23 novembre 2024
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L’autre 8 Mai 1945

REGARD

L’autre 8 Mai 1945

«J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié»  (Kateb Yacine)

Le 8 mai 1945 eurent lieu des manifestations d’Algériens dans plusieurs villes de l’Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l’émeute. Au matin de ce jour là, quelques dix mille personnes affluent  entonnant l’hymne nationaliste Min Djibalina, avec des pancartes dont « À bas le colonialisme », « Vive l’Algérie libre et indépendante ». Un policier tire sur Bouzid Saâl, jeune scout musulman tenant un drapeau de l’Algérie et le tue devant le café de France. Dans l’après-midi, le mouvement s’étend à Guelma, la manifestation ayant débuté Place des figuiers avec  quelques 1500 à 2 000 jeunes et enfants de Guelma, arborant des pancartes « Vive la démocratie », « Vive l’Algérie »… 

Des émeutes identiques eurent lieu également dans plusieurs villages au nord de Sétif : Kherrata, Amouchas, Beni Aziz (alors Chevreul), Aïn El Kebira (alors Périgot-Ville), El Ouricia et Beni Fouda (Sillègue). La répression par l’armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Pour l’historien Mohammed Harbi : « En attendant des recherches impartiales, convenons avec Annie Rey-Goldzeiguer que, pour les 102 morts européens, il y eut des milliers de morts algériens » (« La guerre d’Algérie a commencé à Sétif » in Le Monde diplomatique, mai 2005). Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces  massacres furent le début de la guerre d’Algérie en vue de l’indépendance. Devant l’inertie  des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l’Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d’appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. 

Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de « guerre d’Algérie » après l’avoir désigné comme étant des évènements d’Algérie jusqu’en 1999). L’action armée intervint à l’initiative des « six historiques » : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M’hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio. 

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La guerre d’Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d’Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ;  des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : « L’Algérie, c’est la France ». Il déclencha la répression dans les Aurès

Du rapt d’avion…

Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l’avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf. Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l’opération d’intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans douté affaiblis par ces purges internes. Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l’Armée de libération nationale algérienne (ALN). 

Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d’un accrochage avec les éléments de l’Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence. En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l’indépendance de l’Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n’est pas anodin de rappeler qu’en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d’autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.

… au GPRA et l’indépendance

        Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d’état-major de l’Armée de libération nationale. En 1960, l’ONU annonça le droit à l’autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d’Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu’il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l’OAS. Près d’un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l’Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d’autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d’Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés. Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des  controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d’autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. 

Outre cette comptabilité macabre, bien d’autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays.  Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu’en Algérie (notamment à Melouza), outre le  nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d’un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l’autre côté le pouvoir militaire (le « clan d’Oujda ») et l’« armée des frontières ») avec à sa tête Houari Boumediene.

A l’indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d’encadrement durant la période coloniale. Ce, outre le conflit avec le Maroc en 1963 (« guerre des Sables ») et plus tard le différend quant à la question du Sahara occidental depuis les années 1970. Ainsi, après plusieurs mois d’incidents frontaliers, il y eut une guerre ouverte (notamment dans la région algérienne de Tindouf) pour s’étendre ensuite à la région de Figuig au Maroc. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) obtint un cessez-le-feu définitif le 20 février 1964, la frontière entre les deux pays étant inchangée. L’armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d’Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l’indépendance, la France continua d’avoir des bases en Algérie.

Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l’ALN au profit de Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l’Algérie indépendante du système colonial  français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l’algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 vit l’accession de Houari Boumediene au pouvoir jusqu’à sa mort en décembre 1978. La politique suivie fut ce qui a été qualifié par le régime en place de « socialisme spécifique » avec la mise en place de la planification de l’économie et la bureaucratie d’Etat. La rente pétrolière aboutit hélas à un mal développement et un endettement excessif, avec la reconduction à ce jour de la personnalisation du pouvoir politique et de l’illégitimité permanente.

A.K., avocat (Barreau de Paris et auteur, poète, nouvelliste, essayiste)
 

Notice bio-biobibliographique : 

Après obtention du diplôme de l’ENA à Alger, Ammar Koroghli a préparé une thèse de doctorat en droit à l’Université de Paris I, ainsi que deux D.E.A (Diplômes d’Etudes Approfondies) : droit public et études cinématographiques. Exerce la profession d’avocat à Paris depuis plusieurs années, après avoir été enseignant en droit à Paris

A animé des émissions, notamment en littérature sur les ondes de Radios libres et a participé à des émissions : Emissions Radios (RFI, Radio France Culture, RTA), Emissions Télévisions (BRTV (Paris), TVA3 (Alger). 

A publié : Institutions politiques et développement (Essai) ; Les menottes au quotidien (Nouvelles) ; Mémoires d’immigré (Nouvelles) ; Sous l’exil l’espoir suivi de Ain Fouara Poésie), L’abc et le alif (Poésie)… 

A écrit dans divers journaux et revues ; Sans frontière, Libération, Le Monde diplomatique, Europe, Maghreb Magazine ; El Watan, Le Soir d’Algérie, Horizons, Le Matin, Le Quotidien d’Oran. Il a été rédacteur en chef de la revue El Badil (revue d’opposition au parti et à la pensée uniques, pour la démocratie).

Ouvrages inédits : « L’Algérie à l’épreuve de la démocratie » (Essai), « Les damnés de l’exil » (Chroniques), « De l’exil, tous les Pasteur du monde ne pourraient guérir ma rage » (Récit). 

Auteur
Ammar Koroghli 

 




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