Lundi 4 mars 2019
La sémantique perverse du message de Bouteflika
Comment, dans ce message express qui intervient au cœur de la protesta estudiantine et plus largement de la rue algérienne, Abdelaziz Bouteflika justifie-t-il son entêtement pour un 5ème mandat décrié aux élections présidentielles du 18 avril prochain ?
De prime abord, il est aisé de constater que, dans ses priorités discursives, telles qu’elles sont agencées dans la structure du texte message censé destiné aux Algériens décidés à faire barrage à sa cinquième mandature, ce n’est justement pas ce cri de révolte, cet appel au désistement pur et simple, (ne fut-ce que pour des raisons de santé), mais son entêtement pour un 5e mandat par lequel il introduit et justifie le message.
Ainsi, le vocabulaire sémantique prioritaire du message de Bouteflika reste-t-il sourd à la colère populaire, au bouillonnement contre son 5ème mandat. Il est tout entier articulé sur les justificatifs grandiloquents de sa candidature à l’élection présidentielle.
Ainsi, en rejetant presque à la fin du texte, les événements des marches protestataires qui ont déferlé à travers tout le pays dès l’annonce de sa candidature, cette missive ne défie pas seulement la protesta populaire, elle lui dénie son existence même. Car, les deux tiers du contenu du message express de Bouteflika ne sont en fait qu’une dithyrambe à sa candidature qu’il considère, dès les premières lignes, non pas seulement comme un acte électoral d’un candidat ordinaire, mais comme une sorte d’une geste prophétique attendue d’un messie répondant enfin « aux sollicitations des (millions) de citoyens, de la classe politique et de la société civile ».
Au moment où gronde la colère et écume la rue algérienne, voilà donc un texte d’un candidat messie qui s’octroie toutes les bénédictions de « millions de citoyens » qu’il rabaisse à des « sujets », « courtiers » collecteurs de signatures, « m’octroyant leur parrainage ». Tenir ce langage, pour un Président ayant cumulé tant et tant de signatures et de mandats à un moment d’une crise politique et institutionnelle sans précédent paraît ubuesque, mais cela illustre, dans la syntaxe du texte, les priorités absolutistes du signataire qui ne déroge pas d’un iota à ses ambitions ici réitérées et assénées pour un 5ème mandat dans le style « maaza wa law ttarat ».
La perversité sémantique du message de Bouteflika paraît grossière mais elle illustre la dangerosité dont elle est capable, dont elle se nourrit dans ses logiques claniques, assassines et meurtrière. Le corrupteur invétéré des discours fleuve improvisés, renverse le rapport de force et ses enjeux. Il utilise à trois reprises l’expression « Je salue » pour faire siennes toutes les parties concernées apparemment antagoniques ou non dans la protesta contre son 5ème mandat et ce, par ordre de priorité, saluant, avec usage de superlatifs surprenants, toutes les parties impliquées sans en évoquer les raisons.
Se situant au-dessus de la mêlée, Bouteflika ne fait pas l’économie de cette dithyrambe hypocrite en saluant « le civisme (des) marches populaires», «le comportement professionnel exemplaire des différents corps de sécurité » mais aussi tous ceux qui ne se sont pas exprimés « nos concitoyens qui ont réservé l’expression de leur opinion pour le jour du scrutin à travers les urnes », autrement dit à « ces millions de citoyens » courtiers de signatures (comme s’il en avait besoin !) auxquels il s’est adressé en initial du texte message.
Mais, si ces différents récepteurs du messages, marcheurs, policiers, électeurs attentistes, ne sont pour Bouteflika que des contingents de circonstances, en revanche, et Bouteflika insiste cette fois, alors qu’elle n’est pas impliquée jusque-là, sur « la mobilisation » et « l’accomplissement » de l’Armée Nationale Populaire.
Que faut-il comprendre par cet appel renforcé par « Je tiens enfin à saluer l’Armée Nationale Populaire… » ? Cette mention spéciale appuyée à l’ANP dans un tel message censé répondre urgemment à une crise institutionnelle suscite nombre d’interrogations.
Rejetant la revendication citoyenne exigeant son retrait des élections présidentielles d’Avril prochain à la fin du texte au profit de considérations électoralistes de son entêtement au 5ème mandat, corrompant la situation explosive actuelle de la rue, Bouteflika dit, enfin, avoir « écouté » et « entendu ». Quoi ? Les mots par lesquels il qualifie le trop-plein de la colère des jeunes, ayant cumulé, durant ses quatre mandats, hogra, « harga » (seul mot qu’il fait sien dans ce message), chômage endémique, suicides, sont condescendants, paternalistes, n’y voyant dans cette déferlante exaspération cumulative qu’un « cri du cœur des manifestants et en particulier des milliers de jeunes qui m’ont interpellé sur l’avenir de notre patrie ». Par le possessif « notre » inclusif, le messager-messie s’implique dans ce « cri de cœur » supposé des « manifestants » qui, dans la même phrase deviennent « des milliers de jeunes », puis « des jeunes ».
Mieux : il s’identifie à leur jeunesse, à leur « cri » par la gloire de la sienne qu’ils n’ont pas et ne peuvent avoir, celle, écrit-il « que j’avais au moment où j’ai rejoint les rangs de la glorieuse Armée de libération nationale ». Voilà que, en fin de 4e mandat, sur le piédestal d’un 5e décrié, se plait à cette comparaison des maquis 54 alors que, fringant, arrogant, sur ses deux jambes, il était en admiration devant un adolescent Hassan Hattab qui ensanglantait les villages du pays lui faisant du « Monsieur Hattab », répétant à l’envi, à l’adresse des terroristes « Si j’avais leur âge, j’aurais fait comme eux » ! Comme quoi, d’un mandat à l’autre, Bouteflika change de maquis comme de chemise.
De 1999 à 2014, c’est l’homme de la concorde civile, de la paix, « paix» qui lui est chère mais qu’il n’évoque pas du tout dans ce message. 2019, et c’est, cette fois la sémantique héroïsante de ce message. Ce n’est pas seulement Bouteflika le candidat au 5ème mandat que l’on peut conspuer, trainer dans la boue, mais « le Moudjahid fidèle la mémoire de nos valeureux martyrs et au serment de tous les compagnons de notre épopée libératrice qui sont encore envie ». Mais, il comprend, astucieux des doubles faces des discours dont il est passé maître, il reprend ancrage dans la réalité politique de l’heure, par cette goguenardise : « je le fais également en tant que Président de La République ».
Les propositions qui sont formulées dans ce texte sont annihilées par une telle sémantique de la perversité nommée Bouteflika…