C’est une belle parole de l’immense poète et écrivain portugais, Fernando Pessoa qui ouvre ce nouveau livre de Brahim Saci, La Traversée. « Je vis toujours dans le présent. Je ne peux pas connaître l’avenir. Je n’ai plus le passé ». Tout un programme pour signifier qu’il est bon de saisir le meilleur dans chaque instant qui arrive.
Le poète tente de dire les métamorphoses du monde, il crie souvent, à la face du cosmos, son malaise ; il essaie également d’amadouer sa solitude.
« Longue est la route, heureusement sous la voûte, étoilée, tu restes à mes côtés, tu es la seule à m’accompagner », écrit Brahim Saci. Agréablement préfacé par le journaliste Hamid Banoune, ce vingtième livre de Brahim Saci prolonge des pérégrinations imposées par ce joueur avide, le temps, pour paraphraser Baudelaire et prend la main du lecteur dans une traversée qui s’avère, au final, salvatrice.
Car l’époque est folle et les jours imparfaits ; comment résister à tant de mensonges, semble se dire au plus profond de lui-même le poète ? « Tu avances, tu t’interroges, dans le doute, tu loges, lorsque tu appartiens au monde, tu n’entends que vacarme à la ronde », confie le poète.
Dans l’oubli, il y a un souffle, un répit avant que le brouillard ne revienne imposer ses lois. « J’écoute la pluie, j’oublie un peu le temps qui fuit, le passé prend un temps, la place du présent », se surprend à dire Brahim Saci.
Il faut, pourtant, « arrêter ces pleurs pour cette fleur qui a quitté le bonheur pour fleurir ailleurs. » L’abîme n’est pas loin, quand les fausses lumières jouent du coude pour déformer la réalité. « J’ai fait la traversée des déserts brûlés, mais en passant parfois par quelques joies », se souvient le poète.
Des mystères, des énigmes, des questionnements déferlent dans ce recueil, à l’image des livres précédents, dans une danse rythmée par la nostalgie, la spiritualité et le courage. L’écho des tavernes n’est pas oublié ; ces espaces permettent le défoulement ; ils sont propices à la création. Le poète insiste sur ce voyage préparé ou pas, sur cette traversée enchantée qui exile au loin l’ennui.
L’essentiel est de laisser ces traces qui témoigneront, demain, de ces passages déroutants, de ces quêtes interminables, de vécus ensoleillés malgré la douleur.
« Pour partager le vers de la beauté, du jardin retrouvé, même sous le spleen, je ne désespère pas, l’espoir est dans chaque pas », tranche Brahim Saci. Se hâter de vivre, prendre entre ses mains ce bonheur encore possible, partir, une nouvelle fois, à la conquête de la sagesse. Oui, la traversée enchantée continue.
Youcef Zirem
La Traversée de Brahim Saci, éditions du Net, 2025