposé des lois étrangères, contribuant à l’érosion des valeurs islamiques qui structuraient la vie communautaire.

Le sociologue Pierre Bourdieu (1998) note que la colonisation a non seulement déraciné les populations, mais a également engendré une crise de légitimité des savoirs. Le système éducatif français a désarticulé les savoirs traditionnels et introduit une culture de consommation et de compétition, éloignant les valeurs prédominantes à cette période.

Bien que la modernité puisse offrir des innovations, elle a créé, aux yeux des populations conquises, aussi un sentiment de perte face à l’effondrement des systèmes de valeurs traditionnels. Le chercheur et critique culturel Kadri (2014) souligne que « la modernité est souvent perçue comme une menace contre les valeurs traditionnelles, créant un vide identitaire ».

Ce vide se manifeste dans les rapports sociaux, où les liens communautaires se désagrègent au profit d’une individualisation croissante. Le chaabi, la forme musicale populaire par excellence, profondément enracinée dans la culture algérienne, illustre cette nostalgie d’un monde révolu.

Ancrée dans les traditions orales, cette musique évoque des thèmes universels tels que la résistance, l’amour et la perte. Djamila Amrane, anthropologue et spécialiste de la culture algérienne, décrit le chaabi comme « le cri de l’âme algérienne », une expression authentique de la douleur de la perte et du désir de retrouver un équilibre perdu. Cependant, la modernité a également transformé le chaabi, certains artistes intégrant de nouveaux styles, ce qui suscite des controverses parmi les puristes.

Comme le souligne Ahmed Malek, compositeur algérien renommé, « la musique évolue avec son temps ; elle doit refléter les luttes et aspirations des générations actuelles tout en préservant l’essence de notre héritage culturel » L’éloignement de l’esprit de l’Islam pour les islamistes a été vu comme une distorsion des valeurs traditionnelles.

Le retour à l’explication de cette réalité par la faute originelle a été exacerbée durant les années 90. Mohamed Arkoun, penseur et historien de l’Islam, analyse ce phénomène dans son ouvrage « Humanisme et Islam : combats et propositions » (2005) : « La modernité a engendré une crise de sens profonde, obligeant à redéfinir l’identité musulmane dans un contexte de globalisation et de remise en question des valeurs traditionnelles ».

Malek Haddad, poète et romancier algérien, évoque avec éloquence ce dilemme dans son roman « Le Quai aux Fleurs ne répond plus » (1961) : « Nous sommes une génération de l’entre-deux, tiraillée entre un héritage pesant et un désir d’appartenance à un monde en mouvement perpétuel ».

Dans le discours islamiste, la notion de châtiment divin occupe une place centrale. Abdelwahab Meddeb, écrivain et islamologue tunisien, explore cette thématique dans son ouvrage « La maladie de l’Islam » (2002) : « La peur du châtiment divin et des souffrances dans l’au-delà est instrumentalisée pour maintenir un contrôle social et moral sur la population, freinant toute tentative de réforme ou de modernisation ».

La réislamisation s’appuie sur la notion de faute originelle, favorisant un retour aux valeurs islamiques jugées essentielles pour une rédemption collective. Ce discours, porté par le Front islamique du salut (FIS), plaçait la société dans une position de culpabilité par rapport à ses choix modernes, exacerbant les tensions sociales. Cette réislamisation se traduit par une valorisation des pratiques religieuses et une montée des conservatismes, ce qui peut sembler bénéfique pour certains en réponse à la crise identitaire.

Cependant, elle a également polarisé la société algérienne. Entre ceux cherchant à revenir aux valeurs traditionnelles et ceux prônant une approche moderne. L’histoire récente, marquée par la violence des années 90, rappelle les conséquences tragiques d’une quête de purification morale.

Les appels à la réislamisation ont mené à des conflits ouverts, alimentés par des frustrations sociales et économiques. La réislamisation entrave aussi l’innovation et la créativité, essentielles pour le développement d’un pays.

En enfermant la société algérienne dans un discours de culpabilité, les voix dissidentes et les nouvelles idées sont étouffées, entraînant un désengagement des jeunes, qui se sentent contraints de se conformer à des normes non représentatives de leurs aspirations et surtout à un malaise profond qui a poussé des milliers de jeunes à tenter la traversée salvatrice de l’autre côté de la méditerranée.

L’idée sous-jacente à la mobilisation de la notion de faute originelle par l’islam politique en Algérie repose effectivement sur des concepts de culpabilité, de châtiment divin, et de peur des souffrances dans l’au-delà. Cette dynamique se manifeste à travers plusieurs dimensions : concept de châtiment divin

Dans le discours islamiste, Dieu est souvent présenté comme un juge juste qui châtie les coupables pour leurs transgressions et leur éloignement des préceptes islamiques. Cette perception de la divinité renforce l’idée que les souffrances et les crises vécues par la société algérienne sont des conséquences directes d’un éloignement des valeurs religieuses.

Les leaders islamistes utilisent ces croyances pour justifier un retour urgent aux pratiques religieuses et à la moralité islamique, considérant que seule une telle rédemption peut éviter le châtiment divin.

Peur des souffrances dans l’au-delà

L’exégèse islamique et les textes canoniques décrivent souvent l’au-delà comme un lieu de rétribution, où les actions d’une personne seraient jugées.

Les descriptions des peines réservées aux pécheurs, telles que celles trouvées dans le Coran et les hadiths, sont souvent très graphiques et peuvent susciter une peur profonde. Cette peur de la souffrance éternelle dans l’au-delà est utilisée pour inciter les croyants à respecter les valeurs islamiques et à s’engager dans des comportements conformes à la foi. En ce sens, la menace d’une punition dans l’au-delà devient un puissant moteur de motivation morale et sociale.

Contrôle social par la culpabilité

La notion de culpabilité est également utilisée comme un mécanisme de contrôle social. En faisant appel à la peur de la désobéissance et des conséquences qui en découlent, l’islam politique renforce son autorité et son influence sur la population.

Ce processus de culpabilisation amène les individus à se conformer aux normes religieuses par crainte des sanctions divines, créant ainsi une dynamique où la foi devient un outil de régulation sociale.

Récit de la rédemption

Parallèlement à la peur des souffrances, l’idée de rédemption joue un rôle crucial. Les discours islamistes insistent sur la miséricorde d’Allah, soulignant que même ceux qui ont péché peuvent être pardonnés s’ils se repentent sincèrement et retournent sur le droit chemin. Ce message d’espoir, couplé à la peur des châtiments, constitue une stratégie efficace pour mobiliser les foules et les inciter à s’engager dans un retour aux valeurs islamiques.

Construction d’une identité collective

Enfin, cette dynamique contribue à la construction d’une identité collective forte, où le respect des valeurs islamiques devient un moyen de préserver l’honneur et la dignité de la communauté.

L’idée d’un Dieu qui châtie les coupables et qui récompense les justes est intégrée dans la narration collective, renforçant le sentiment d’appartenance à une communauté unie par la foi et la moralité. Est-il possible de sortir de cette impasse, ce regard passéiste et mortifère ? Pour sortir de cette impasse, une déconstruction nietzschéenne de la faute originelle est nécessaire.

Friedrich Nietzsche, dans La Généalogie de la morale, remet en question les valeurs établies et les récits de culpabilité qui pèsent sur les sociétés. « Il n’y a pas de faits moraux, seulement une interprétation morale des faits », écrit-il.

Une remise en question des dogmes et des croyances établies pourrait ouvrir de nouvelles voies pour la société algérienne. Celle de la modernité. Mais pour cela, il faudrait interroger l’islam et notre rapport au sacré. Ce qui est une autre question dans une société tournée vers l’au-delà et la place au paradis….

Said Oukaci, chercheur

Bibliographie Amrane, D. (s.d.). Travaux sur la culture algérienne et le chaabi. Arkoun, M. (2005). Humanisme et Islam : Combats et propositions. Paris : Vrin. Bourdieu, P. (1998). Travaux sur la colonisation en Algérie. Haddad, M. (1961). Le Quai aux Fleurs ne répond plus. Paris : Julliard. Halbwachs, M. (1950). La mémoire collective. Paris : Presses Universitaires de France. Kadri (2014). Travaux sur la modernité et les valeurs traditionnelles en Algérie. Malek, A. (s.d.). Compositions et réflexions sur la musique algérienne. Meddeb, A. (2002). La maladie de l’Islam. Paris : Seuil. Nietzsche, F. (1887). La Généalogie de la morale. Leipzig : C. G. Naumann. Nora, P. (s.d.). Travaux sur la mémoire et l’histoire. Stora, B. (2001). Travaux sur la colonisation et l’histoire algérienne.

1 COMMENTAIRE

  1. Si les gens qui suivent tous ces tartuffest obtiennent un résutlat positif, un meilleur mode de vie, je leur souhaite bonne chance.
    S’ils veulent retourner a el djahilia pendant que ceux qui ont inventé la superstition la fuient, je leur souahite bonne chance.
    Quelque fois l’etre humain doit volontairement souffrir pour comprendre dans la douleur si le chemin qu’il suit est bon ou mauvais. Et c’est ce qui se passe – comme si la decennie noire et 250.000 morts n’a pas suffit !!!!
    Donc souhaitons leur bonne chance et bonne réussite.
    Pendant tout ce temps la, pendant toute cette perte de temps, les dictateurs se rejouissent car plus la populace vit dans l’adoration et la supersitition plus ils perdureront sur leur fauteuil car l’idolatrie et l’ignorance augmenteront en exponentielle. De nouveaux prophetes seront donc nés.
    Alors laissons la société souffrir et creuver de faim si personne ne voudrait utiliser une cellule de son cerveau pour comprende que tout est du khorti.
    Alors bonne chance et crevez si ca vous chante !

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