Le Cercle Taleb Abderrahmane est tout un symbole. Un lieu chargé d’histoire et un espace de convivialité. Privatisé, il sera bientôt transformé en restaurant. Ali Haroun dénonce la 2e mort du martyr Taleb Abderrahmane.
Il fut un haut lieu de mémoire, un espace sobre et silencieux où l’histoire s’incarnait dans la pierre. Le Cercle Taleb Abderrahmane, sis au 2 de l’avenue Didouche-Mourad à Alger, est en passe de perdre son âme. Ce lieu symbolique, autrefois dédié au souvenir du jeune martyr guillotiné le 24 avril 1958 par les autorités coloniales françaises, s’apprête à être transformé… en restaurant.
«La deuxième mort du grand résistant Taleb Abderrahmane », écrit Ali Haroun dans sa tribune du 10 juin .
Une plaque en marbre, accrochée à la façade du bâtiment, témoigne encore du sacrifice de Taleb Abderrahmane. Né en 1930, étudiant devenu artificier de la Zone autonome d’Alger, il fut l’un des piliers de la lutte urbaine contre l’armée coloniale française. Traqué par les services du général Massu, il fut arrêté, torturé, puis exécuté. Jusqu’alors, son nom rayonnait sur ce Cercle, réhabilité en novembre 2015 par le wali d’Alger, censé être un sanctuaire de mémoire.
De lieu de recueillement à temple de la gastronomie
Mais le lieu est désormais cédé à un privé. Bientôt, au lieu d’entendre résonner l’écho d’un hymne à la liberté, on y humera les odeurs de cuisson d’un restaurant baptisé « L’Assiette Algéroise ». Une reconversion qui provoque stupeur et colère, dans un contexte où la mémoire nationale continue d’être un enjeu politique et identitaire majeur.
Dans sa tribune, l’ancien chef de la Fédération de France du FLN, Ali Haroun dénonce : « Il est indécent que ces marqueurs d’histoire servent de faire-valoir commercial».
Un effacement progressif de la mémoire
Ce n’est pas qu’une affaire de symboles. C’est la question du rapport de l’État à sa propre histoire qui est posée. Comment une nation peut-elle espérer forger un avenir apaisé si elle consent à brader les lieux de mémoire qui fondent son récit collectif ?
L’indignation est d’autant plus vive que l’effacement est méthodique. Le changement de destination n’épargne pas la plaque dédiée à une autre grande figure de la résistance, la moudjahida Fadela Dati’a. Ce qui aurait pu devenir une bibliothèque ou un espace d’éducation patriotique devient un établissement commercial, au mépris des sacrifices consentis.
Un appel à la conscience nationale
Ali Haroun lance un appel vibrant à la société et aux autorités : « Au moment où nous sommes sommés d’effacer nos souvenirs… voilà que nous voyons le nom d’un héros emblématique… bientôt caché par les fumées chargées de graisses» .
Ce lieu aurait dû être protégé, sanctuarisé, magnifié. Le silence des institutions compétentes, notamment le Haut Conseil Supérieur de la Jeunesse, est plus que préoccupant dans une période où les symboles fondateurs sont plus que jamais nécessaires.
À quand une loi pour protéger les lieux de mémoire ?
Dans les démocraties matures, les lieux porteurs de mémoire sont classés, préservés, transmis. L’Algérie indépendante, forte de l’héritage de ses martyrs, ne peut se permettre de tourner le dos à son histoire. La requalification du Cercle Taleb Abderrahmane est un enjeu bien plus large que local : c’est un test sur la capacité de l’État à protéger sa mémoire.
Taleb Abderrahmane avait lancé un message fort aux juges coloniaux : « Lorsque ma tête sera tranchée, un autre frère sortira de l’ombre à ma place. » Peut-être est-il temps, aujourd’hui, que d’autres voix s’élèvent pour lui rendre justice, et empêcher qu’à Alger, la mémoire ne soit sacrifiée sur l’autel du profit.
Le message du jeune martyr sera-t-il entendu par le ministère des Moudjahidine et susciter sa réaction pour annuler cette décision inique ?
Samia Naït Iqbal
Bref, hormis cette « fâcheuse » méprise de l’histoire de la guerre, Ali Haroun ne trouve rien à redire de celle de l’indépendance confisquée par eux tous (y compris lui-même.