La chose est entendue : l’Algérie entre dans une nouvelle phase d’autoritarisme exacerbé qu’il faut désormais appeler dictature. Le régime a décidé de refermer la parenthèse ouverte au prix de 500 morts en octobre 1988.
Depuis Spinoza, on sait que la liberté est une illusion. Encore plus chez nous, où elle est même associée à la subversion. Donc être libre de dire son opinion, ou réclamer le libre arbitre de s’affranchir du système qui se conduit depuis l’indépendance comme le tuteur du peuple, c’est porter atteinte aux fondements même de ce système. Alors…
Le vent du boulet
Les immenses manifestations de 2019 ont montré au régime qu’il est diablement impopulaire. Que le peuple, s’il le pouvait, désire plus que tout s’affranchir du système politico-militaire qui dirige le pays depuis l’indépendance et de ses méthodes de cooptation répétée de chefs d’Etat.
L’état profond dans tous ses démembrements a senti tout près le vent du boulet. Ce qui explique sa brutale réaction. L’intronisation d’Abdelmadjid Tebboune par Gaïd Salah et son clan répond à cet agenda qui entend reprendre le contrôle total sur la société. A 77 ans, le locataire de la presidence se découvre des accents de dictateur. Il est vrai que l’heure est à la resurgence des régimes autoritaires un peu partout dans le monde.
Chez nous, plus aucun espace de liberté n’est toléré. Ne supportant plus aucune critique, le régime s’offre d’abord les instruments juridiques idoines. De fil en aiguille, il désigne deux organisations, que pourtant rien ne réunies, comme étant «terroristes » : le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, et l’organisation islamiste Rachad. Il est connu qu’aucune de ces organisations n’a fait usage de quelque violence que ce soit. Qu’importe ! il fallait faire peur aux Algériens et inventer des ennemis pour tenter de faire adhérer l’opinion. Les fariboles et la désinformation sont érigés en doxa.
Répression et étouffement de la dissidence
Pendant les manifestations, les crânes d’œuf du régime assèchent la contestation là où elle était de faible intensité. Autrement dit, les villes de l’intérieur du pays ont été les premières à subir l’intimidation et la répression. Une fois cette première étape terminée, ils s’en sont pris à Alger et les grandes villes, comme Bordj Bou Arréridj, Oran, Constantine, Annaba… Frondeuse, la Kabylie a été laissée en dernier. Le Covid-19 aidant, le régime a là encore eu raison, au prix de centaines d’arrestations, de la mobilisation dans ces villes. L’incendie est éteint mais les braises rougoient de l’intérieur.
Vint ensuite le tour d’Alger. D’impitoyables moyens humains, mobiles et de propagande ont été mobilisés pour d’abord confiner à des périmètres précis les manifestations avant de les interdire. Les blocages des routes, des rues et certaines places comme celle de la Grande Poste ont participé de cette volonté de tuer la dissidence. Outre les moyens sur le terrain, l’état profond s’emploie à étouffer la presse et à surveiller les réseaux sociaux.
Dans la foulée, il charge les médias qui lui sont acquis de s’en prendre aux segments porteurs de la dissidence. Les associations Raj et SOS Bab El Oued sont trainées dans la boue et chargées d’accusations imaginaires avant leur dissolution.
Alger « pacifiée », il restait la Kabylie. C’était le dernier bastion de la contestation populaire. Une vague d’arrestations a été lancée au début de l’été 2021, visant les têtes politiques de la région. Bouaziz Aït Chebib, Hamou Boumedine, Kamira Naït Sid, Abdeslam Abdenour, Abdeslam Abdenour… S’en prendre à ces figures respectées pour leurs engagements politiques pacifiques voulaient dire que personne n’était à l’abri. Le message était clair.
Opportunément, des incendies de forêt particulièrement inédits ont ravagé la Kabylie et certaines régions du pays le même été. Tétanisée, la population de cette région dut s’organiser pour faire face.
Alors même que le feu continuait de faire des victimes, les arrestations se poursuivaient à un rythme soutenu. Les premières lourdes condamnations ont commencé à tomber contre les militants du MAK et ceux de Rachad. Harcèlement judiciaire, multiplications de convocations, arrestations massives, placement en détention systématiques… une justice implacable complète l’arsenal autoritaire.
En ce 22 février 2023, le pays est devenu le contraire de tout ce que revendiquaient les millions de manifestants sortis dans les rues algériennes il y a quatre ans. Un champ d’espoirs ruinés.
Hamid Arab