Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), fondé en 2010 à Tamanrasset par l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali, visait à organiser une réponse sécuritaire conjointe face aux menaces transnationales au Sahel.

Inscrit dans une logique de souveraineté partagée et de coopération régionale, le dispositif devait assurer l’anticipation, la coordination et l’efficacité opérationnelle. Force est de constater que cette architecture est désormais inopérante.

L’incident du drone malien abattu par les forces algériennes, comme d’autres épisodes récents, a révélé l’absence de communication fonctionnelle entre les états-majors membres. Ce dysfonctionnement flagrant signale l’effondrement de l’interopérabilité, l’inefficacité des mécanismes d’alerte, et la mise en sommeil du cadre de coordination. Il met en lumière des fragilités structurelles profondes dans la gouvernance sécuritaire sahélienne, dont l’évaluation s’impose à la lumière de leurs répercussions stratégiques.

L’échec du CEMOC apparaît dès lors comme le reflet d’une crise plus globale de la politique de sécurité de l’Algérie. Le retrait du Mali et du Niger, conjugué à la posture floue de la Mauritanie, la prive de toute base politique crédible. Maintenu artificiellement, le CEMOC n’était plus qu’un cadre institutionnel dépourvu de toute capacité d’action. Sauf rupture majeure — or la stratégie ne repose pas sur l’exceptionnel —, il doit être considéré pour ce qu’il est devenu : une structure obsolète.

L’Algérie, longtemps perçue comme l’architecte et le centre de gravité du dispositif, est aujourd’hui reléguée à la périphérie des dynamiques régionales. Son leadership est contesté, ses initiatives isolées, et son influence diluée. Cette paralysie est aggravée par la désaffiliation croissante de ses anciens partenaires, désormais engagés dans d’autres logiques de coopération sécuritaire, bilatérales ou multilatérales, notamment avec la Russie, la Turquie ou les Émirats arabes unis.

Fragmentation des instruments de la diplomatie sécuritaire

En l’absence d’une stratégie régionale articulée, les actions diplomatiques algériennes apparaissent désordonnées. Les gestes ponctuels (dons, forums, déclarations) ne s’inscrivent dans aucune trajectoire politique cohérente. La politique étrangère souffre d’un déficit de projection, d’une incapacité à anticiper les reconfigurations d’alliances, et d’une doctrine de sécurité illisible. Cela limite considérablement la capacité d’influence et le pouvoir de dissuasion du pays.

L’INESG, censé produire une pensée stratégique, se limite à une rhétorique mémorielle sans traduction opérationnelle. La concentration de la décision dans des structures opaques, conjuguée à des dysfonctionnements persistants, empêche la coordination intersectorielle et l’émergence d’une vision stratégique de long terme. Ce morcellement du pilotage réduit l’anticipation et affaiblit la crédibilité de l’appareil de sécurité national.

Déficit doctrinal et fracture sociologique des élites militaires

Le renouvellement des élites militaires s’est fait avec une refonte doctrinale problématique. Formés à appliquer des procédures, les cadres sont peu préparés à penser la complexité géopolitique contemporaine. Formatés dans le carcan idéologique arabo-islamique dominant, ils sont projetés comme le noyau dur d’une « nouvelle Algérie » coupée de ses réalités historiques, sociales et anthropologiques.

Ce déficit de formation stratégique a généré une dépendance aux logiques administratives, une faible capacité de prospective, et une absence d’initiatives structurantes. Cette formation déconnectée conduit à une gestion strictement réactive des crises, sans cadre analytique solide. Surtout, ces élites sont largement coupées de la société réelle. Leur isolement fragilise la légitimité de leurs actions et rend toute réforme de la gouvernance stratégique extrêmement difficile.

Une politique extérieure désorientée

L’impasse stratégique actuelle reflète l’échec des initiatives récentes visant à restaurer la présence régionale de l’Algérie. Les démarches de Sabri Boukadoum auprès de l’administration Trump, sans vision d’ensemble, n’ont produit aucun effet. Elles ont illustré l’absence de cap et mis en lumière une posture diplomatique attentiste et désorganisée.

En parallèle, l’injonction faite à l’Algérie de participer à l’exercice militaire « African Lion » — organisé au Maroc avec des forces israéliennes — place Alger devant un dilemme stratégique. Y participer, c’est se placer dans un dispositif dirigé par des puissances extérieures. Refuser, c’est s’isoler davantage. Ce type de dilemme illustre le degré de vulnérabilité politique actuel.

L’Algérie ne sait plus clairement qui sont ses alliés ni ses adversaires. Poutine, Erdoğan, Ben Zayed interviennent dans sa profondeur stratégique selon leurs intérêts, rarement bienveillants. La France, l’Espagne et l’UE adoptent des postures ambivalentes. Les États-Unis, quant à eux, réduisent leur relation à une approche sécuritaire, l’Africom devenant leur seul interlocuteur. L’Algérie est aujourd’hui déclassée.

Un système à bout de souffle

Cette situation est le produit d’une dégradation continue de la position géopolitique de l’Algérie, alimentée par des décisions incohérentes, des absences de choix, et une gouvernance dominée par des logiques néopatrimoniales. Les décisions ne sont plus guidées par la stratégie, mais par la conservation du pouvoir. Ce système, fondé sur la loyauté personnelle, la rente et l’absence de redevabilité, a déconnecté l’État de ses réalités sociales et géopolitiques.

Ce flou doctrinal rend l’État perméable aux agendas extérieurs et incapable de définir ses priorités. L’échec diplomatique, les alliances asymétriques et l’absence de réponses concertées traduisent une carence structurelle. Les choix ne relèvent plus de la souveraineté, mais de l’ajustement. La politique extérieure devient défensive, dictée par l’urgence.

Rupture ou stagnation (pour ne pas dire disparition)

La seule issue crédible passe par une ouverture démocratique authentique. Une transition politique profonde est nécessaire pour rompre avec l’architecture actuelle du pouvoir. Refonder l’État — y compris ses forces armées — sur des bases rationnelles, modernes et patriotiques, en adéquation avec les réalités de la société, est une exigence de survie stratégique.

Mohand Bakir

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